Olmetta ou l'Amour et l'Ange, Renaud Icard (1908/1946)
« On m'a donc condamné à être le juif errant de la divinité jamais atteinte. Voyez-vous, je suis très pauvre, car mes désirs sont infinis comme les étoiles. Diogène cherchait seulement un homme : moi, je cherche un dieu. Celui des extases charmantes de mes douze ans est mort. Mort, le dieu des chimères de l'adolescence ; mort, le dieu vague des philosophies. L'intellectualisme ne m'a pas satisfait, non plus que la science. Et me voici poussé par ma nature éprise d'art et de plastique aux dieux païens générateurs de la beauté physique qu'adorait Platon. Ceux-là me donnent des joies oubliées. » (p. 211)
L'existence du narrateur a, jusqu'alors, défilé à toute allure dans son cœur. Le lecteur devine des occasions manquées, des rencontres ratées. Le narrateur a conscience qu'il pourrait être écrasé par son propre vide. Comment être en communion avec le vivant ? Comment faire vivre cette présence à soi éprouvée qui participe au monde de l'intérieur ?
Au cours d'un voyage en Corse, un déclic va se produire. Le narrateur rencontre un adolescent, Jean Olmetta, qu'il voit comme une « apparition » (p. 19). Exalté, le narrateur, qui est peintre, l'observe avec les yeux du désir. Il imagine le garçon représenté sur une toile, ce qui lui permettrait d'être enfin le peintre de sa vie.
« C'était un jeune Corse aux grands yeux noirs, adolescent d'une extraordinaire beauté. Regard hardi, corps élégant, il me tendait une pièce de sa jolie main bronzée. » (p. 19)
« Et cependant... car je veux sonder avec franchise mes arcanes... Pour parcourir ce labyrinthe, ne suis-je pas fort du fil d'or de ma pureté ? Je l'avoue donc, pour mon expansion totale de vie païenne et féconde manquait une richesse au vouloir impérieux de la chair. L'amour entraîne après son char les poussières d'en bas, mais il les dore. Oui, je connus pour Olmetta les brutalités du désir. Mais ma chance fut qu'il l'ignora. En dépit des permissions antiques, pour l'atteindre, mon amour était trop haut... Je le vénérais comme un chef-d'œuvre, touchant par lui sous la beauté matérielle ce qu'il y a d'immortel. Chasteté amoureuse gardant l'émoi qui s'attache aux mouvements imprévus des êtres vivants. Olmetta m'était presque un symbole. » (pp. 114-115)
« Il souriait de ce sourire qui est un baiser fait avec les yeux. Je décrivais mon home si amoureusement créé. Le garçon m'écoutait, ardent. » (p. 160)
Avec cette irruption d'Olmetta, le narrateur ressent la poussée de l'amour. Un amour chaste. Son âme qui observe n'est pas vide de vie, mais soulevée de l'intérieur.
« […] l'Amour trouble pour féconder. Il demeure l'axe d'une foi humaine et tolérante. Il est, je crois, le seul dieu à qui les Grecs n'aient point élevé de temples, parce que chacun lui consacrait le meilleur des temples dans son cœur. Par lui se révèle le monde harmonieux. […] "C'est l'Amour que je veux chanter, dit le vieillard de Téos, l'Amour, ce bel enfant couronné de mille fleurs ; les Dieux éprouvent sa puissance : il dompte les mortels". » (pp. 66-67)
Avec Olmetta, le narrateur entre en communion avec le vivant. Il n'y a plus ni fautes, ni regrets. Seule la présence du garçon importe. Sorti du tableau réduit de son existence, il peut se laisser aller. Olmetta habite le narrateur et ce dernier habite en lui.
« Depuis que je suis païen, mieux éclairé par les dieux, je demeure persuadé que ces génies eurent pour le moins autant de clairvoyance esthétique que nous. Pour représenter l'Amour, ils ont répudié la femme, cette éternelle blessée. Aussi l'homme, image accusée de force. Polyclète "évita l'âge viril". Il n'osa rien au delà des "joues imberbes", ajoute Quintilien. Phrase significative. Et que certains poètes affadis se soient laissés entraîner au rajeunissement exagéré de l'Amour, l'artiste grec de la belle époque s'est nettement arrêté devant l'adolescent à peine pubère.
Fantaisie érotique ? Nullement. Sous cet angle équivoque, le sentiment localisé d'amour n'existant pas, de son dilettantisme un Grec n'aurait pas même récolté l'acide plaisir d'une faute. En vérité l'artiste obéissait à un instinct supérieur, depuis atrophié : l'harmonie. Or, l'adolescent qui procède de la beauté mâle et de la beauté féminine est une synthèse. De la femme qui le fit naître, il possède une grâce incertaine et souple comme une langueur. De l'homme qui le conçut, il a le regard décidé, les jambes nerveuses, le ventre étroit, l'audace brusque, les hardiesses conquérantes. Trait d'union entre les sexes, dès que les formes s'écartent de lui, elles se spécialisent et s'exagèrent. L'adolescent demeure le type de l'absolue perfection humaine. » (pp. 69-70)
Le narrateur, empli de paganisme, devine – par la présence d'Olmetta – qu'il vit une expérience spirituelle.
Ce bonheur va-t-il pouvoir durer ? Combien de temps l'autre peut-il être le feu de sa flamme ou la flamme de son propre feu ?
Autant l'esprit peut aspirer à un au-delà du corps et de sa forme mortelle pour retrouver l'unité perdue et l'éternité, autant, au même moment, l'amour sait qu'il ne peut se passer du corps. Dualité sans résolution ? Comment retrouver, une présence au monde, une extase matérielle que la bipartition occidentale corps/âme a fait perdre de vue ? Par une nouvelle religiosité : celle d'une adhésion au monde, fugace, malheureusement, bien trop fugace, car seule la mort pourrait la fixer, laisse entendre Renaud Icard.
■ Olmetta ou l'Amour et l'Ange, Renaud Icard, Roman écrit vers 1908, publié pour la première fois à Rouen, Imprimerie Wolf, 1946. Réédité par Jean-Claude Féray aux éditions Quintes-Feuilles, 2013, ISBN : 978-2953288575
Du même auteur : Mon page
Sur l'auteur et ses écrits, on peut lire avec intérêt l'article de Jean-Claude Féray, « Renaud Icard, à la porte de deux mondes » paru dans la revue Inverses, 2009.