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Le garçon d'orage, Roger Vrigny

Publié le par Jean-Yves Alt

L'histoire se passe entre Nîmes et Avignon ; un pays qui semble enchanteur ; dans la réalité, un pays à l'atmosphère beaucoup plus rude tant au niveau du climat que des hommes – souvent violents – qui peuplent cette vallée viticole.

Marcellin Lapeyrade, la trentaine, toujours dynamique dans son travail, n'en est pas moins un homme sombre, solitaire. Ses rêves lui suffisent et si son être est assoiffé, il ne sait pas dire de quoi.

« A son âge, il n'éprouve plus le besoin de s'agiter sans cesse comme un enfant. Il s'allonge sur un coin d'herbes sèches et demeure là immobile, perdu dans sa contemplation. Ce qu'il ressent, il ne pourrait le dire, le plaisir d'être seul avec ses pensées, de ne penser à rien, d'oublier ce qu'il est, où il est, confondu dans le paysage comme une pierre ou une fleur ou un arbre. » (p. 30)

« […] Marcellin avait des idées toutes faites sur l'amour, qui correspondaient à celles de l'époque et à l'opinion commune d'un village. Autant dire qu'il n'en avait pas ou plutôt qu'il évitait d'y penser, puisque l'amour conduisait au mariage et qu'il n'avait jamais éprouvé l'envie de se marier. » (p. 60)

Marcellin s'est-il enfermé dans la solitude à cause de la mort tragique d'un ami de jeunesse, Abel, ou d'un projet de mariage qui n'a pu se réaliser ?

« Le soir, couché dans son lit, il essayait de se représenter le corps de la jeune fille à côté du sien, sans pouvoir imaginer son poids, sa chaleur, le désir qu'il aurait de l'étreindre, de le caresser. C'était une présence abstraite qui ne lui causait aucun trouble. Au fond il aimait en elle une idée, une façon d'être qui la distinguait des autres, la faisait ressembler à un personnage de conte de fées ou de légende, dont la nature n'appartient pas au même monde que le nôtre. » (pp. 65/66)

L'arrivée d'un jeune garçon, Willie, enfant de l'Assistance publique va lui redonner une joie de vivre.

« […] la première fois qu'il l'a vu (ou qu'il a cru le voir) ce jour-là de l'orage, lorsque les ouvriers ont allumé le feu dans la cheminée pour sécher leurs habits, ce n'est pas Willie, c'est lui-même, Marcellin, qu'il a vu, une image de lui, un rêve de lui qui dormait dans sa tête et qui s'est mis à sauter, pareil à un diable, tout nu devant les flammes, comme il l'avait fait jadis dans le champ de lavande, près de la cabane Saint-Hubert. » (p. 79)

C'est la virilité physique de Willie qui attire Marcellin :

« Le plus inattendu, c'était Willie, le plus endiablé aussi, lui d'ordinaire si tranquille, obéissant dans le travail et pas un mot de trop, […] sans doute gagné par l'ivresse du moment, il avait tout envoyé en l'air, chemise, culotte et le reste, courait et hurlait avec les autres. [Il] s'est mis à danser, nu comme un ver, devant les flammes. On aurait dit un pantin qui bondissait, virevoltait, les cheveux dans la figure et puis soudain il s'est accroupi, les bras croisés à la façon des cosaques […]. Quand le garçon aperçut Marcellin, au premier rang, qui le regardait, est-ce qu'il a eu honte ou peur à cause d'un éclair qui a embrasé la pièce au même instant, il s'est arrêté d'un seul coup et, bousculant le public, il a filé se cacher sous la table. » (p. 56)

Marcelin, bouleversé par Willie, comprend maintenant que la vie n'est rien quand on est attendu par personne :

« […] le patron posait la main sur l'épaule de Willie, se penchait sur son travail : "Ça va ?" Le garçon levait la tête. Un sourire et rien de plus. Il fallait s'en contenter. L'amour est une longue patience. De quoi se plaindrait-il, Marcellin ? Il avait suivi son programme, sorti Willie de sa condition, à défaut de le mettre dans son lit. […] L'eau est pure quand rien ne vient la troubler, le sable, les herbes ou les saletés qui traînent dans le courant. Où est la pureté de l'amour lorsqu'on y mêle son corps et son âme ? Le trouble est partout. Dans l'une comme dans l'autre. C'est fatal. Il n'y a pas de corps sans âme, n'est-ce pas ? Ni réciproquement. Alors, comment faut-il aimer ? » (p. 100)

Un célibataire excite souvent la curiosité ; alors dans le village, les murmures commencent à circuler… Les scènes de chasse ne sont pas loin, comme en Bavière.

« "Il ne s'embête pas le patron. Il les prend au berceau." Tout est permis quand on s'aime, n'est-ce pas ? Marcellin aimait-il Willie comme on aime une fille ? Mieux que ça, il aurait ramassé la boue de ses souliers. N'empêche, c'était une question que personne n'aurait osé se poser et lui, le premier. » (p. 90)

« [Marcellin] essayait de comprendre ce qui lui échappait dans cette chair offerte, à portée de la main, qui devenait irréelle à force d'être présente. Ce qu'il voyait de Willie était en lui, Marcellin, et il n'arrivait pas à en saisir le sens. Il devait penser : "Comment faire pour le garder ?" Il aurait dit aussi bien : "pour m'en débarrasser". Dès ce moment, croyez-moi, le drame était dans l'air. » (p. 120)

Il faut souhaiter que l'homosexualité dans les campagnes se vive, aujourd’hui, mieux qu'à l'époque où se déroule ce roman.

■ Le garçon d'orage, Roger Vrigny, Editions Gallimard, 1994, ISBN : 2070732193


Du même auteur : Le bonhomme d'Ampère - Accident de parcours - Les cœurs sensibles - Instants dérobés

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