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Histoire de quelques trahisons

Publié le par Jean-Yves Alt

En marge du film Another Country, on peut illustrer l'histoire de quelques trahisons restées célèbres, mettant en scène des homosexuels. On peut aussi se demander pourquoi tout homosexuel a été considéré souvent comme un espion en puissance ?

Alfred Redl était, dans les années qui précédèrent la Première Guerre mondiale, colonel et chef du service des renseignements de la monarchie austro-hongroise, à Vienne. Il était aussi homosexuel, alors que l'homosexualité, considérée comme un crime, se voyait durement sanctionnée. Il nourrissait une tendre affection envers un garçon, l'officier Stefan Hromodka. Les services secrets russes allaient donc avoir barre sur lui, d'autant que des dettes anciennes et des besoins d'argent nouveaux le leur livraient. Découvert par ses pairs, Redl dut se suicider. Hromodka, qui n'avait jamais été mêlé à ses affaires d'espionnage, fut condamné par un tribunal militaire à trois mois de travaux forcés pour « crime de prostitution contre nature ». Le théâtre et le cinéma se sont emparés de cette affaire avec A patriot for me (Un bon patriote) de John Osborne et Colonel Redl, un film d'Istvan Szabo.

Sir Roger Casement (1864 – 1916) aimait trop les garçons et l'Irlande ! Il fut arrêté, au retour d'une mission en Allemagne, jugé, condamné à mort pour haute trahison au profit des Allemands et exécuté, le 3 août 1916. Georges V lui avait refusé sa grâce, après avoir lu des passages du journal intime de Sir Roger où l'homosexualité de celui-ci apparaissait clairement. Pour les Britanniques, Casement fut un traître ; pour les Irlandais, un patriote, et ses restes furent inhumés solennellement à Dublin en 1965.

Le groupe des espions de Cambridge (qui inspira Another Country), composé de Donald Mac Lean, >Guy Burgess et Kim Philby est resté célèbre. Les origines sociales de Donald Mac Lean (une grande famille britannique et un père ministre libéral de l'Éducation nationale, au début des années 30) ne l'empêchèrent pas de fonder, avec quelques camarades, une société secrète « Les Apôtres », consacrée à la critique du capitalisme et à la défense du communisme. Les responsabilités assumées par ces hommes les mirent à même de fournir des renseignements précieux aux Soviétiques. En effet, Donald Mac Lean devint successivement attaché à l'ambassade de Paris (1938), premier secrétaire à Washington, chargé de la coopération américano-britannique en matière nucléaire (1944), conseiller au Caire (1948), chef du bureau américain du Foreign office (1950) et ce en dépit de ses excès de boisson et d'une dépression nerveuse au Caire. Guy Burgess fut, quant à lui, deuxième secrétaire à l'ambassade du Royaume-Uni, à Washington, lorsqu'il disparaît avec Mac Lean, en 1951, à la gare de Rennes. La fuite de la femme et des trois enfants de Mac Lean (eh oui !), en septembre 1953, confirme l'hypothèse d'un « passage à l'Est ». En 1956, Mac Lean s'installe à Moscou où il mourra le 6 mars 1984 (Burgess est mort en 63). Kim Philby (mort en 1988), a pu continuer d'espionner jusqu'en 1958 avant de rejoindre ses camarades de Cambridge à Moscou, en 1963, et d'obtenir la citoyenneté soviétique (n'avait-il pas dirigé le département russe au Foreign office ?).

En 1962, William Vassal, un fonctionnaire de l'amirauté britannique, est condamné à douze ans de prison pour avoir livré des documents secrets à l'Union soviétique. Les agents soviétiques, qui le surnommaient « >Miss Mary », l'avaient photographié, à Moscou, avec trois hommes, pendant une partie fine, le contraignant de la sorte à céder au chantage à cause de la loi britannique punissant l'homosexualité. William Vassal a conseillé la BBC pour un feuilleton évoquant son arrestation, après sa libération conditionnelle intervenue en 1972.

En 1964, Sir Anthony Blunt, conseiller artistique de la reine et critique d'art réputé, passe aux aveux et bénéficie de l'impunité pour ses opérations d'espionnage pendant la Seconde Guerre mondiale. L'affaire ne sera rendue publique qu'en 1979, par le gouvernement conservateur de Mme Thatcher, après la première édition du livre « Un climat de trahison » d'Andrew Boyle.

Y a-t-il dans l'activité d'espion la projection d'une crise d'identité, résultant d'une difficulté à se situer ? Quelles peuvent être pour un homosexuel les motivations à embrasser des carrières diplomatiques ? Faut-il incriminer le caractère néfaste des lois répressives et de l'ostracisme social qui fragilisent les individus face aux tentatives de chantage ?

Certains pensent que les autorités devraient aboutir à cette conclusion plutôt que de considérer les homosexuels comme personæ non gratæ. Faut-il d'ailleurs oublier les scandales qui ont impliqué des hétérosexuels (John Profumo en 1963) ? Cependant, il serait simpliste d'identifier toujours des histoires de trahison à des histoires d'homophobie. L'homosexualité renverse les tabous. Elle amène parfois l'individu à poser un regard critique sur les institutions, les systèmes, les structures, parce qu'il vit en lui-même la contradiction qui existe entre ses aspirations et la norme collective. L'homosexualité affaiblit donc la cohésion qui rattache l'individu au groupe, et ce n'est pas un hasard si les régimes totalitaires la réprouvent, qu'il s'agisse des théocraties, des fascismes ou des démocraties populaires... Certes, tout dépend à la fois des réactions individuelles et du degré d'intégration ou de ségrégation de l'homosexualité. Ainsi, il y a eu des homosexuels collaborateurs, des traîtres et des patriotes, des crapules et des héros ! Toute tentative de vouloir ranger les homosexuels dans un camp ou dans l'autre se heurte à la réalité des faits.


Lire aussi : Mes débuts dans l'espionnage de Christophe Donner où un « jeune gai est considéré comme en espion, obligé de mener une double vie. Une image sans concession d’un garçon de 15 ans, non pas tel que ses parents le rêvent, mais tel qu’il est. »

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