Pissotières ou jarretière, faut-il choisir ? Pour un débat démocratique par Lionel Labosse
La devise républicaine d’« égalité » ne contiendrait-elle pas parfois des sous-entendus « contre-nature » notamment en tant que négation de la justice. Lionel Labosse, en réaction, à un article de Yannick Barbe paru dans Libération du 10 octobre 2012, a raison de s’indigner du manque de justice qui se cache derrière l'« égalité des droits » réclamée par Monsieur Barbe.
Ne jamais être dupe d'une morale qui n'est qu'aux lèvres de ceux qui la prêchent, telle est la devise que je pense partager avec Lionel Labosse.
Jean-Yves Alt
Benoît Duteurtre, qui avait déjà publié le 2 juin 2004 une tribune dans Libération intitulée « Noce gay pour petits-bourgeois », a récidivé avec à peu près les mêmes arguments dans Libération le 5 octobre 2012 (« Pourquoi les hétéros veulent-ils marier les homos ? »), ce qui lui a valu une volée de bois vert de Yannick Barbe, rédacteur en chef de Yagg.com, qui, dans une tribune du 10 octobre (« M. Duteurtre, gardez votre placard ! »), le renvoie avec élégance à une, je cite, « nostalgie romantique pour les pissotières ».
Puis Yannick Barbe nous ressert l’éternelle tarte à la crème de l’« égalité », dont les gays et lesbiennes qui ont voix au chapitre de la haute militance nous rebattent effectivement les oreilles depuis des lustres.
L’un des arguments de Yannick Barbe, qui n’évoque pas le fond du problème mais se contente d’invectives et autres « pissotières », est de demander à Benoît Duteurtre, et au-delà, aux altersexuels qui ne cèdent pas à cette obsession du « mariage gay » : « Étiez-vous à la Marche des fiertés LGBT de Paris en juin dernier, qui a rassemblé des centaines de milliers de personnes au nom de l’égalité des droits ? ».
La gay pride : no logo !
[…] Je n’y suis pas allé cette année, pour la première fois depuis 1988. Je ne supporte plus d’être assimilé à ce mot d’ordre imposé par des terroristes intellectuels. Et par solidarité avec Louis-Georges Tin, qui au moment de cette marche, était en grève de la faim pour obtenir la dépénalisation mondiale de l’homosexualité, reprochant à François Hollande de ne pas tenir ses engagements à cet égard. Mais sans doute pour M. Barbe, Louis-Georges Tin était-il aussi, comme Benoît Duteurtre, un de ces aristocrates méprisant les parias « souffrant-e-s, dans l’ombre, toléré-e-s pour peu que nous restions dans notre espace confiné qui est celui, au final, de l’illégalité » ? Quand je croise chaque jour dans les rues des centaines de personnes sans domicile quémandant une pièce pour manger, j’ai honte non pas du fait que des homosexuels demandent le mariage, mais qu’ils et elles le fassent en arguant de l’égalité. […]
Le fond du problème
[…] j’aimerais que vous nous donniez la liste des débats contradictoires menés ces années dernières auprès des altersexuels de base, dans les 120 centres LGBT de France ; la liste des consultations et débats menés dans la presse gay, les articles publiés sur votre site évaluant les tenants et les aboutissants des diverses voies (amélioration du pacs ou mariage ?), avant que les militants de l’aristocratie LGBT décident comme un seul homme de prétendre en notre nom à une seule et unique revendication ?
Les questions oubliées du débat
1°. Puisqu’il est question d’« égalité », qu’en est-il de l’égalité des bisexuels avec les monosexuels ? Le lecteur attentif aura remarqué que si dans la première ligne de votre article, vous prétendez parler au nom de, je cite, de « nous, lesbiennes, gays, bi et trans, au plus profond de nous-mêmes », dès le deuxième paragraphe de votre libelle, les bi et trans se sont envolés et, dans la peau de chagrin du mariage où vous voulez à tout prix nous chiffonner, ne restent que, je cite, « les gays et les lesbiennes ». […] Au nom de quelle prétendue « égalité » leur refuser, refuser à leurs enfants, une reconnaissance égale de leur solution de vie ? […] Quid de votre « égalité », monsieur Barbe ? Quid de la liberté, le 3e pilier de notre devise nationale ?
2° Le pacs, qui a connu un succès inespéré depuis sa création en 1999 (preuve qu’il n’est pas un « sous-mariage » comme le prétendent nos lobbyistes LGBT), devrait logiquement dépasser le nombre de mariages par an, grâce aux améliorations qui lui ont été régulièrement apportées. N’est-il pas à craindre que le « droit au mariage » une fois établi, le législateur, non seulement mette fin à toute amélioration du pacs, mais supprime même certains des avantages chèrement obtenus, s’il ne supprime pas carrément le pacs ? […]
Un « mariage gay », et un enterrement du pacs
3° N’est-il pas à craindre que, le mariage une fois obtenu, la naturalisation soit définitivement impossible pour les couples binationaux pacsés dont un des partenaires est extra-communautaire ? […] Connaissez-vous le coût d’un divorce ? Alors pourquoi obliger à se marier ceux d’entre nous qui souhaitent s’unir à un étranger ? […]
4. Votre obsession va-t-elle également rendre impossible une autre amélioration du pacs, celle qui aurait consisté à ce que les « ministres d‘un culte » (article 433-21 du code pénal) soient autorisés à procéder au mariage religieux après un pacs, et non pas seulement après un mariage civil ? Et que les dérogations pour un mariage à 17 ans pour « motifs graves » (article 145 du code civil) soient également possibles pour un pacs ? Pourtant, le pacs n’offre-t-il pas, avec sa possible rupture par simple lettre recommandée, une protection supérieure au mariage, notamment pour les jeunes filles plus faibles économiquement (donc incapables de payer un avocat pour divorcer), celles-là mêmes qui sont souvent contraintes à des mariages précoces pour raisons religieuses ? Avec ces améliorations et celle que j’aborde dans le point suivant, le pacs aurait définitivement dépassé et ringardisé le mariage, et en l’espace de dix ans nous aurions abouti à une égalité de fait, tout en en finissant avec l’horrible gale du divorce qui gâche la vie de plus d’une centaine de milliers de familles chaque année (la barre des 50 % de divorces par rapport aux mariages a été récemment franchie).
Le nerf de la guerre : qui va payer ?
5. Abordons maintenant un point névralgique négligé de toutes parts depuis que le débat est lancé, c’est la question financière. Qui va payer le coût du mariage ? Loi ou pas loi, les homosexuels sont dans leur immense majorité des célibataires. Votre loi va entraîner des conséquences fiscales et financières. Au niveau fiscal, qu’est-ce qui justifie que des couples, qu’ils soient de sexe identique ou différent, paient moins d’impôts pour la seule raison qu’ils sont mariés ? Qu’est-ce qui justifie que lors d’une succession, les enfants d’un couple pacsé ou en union libre, soient spoliés au profit des enfants d’un couple marié ? Est-ce cela, votre prétendue « égalité » ? Vous qui êtes avec vos pairs, un chevalier blanc du mariage et de, je cite, l’« égalité », expliquez-nous un peu comment vous entendez cette « égalité » d’une part entre les couples mariés qui bénéficieront non seulement de déductions d’impôts, mais aussi d’une pension de réversion, alors que les pacsés iront se brosser, d’autre part entre les célibataires et les couples ? Le seul fait de vivre à deux ne constitue-t-il pas déjà un avantage conséquent, surtout à notre époque où le prix du logement voit sa part augmenter de façon phénoménale dans le budget des ménages ? Je vous prie de bien vouloir expliquer aux lecteurs gays de votre site que ceux d’entre eux qui sont célibataires vont voir leurs impôts augmenter et leur retraite baisser pour financer le mariage des couples de même sexe. […]
Pour conclure, cher Monsieur Barbe, je suis d’accord avec Benoît Duteurtre, et lorsque vous militez pour cette dragée que je trouve poivrée, mais que vous êtes libre de trouver sucrée, je vous prie de bien vouloir éviter de parler en mon nom, et je demande aux militants qui dirigent la modeste association parisienne intitulée « Inter-LGBT », de cesser à l’avenir de nous imposer un slogan unique en tête de la « marche des fiertés ».
Pissotières ou jarretière, vous n’avez pas le monopole de la rancœur.
Lionel Labosse