Les deux Petits Chevreaux, Michel Aurouze
Ce roman est celui de la résurgence – chez le narrateur – d'un souvenir d'enfance, donné à lire un peu tôt dans le déroulement de la narration.
Ce souvenir, comme un remake d'une passion de Raoux, personnage d'un précédent roman de l'auteur, est peut-être un élément autobiographique déguisé.
Les chevreaux sacrifiés font pleurer le narrateur ; c'est comme dans un film triste où le spectateur est conscient qu'il larmoie au récit des malheurs d'un personnage, mais y prend un plaisir libérateur, cathartique, expiatoire. De quoi est donc faite cette enfance qui laisse une aussi inguérissable blessure ?
Des années après, la mémoire du narrateur est dans tous ses états ; est-ce seulement en raison de cette souffrance initiale ? ou parce que les paysages interdits de l'homosexualité s'ouvrent avec l'arrivée des premiers émois ?
Le monologue du narrateur s'épuise à endormir l'orgueilleuse douleur : réquisitoire d'un solitaire, celui qui rêve de l'impossible pureté des êtres.
D'un été à l'autre, le leurre, comme la neige ne tient pas. Tout ramène à ce jour d'enfance qui fut le commencement d'une grande anémie, chant sourd confié aux hommes rencontrés – parfois amants – Michel, Julien, Gilbert qui forment au final la confrérie du silence, tout en écoutant la peur du narrateur. Nulle mièvrerie, nulle guimauve, si ce n'est celle de la vie même, insupportable à vivre : chant d'amour dans la simplicité de la torture.
Ce roman invite à ne jamais prendre l'habitude des souvenirs pour une quelconque manifestation de l'amour.
■ Les deux petits chevreaux, Michel Aurouze, Editions Edilivre/Classique, mai 2012, ISBN : 978-2332490179
PS : une remarque intéressante à propos du mariage gay : « Et je méditais sur le mariage homosexuel : ne serait-il pas judicieux, avant de le légaliser, de formuler des lois sur le divorce au cas où ces couples adopteraient des enfants ? » (p. 91)
La quatrième de couverture indique que ce roman se situe dans les années 70, ce qui est anachronique avec certaines scènes (utilisation d'internet, de l'euro, référence au film Shining qui date de 1980). Le roman se déroule plutôt aujourd'hui avec des regards sur les années 50 (enfance du narrateur) et 70 (vivre homosexuel en ces années).