Les sœurs de la nuit, Tanguy Le Cléguer
L'ambiguïté est présente déjà dans le prénom du héros : Camille : un cœur de femme dans le corps gracile d'un adolescent Corse, la gueule d'une tapette avec le cœur d'un poète.
Sa mère meurt à sa naissance, laissant l'éducation du jeune homme à son père, dans un milieu hostile à tout ce qui ne reproduit pas parfaitement les clichés de la virilité : goût pour la tuerie qu'on appelle la chasse, etc.
Et c'est le début d'une histoire tragique, d'un grand drame humain dont l'auteur montre bien le processus lent, inéluctable, impossible à enrayer : pas de répit dans ce roman d'aventures dont la scène varie sans cesse, du maquis corse aux bas-fonds de Barcelone, d'un étrange palais espagnol des mille et une nuits aux halles grouillantes du ventre de Paris.
Dans ce roman social moderne, les souvenirs de Zola sont parfois trop visibles, en particulier le portrait de la charcutière, Mme Forgeron, remake de la belle Lisa. Gervaise travestie fait pleurer Margot, mais c'est comme un film triste où le spectateur est conscient qu'il larmoie au récit des malheurs de Fantine ou Fleur de Marie, mais y prend un plaisir libérateur, cathartique, expiatoire...
« Quelques secondes filèrent, et il comprit qu'il tenait en main quelque chose comme un sexe d'homme. Il se pétrifia, interloqué. Puis il regarda Eva, vit ses longs yeux d'émeraude où brillait une lumière inquiète. C'était bien une femme... Il l'aimait à en crever. »
Dans ce livre fort, la réalité d'un témoignage vécu s'enrichit d'une leçon qui ne peut qu'ébranler les derniers préjugés sur la sexualité, souvent aussi solides, hélas, que la bêtise à cornes de taureau...
■ Les sœurs de la nuit, Tanguy Le Cléguer, Editions Flammarion, 1992, ISBN : 208066039X