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L'abbé Jules, Octave Mirbeau (1888)

Publié le par Jean-Yves Alt

"L'abbé Jules" est une composition de l'imagination (parfois délirante) mêlée à l'esprit candidement anarchique d'Octave Mirbeau.

Jules, dès sa petite enfance, va se révéler tracassier et cruel.

Par ailleurs, intelligent, il sera premier de la classe. Grand garçon à la carcasse dégingandée, il apparaît déjà « une indéchiffrable énigme » (1ère partie – chapitre 3). A peine a-t-il dépassé l'âge de la première communion qu'au grand scandale de sa mère, celle-ci l'entend s'écrier :

« Je veux me faire prêtre, nom de Dieu ! » (1ère partie – chapitre 3)

Ainsi, en fut-il. Et le jour de sa première messe, Jules monte en chaire, s'accusant des pires fornications. Cette attitude non conformiste ne l'empêche pas de devenir secrétaire d'un vieil évêque compassé qui aura la faiblesse de l'aimer.

L'abbé va alors manifester « un besoin grossier et pervers de se divertir en terrorisant les autres » (1ère partie – chapitre 3).

Et Mirbeau de camper son prêtre faisant, dans la campagne, des promenades tourmentées et à grandes enjambées dans un terrible crépuscule.

Lors d'un de ses vagabondages, l'abbé Jules, au corps maigre et pointu, essaie de mettre à mal une jeune paysanne, qui se rebiffe après s'être montrée totalement hébétée. Le mauvais prêtre lui fait une proposition brutale : « Nous insulterons le bon Dieu ensemble, veux-tu, réponds-moi ? » (1ère partie – chapitre 3). Lors de cette scène, la frénésie érotique de l'abbé en devient forcenée. Mirbeau la détaille sans broncher : « Ses doigts impatients se crispaient dans l'herbe ; il en arrachait des poignées que, par un mouvement machinal, il portait à sa bouche et qu'il mordillait ensuite bestialement » (1ère partie – chapitre 3). Il faut bien accorder le paysage ambiant avec cette scène délirante ; aussi bien le romancier continue-t-il, imperturbable : « Quelques nuées, de formes bizarres et changeantes, flottaient au ciel, rouges des suprêmes lueurs du couchant, et il lui sembla que c'étaient des sexes monstrueux qui se cherchaient, s'accouplaient, se déchiraient dans du sang » (1ère partie – chapitre 3).

Si ce livre montre une sorte de phobie hallucinée de la prêtrise, Mirbeau cherche par ailleurs à rendre sympathique son prêtre bohème. Il lui fait s'exclamer : « ça me dégoûte à la fin d’être prêtre ; j’en ai assez de porter cette ridicule robe… de faire des simagrées plus ridicules encore que ma robe, de vivre comme un esclave et comme un castrat » (1ère partie – chapitre 3) mais à d'autres moments s'écrier : « L'homme est une bête méchante et stupide ; La justice est une infamie ; L'amour est une cochonnerie ; Dieu est une chimère… » (2e partie – chapitre 3)

Le scandaleux et grimaçant abbé Jules se prend de tendresse pour un jeune neveu dont il devient le précepteur et auquel il inculque d'aimer la nature : « tu aimeras la nature ; tu l'adoreras même, si cela te plaît, non point à la façon des artistes ou des savants qui ont l'audace imbécile de chercher à l'exprimer avec des rythmes, ou de l'expliquer avec des formules ; tu l'adoreras d’une adoration de brute, comme les dévotes le Dieu qu'elles ne discutent point. S'il te prend la fantaisie orgueilleuse d'en vouloir pénétrer l'indévoilable secret, d'en sonder l'insondable mystère… adieu le bonheur ! » (2e partie – chapitre 3).

Finalement, l'abbé Jules aura une agonie tragique dans la maison isolée du bourg qu'il habite en prêtre habitué. Pendant ses moments, de délire il ne cessera de chanter une chanson obscène. « Ses désirs charnels, tantôt comprimés et vaincus, tantôt exacerbés et décuplés par les phantasmes d'une cérébralité jamais assouvie, jaillissaient de tout son être, vidaient ses veines, ses moelles, de leurs laves accumulées » (2e partie – chapitre 5). Et ailleurs encore, dans cette même agonie : « Poussant des cris rauques, des rugissements d'affreuse volupté, il simulait d'effroyables fornications, d'effroyables luxures, où l'idée de l'amour se mêlait à l'idée du sang ; où la fureur de l'étreinte se doublait de la fureur du meurtre. Il se croyait Tibère, Néron, Caligula » (2e partie – chapitre 5).

« L'abbé Jules » laisse aujourd'hui pantois : s'il avait sa place dans la bibliothèque des bourgeois pacifiques qui l'évoquaient d'un clignement d'œil – en un temps où l'on n'en était pas à couramment parler ni de sexualité ni de freudisme – il manque de simplicité pour dire les tentations et les écarts possibles des gens d'Eglise.


Les illustrations (signées Hermann Paul) de cet article sont tirées d'une édition populaire de L'abbé Jules parue chez Arthème Fayard en 1906.  


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