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Le martyre de Saint Sébastien, Gabriele d'Annunzio (1911)

Publié le par Jean-Yves Alt

C'est dans une ambiance éphébique, symbolique et mystique, qu'il faut replacer ce « Martyre de Saint Sébastien », pièce de Gabriele d'Annunzio et de Claude Debussy. Le lecteur trouvera ci-dessous les beaux emportements de l'empereur Dioclétien lorsqu'il brave et supplie, cet obstiné de Sébastien, qu'il veut sauver de la mort malgré lui :

Salut, beau jeune homme ! Salut

sagittaire à la chevelure d'hyacinthe !

Je te salue,

chef de la cohorte d'Emèse,

qu'Apollon aime, en qui le dieu

Porte-Lumière s'est complu

Par mon laurier, Sébastien,

je t'aime aussi

.......................

Que les dieux

justes conservent ta beauté

pour l'Empereur, Sébastien !

…………………………

Je veux te couronner, devant

tous les dieux

…………………………..

Quand tu florissais dans ta grâce,

je m'en souviens, tu dansais mieux

que tout autre entre des épées

nues. Parfois on lançait des flèches

sous tes pieds bondissants. Aucune

ne t'atteignit.

……………………………….

Il est beau, César (crient les femmes de Byblos)

Grande déclaration, comparable à celle de Phèdre, « incandescente » en face d'Hippolyte :

Je ne crois pas, je ne veux pas

croire aux délits dont on t'accuse,

chef de ma cohorte légère.

Tu es trop beau... Je t'aime.

Tu m'es cher. Dis : ne t'ai-je pas

comblé d'honneur, de bénéfices,

d'ornements, d'heures glorieuses

et de belles armes ? Tu mènes

mes archers d'Emèse, plus sveltes

et plus dorés que ceux qui vinrent

avec Elagabale (1) aux cils

peints, suivant le char de la Pierre

noire, traînée par les panthères

odoriférantes. Ils sont

les sagittaires du Soleil,

qui est le seigneur de l'Empire

……………………………….

Tu les mènes. Je t'ai donné

mes plus belles Aigles. Je t'ai

envoyé tuer des Barbares

sur le Danube. Tu as eu

des combats et des jeux. Toujours

j'ai tourné vers toi le plus clair

de mes visages.

……………………….

Je ne veux pas savoir

si tu fais des rêves étranges

autour d'un roi de Saturnales,

d'un esclave en tunique rouge

……………………….

Je te nomme l'Enfant aux rêves,

ce n'est pas pour t'égorger.

Et l'empereur appuie sa main sur l'épaule de Sébastien.

MARTYRE SAINT SEBASTIEN ANNUNZIO

Il lui présente tous ses dieux :

Vois. Regarde la multitude

des Formes, la forêt des Forces.

Choisis. Il y en a de rudes

comme les souches, les écorces,

les racines. Il y en a

de flexibles comme les feuilles,

les fleurs, les tiges ; car les fleurs

les plus belles sont nées de leurs

joies, de leurs tristesses, de leurs

vengeances

………………………

Tu peux choisir pour ton offrande

un dieu farouche, une déesse

molle, du sang, du miel. Qu'on tresse

d'anémone et de laurier-rose,

sans bandelettes, deux guirlandes.

Je veux ceindre l'Enfant morose

et me ceindre avec lui.

L'empereur affolé, déchaîné, renchérit encore :

Le soleil ? Et je te ferai

pontife du Soleil, au temple

du Quirinal. J'ajouterai

d'autres dépouilles aux dépouilles

de Palmyre.

Mais devant les refus hautains de Sébastien, son désir s'exaspère, devient furieux, sadique :

Il veut du sang, il veut du sang,

cet éphèbe pâle, du sang,

des souffrances et des ténèbres !

……………………………

Excédé, hors de lui, Dioclétien s'écrie :

Egorgez-le !

Mais aussitôt, il se reprend, feint de chercher un supplice plus rare... éclate en invectives, ordonne, se reprend encore :

Non, je veux rire.

Je cherche des façons nouvelles

………………………..

Ce soir même, tu vas rejoindre

Ton Guérisseur de Galilée.

……………………………

Donnez-lui, sacrificateurs,

une robe blanche, entourez

de verveine et de bandelettes

sa chevelure de joueuse

de flûte ; et qu'il ait pour compagne

au sacrifice une colombe

d'Amathonte.

Haletant, l'empereur les arrête. Il est éperdu, hagard :

Non. Des couronnes,

des couronnes et des colliers,

des couronnes rouges, de lourds

colliers, des torques de Gaulois,

des anneaux de soldats sabins

...……………………..

pour l'ensevelir

vivant sous les fleurs et les ors

……………………………

Ses ordres de mort, qu'il reprend, balbutiant, deviennent malgré lui des cris d'amour, des soubresauts d'halluciné :

Mais comme il est beau !

Il est trop beau. Je veux qu'il chante,

qu'il chante son extrême chant,

tel le cygne hyperboréen

…………………………

Car il est beau !

L'empereur murmure, n'en pouvant plus :

Sois un dieu. Je te ferai dieu.

Tu auras des statues, des temples.

Je t'aimerai.

……………..

Je veux appeler de ton nom

la plus lointaine des étoiles,

ou la plus proche.

Comme il est beau ! comme il est beau ! (hurlent alors les femmes de Byblos)

……………………..

Il se meurt, le bel Adonis !

Il est mort, le bel Adonis !

L'empereur bondit, ivre de prodige, de songe et de création. Entre ciel et terre, il combat, supplie, perd le sentiment :

Il est un dieu ! il est un dieu !

Tu es un dieu ! Je te fais dieu,

moi, le Maître de l'Univers.

Il évoque le sort d'Antinoüs :

Tout est licite à l'Empereur.

Hadrien a déifié

le Jeune Homme de Bithynie

à la bouche mélancolique

Je veux te consacrer un temple.

Il lui promet le triomphe des triomphes :

Tu vas, cette nuit, apparaître

aux yeux du peuple, dans les rues

……………………………

parmi la clameur des cohortes,

au milieu de torches nombreuses

comme mes désirs, sur un char

traîné par des éléphants blancs,

si haut qu'on abattra les Arcs

de Triomphe sur ton passage,

on ouvrira dans les murailles

des brèches pour que tu n'inclines

point ta tiare.

Les promesses de Dioclétien deviennent délirantes, démentielles, mais sublimes, grâce à d'Annunzio. Il le supplie d'accepter la Victoire :

……………………..

tu es dieu, tu es César,

tu es Prince de la Jeunesse :

tu as la puissance et la joie,

la merveille tissée des songes

pour vêtir ton corps ambigu,

les perles et le laurier-rose

par tes tempes étincelantes.

Tu auras tout, tu auras tout.

Je te donnerai les butins

de mon Asie profonde et chaude

………………………

Tu feras

verser du sang, fonder des villes,

ployer des rois, sécher des mers,

surgir des aurores

inconnues du fond des douleurs

inexpugnables. Tu auras.

Le monde tremblant dans le creux

de ta main comme l'alouette

dans le sillon avant le jour.

L'empereur croit à la conversion, in extremis, de son cher officier mais c'est le Galiléen qui l'emporte...

La nuit vient.

L'entends-tu ? La nuit rugit comme

une lionne, déchirant

les rets de ses nuages noirs.

La Louve a peur.

Mort, Sébastien séduit encore l'empereur, dont l'esprit s'obscurcit. Vaincu, exténué, plus mort que sa victime, Dioclétien ordonne encore, d'une lèvre incertaine, et dans son invincible tendresse pour le sacrifié :

Etouffez-le sous les couronnes,

étouffez-le sous les colliers,

sous les fleurs, l'or et la musique,

sous les désirs, l'or et les plaintes,

car il est beau.

Et le chœur syriaque gémit :

Il descend vers les Noires Portes.

Tout ce qui est beau, l'Hadès morne

l'emporte. Renversez les torches !

Eros ! Pleurez !

Les citations tirées de ce « mystère » se situent entre le vers 2052 et le vers 3348.

■ Le martyre de Saint Sébastien, mystère composé en rythme français par Gabriele d'Annunzio et Claude Debussy. Paris. éditions Calmann-Lévy, 1911


(1) Héliogabale

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