Plan B pour l’été, Hélène Vignal
Louise, 15 ans, narratrice de ce roman, se fait une joie de passer une semaine de vacances en Bretagne avec sa mère divorcée et son meilleur ami, Théo, 17 ans. Son père est comme un fantôme ; elle est habituée à son absence.
Au dernier moment, la mère de l'adolescente doit remplacer une collègue absente, ce qui remet en cause cette semaine de camping. Louise doit rester seule chez sa grand-mère bretonne, Jamie ; sa mère lui interdit de faire du camping, seule, même avec Théo, un jeune homosexuel efféminé.
La jeune fille imagine alors un « Plan B » qui consiste à persuader la grand-mère à accompagner les deux jeunes gens au camping. Sans la réussite de ce plan, Théo devra rester à Paris chez ses parents.
Théo, qui n'a pas dit son homosexualité à ses parents, a besoin de cette semaine pour vivre comme il est vraiment, sans risquer des réactions violentes de la part de ces derniers.
« À la crêperie, je fais une véritable orgie […]. Pendant le repas, la conversation tourne vite autour de Théo. En fait, je m'aperçois que Jamie est persuadée qu'il est mon "bon ami", comme elle dit. Dans sa langue, ça veut dire qu'on sort ensemble. En rigolant dans les vapeurs du cidre, je lui lance que c'est pas demain la veille vu que Théo préfère les garçons. C'est un sujet dont on n'a jamais discuté, elle et moi. […] Au début, elle prend son petit air pincé, mais ça ne dure pas longtemps. Je lui raconte ce que Théo subit sans broncher, les insultes, les menaces, les vannes pourries, je lui parle du courage qu'il lui faut pour vivre ça chaque jour. Et comme elle a l'air de penser qu'au milieu de toute cette adversité il a bien de la chance d'avoir une famille et des amis, je l'achève en lui expliquant qu'il n'a jamais avoué quoi que ce soit à ses parents sur ses préférences. Jamie est décomposée. » (pp. 102-103)
Louise permet à Théo d'éviter devant ses géniteurs d'aborder le sujet de son orientation sexuelle. Grâce à elle, il peut passer pour un « parfait » hétéro car le vrai sujet difficile pour Théo, c'est celui de l'homophobie de ses parents :
« Là, Théo ne rigole plus du tout, n'est plus détendu, n'a plus de courage du tout, plus de force, plus d'assurance, plus de grand sourire, plus d'humour. Ces deux-là le tiennent. Il est comme une mouche prisonnière d'un verre retourné sur la table. C'est pour ça qu'avec eux il ne met pas de mots sur ce qu'il est, il espère être aimé encore un peu pour ce qu'il n'est pas. Quelques jours, quelques semaines, quelques années peut-être, à leur laisser croire que c'est un tombeur de filles, qu'il leur fera des petits-enfants et les emmènera camper en caravane, enfin tout ce qu'ils veulent entendre. Il ment par omission pour profiter encore de leur amour déglingué. » (p. 139)
« […] Théo gagne du temps avant la mise à mort, avant l'anéantissement qui arrivera un jour et que personne ne peut empêcher. C'est comme ça qu'il en parle avec moi, comme d'un truc inéluctable, écrit juste pour lui, sur un vieux parchemin prophétique pourri. Son projet, c'est d'essayer de tenir jusqu'au bac en jouant l'hétéro devant eux. Après, il espère pouvoir partir n'importe où, faire n'importe quoi, études ou boulot quelque chose qui lui donnera une bonne raison de partir de chez eux, sans rupture, sans drame, sans blessure, sans lynchage. » (pp. 139-140)
Le problème est de convaincre Jamie de partir une semaine sous une toile de tente. Comme la grand-mère est particulièrement névrosée et obsessionnelle, la tâche s'avère difficile. Louise, qui possède une bonne dose d'humour, réussit involontairement à persuader son aïeule à accepter le « Plan B » en abordant le sujet de son grand-père Michel, le mari défunt de Jamie. L'adolescente va alors découvrir les traumatismes de sa grand-mère : des blessures qui semblent inguérissables. C'est l'occasion pour l'auteure d'écrire de très belles pages sur les relations entre Jamie et Michel, avant et après la guerre d'Algérie. Louise devine que cette guerre a été vécue comme double révélation : la cruauté et l'amour. La jeune fille découvre la guerre dans sa tragédie intime quand le soldat appelé contre sa volonté est hostile, du plus sacré de son être, à la tuerie dont il est l'instrument. Louise se rapproche ainsi un peu plus de son aïeule qui accepte ce fameux « Plan B ».
Le personnage de Théo apparaît comme intelligent, maniéré, mélodique et un rien pédant à force de clins d'œil et de remarques envers les « familles parfaites » du camping. Néanmoins, l'auteure en fait parfois trop pour présenter ce personnage et ses difficultés liées à son homosexualité. Si Théo est sincère et inspiré, son introduction dans le récit sonne quelquefois faux. Il faut pourtant saluer la présentation positive d'un jeune homosexuel exubérant et aussi pudique. Son caractère doux, son attitude d'une correction parfois outrée en font un être attachant.
Le charme de ce roman est dans cet alliage exubérant du trivial et du précieux, dans cette culture de l'excès sous toutes ses formes.
■ Plan B pour l’été, Hélène Vignal, Editions du Rouergue/Do/Ado, 220 pages, avril 2012, ISBN : 978-2812603402
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