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Le faire ou mourir, Claire-Lise Marguier

Publié le par Jean-Yves Alt

« Le faire ou mourir » est un roman, écrit à la première personne, sur la découverte de la dimension sexuée des relations par un jeune adolescent sensible, Damien, rebaptisé « Dam ».

Emois face aux choses de la vie, émois surtout face à cet autre lycéen, Samuel/Samy, de deux ans plus âgé, rencontré dans la cour de l'établissement scolaire alors que des skateurs tourmentent le plus jeune, émois aussi lorsqu'il sent le souffle de Samy sur sa nuque, émois encore quand il se remémore la mort d'un camarade de classe alors qu’il allait fêter ses neuf ans…

Dam est un garçon sensible. Si éperdument, que quand il vit un événement qui le touche, il se met à pleurer. Il s'en rend compte et le vit comme une calamité.

Pas de chapitre dans ce récit ; les paragraphes s'enchaînent, s'enchâssent plutôt, et Dam évolue – en quelques semaines – sous le charme de Samy, « lopette sataniste » (p. 21) comme le décrit le père de Damien.

Les deux garçons ne se vivent pas comme homosexuel. Sensible. Oui. Homo-sensuel conviendrait mieux. Difficile de définir ce que l'on est car tout part dans tous les sens et s'exprime par tous les sens. La normalité est là ; Samy la voit ainsi parce que tout des sens est chez lui naturel, spontané. C'est un élan. Dam pas encore. Il a peur d'être enfermé dans un rôle qui indiquerait un sens interdit, ou un sens obligatoire pour être parqué par les autres.

« Je crois que j'ai commencé à trembler quand il a approché ses lèvres des miennes. Samy, j'ai dit, et je me suis dégagé, tout doucement pour pas le blesser. Je me suis assis sur le lit et Samy m'a suivi. Quoi ? il a demandé en s'asseyant à côté de moi. Il a passé un bras autour de ma taille. Moi je regardais par terre. Je l'aimais bien Samy, non, je l'aimais beaucoup, mais ce qu'il allait faire ça m'a foutu la trouille. Je suis pas homo, j'ai dit pour m'expliquer. Tant mieux, il a dit, moi non plus. Mais j'ai très envie de t'embrasser quand même. » (p. 26)

La mère de Samy ne s'inquiète pas de la relation que les deux garçons entretiennent. La vérité ne l'effraye pas.

Le père de Damien s'inquiète dès le début ; il s'imagine des amours, une liaison, dont encore il n'ose lui parler ouvertement, mais dont Damien distingue le fantôme à travers les allusions dont ses propos sont emplis.

« J'aurais bien voulu me lever de table et la renverser, casser toute la vaisselle, hurler que c'était injuste, que j'étais pas devenu quelqu'un d'autre mais juste quelqu'un, que Samy était mon ami, que je n'avais que lui, qu'ils avaient pas le droit de m'empêcher de le voir, qu'il était ni sataniste ni lopette, qu'il aimait juste s'habiller en noir. J'ai pas bougé de ma chaise. Je suis resté assis, j'ai mangé comme d'habitude, mon père insistait toujours pour que je mange plus. T'es trop maigre, Dam, de la viande, il disait, à ton âge il faut de la viande pour faire du muscle. Ça se saurait ! Je mangeais les yaourts, je lui disais y a du calcium, c'est important aussi. Il croyait que j'étais homo et il était dégoûté à mort, bien fait pour lui, je m'en foutais de toute façon. » (p. 22)

Le père de Damien exige de son fils qu'il ne revoie plus Samy. Ce que le père oublie, c'est qu'on ne s'échappe pas à soi-même, et, pour y réussir, déjà faut-il le désirer ; Damien ne peut souhaiter se quitter au moment où il commence seulement à se découvrir.

Pour échapper aux injonctions de son père, Dam ne trouve pas d'autres moyens que d'inciser régulièrement la peau de ses cuisses.

« Le sang coulait, beaucoup même, l'eau était rouge de tout ce sang, mais je sais pas pourquoi cette fois ça marchait pas. Je me calmais pas. Je me suis mis à trembler violemment. J'ai eu peur d'avoir perdu ça aussi, ce soulagement sur demande. Je suis monté plus haut sur la cuisse avec la lame toute neuve, puis j'ai tiré un trait sur mon ventre. J'allais un peu mieux. J'ai fait un deuxième puis un troisième trait pour libérer plus de sang, j'arrivais mieux à respirer. » (p. 46)

Damien agit-il ainsi pour inscrire sa loi dans sa chair blanche ?

Sous des phrases lapidaires, les amoureux de Claire-Lise Marguier, sensibles et sincères, s'enflamment en gerbes dorées qui haussent ce récit au rang d'une œuvre bouleversante, intimiste.

Ce récit montre une manière d'aimer sur un versant plus ensoleillé de la vie, une manière de lutter contre l'empoissement, de s'émerveiller de la bigarrure inépuisable du sensible… D'accepter être entraîné sur le terrain des attractions passionnelles.

■ Le faire ou mourir, Claire-Lise Marguier, Éditions du Rouergue, septembre 2011, ISBN : 2812602589


Lire aussi la chronique de Lionel Labosse sur son site altersexualité.com

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