Renouveau de la pédérastie à la fin du XIXe par James Davidson
La pédérastie en vogue au sein de l'élite romaine de l'empire – qui se distinguait ainsi du républicain Cicéron – a connu un renouveau étrangement vivace à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. Les Uraniens, comme on les désignait en Angleterre, ont tenté, sous un masque de respectabilité, de reconstituer l'atmosphère pédérastique du temps de Platon, et le poète Stefan George a fait de même en Allemagne en créant le fameux cénacle qui honorait son « expérience » avec le jeune Maximin. Les Uraniens comptaient parmi eux le principal collectionneur d'œuvres érotiques grecques des temps modernes […] : l'Américain Edward Perry Warren, issu d'une riche famille de papetiers de Boston.
Une vie sexuelle bigarrée et inventive
Cette coupe, réalisée au Ier siècle, fut refoulée par la douane américaine au début des années 1950. Elle fut exposée pour la première fois en 2006 au British Museum.
Au début des années 1950, la coupe se vit refuser l'entrée aux États-Unis, pour cause d'immoralité, lors d'une vente des biens de Warren. Mais, dans les années 1990, elle fut reconnue comme un chef-d'œuvre, et le British Museum réunit 1,8 million de livres pour la garder en Grande-Bretagne. Elle a été exposée pour la première fois en 2006. L'omission d'une pièce aussi exceptionnelle reflète la négligence des auteurs envers l'art postclassique et les objets qui ne sont pas en céramique. La coupe de Warren, avec sa finesse d'exécution, nous emmène droit au cœur de l'univers hellénistique de l'Empire romain au milieu du Ier siècle de notre ère.
Les deux côtés de la coupe représentent un coït anal entre un homme et un garçon. Dans l'une des deux scènes, les amants n'ont qu'un faible écart d'âge, et le partenaire passif est assis à califourchon sur l'autre tout en se tenant à une sorte de courroie pour garder son équilibre. Dans l'autre, le garçon est nettement plus jeune, et il est étendu de côté sur les genoux du plus âgé. [Cette coupe] prouve qu'une scène de ce type pouvait être encore appréciée sur un objet de luxe des siècles plus tard.
Les spécialistes de l'Antiquité sont depuis longtemps attentifs aux attitudes des Grecs et des Romains à l'égard des rôles joués dans les rapports homosexuels. En règle générale, le partenaire actif ne voyait pas sa virilité dégradée, à la différence du partenaire passif. Cependant, il faut nuancer. Pour un garçon de moins de 18 ans, ou même un éphèbe entre 18 et 20, le rôle passif, s'il était consenti, faisait semble-t-il partie du processus d'apprentissage et n'avait pas d'incidence sur sa masculinité. Et la préférence pour le rapport intercrural qu'indiquent les vases classiques paraît une manière d'éviter une pénétration plus agressive, même si nous n'en serons jamais sûrs en l'absence de témoignage direct.
Nous ne saurons jamais non plus combien de ces liaisons se muaient en attachements à vie. Ce fut manifestement le cas pour certaines, mais probablement sans qu'elles conservent toujours leur dimension sexuelle. Nous savons également, grâce à Eschine, qu'un erastès pouvait passer sans problème d'un garçon à un autre sans encourir le moindre opprobre, à condition qu'il ne soit pas question d'argent. Pourtant, au cours des siècles tardifs, on voit des cités restreindre l'accès aux gymnases et protéger la jeunesse d'actes honteux. Puis nous découvrons la coupe Warren et la pédérastie affichée des empereurs romains. Cela au moment précis où Plutarque, qui était l'ami de tant des grands personnages de son temps, pouvait lancer son plaidoyer pour les joies de l'amour conjugal, tout en exposant avec sympathie celles de l'amour pédérastique.
La vie sexuelle des anciens Grecs était aussi bigarrée et inventive que leur culture resplendissante. Elle n'était ni cohérente ni uniforme. Aujourd'hui encore, elle résiste obstinément à toutes les idéologies et tous les préjugés modernes. Elle avait pourtant son propre code de décence. En matière de sexualité, comme dans tant d'autres domaines, les anciens Grecs étaient uniques.
James Davidson
Cet article est paru dans la New York Review of Books le 24 septembre 2009. Il a été traduit par Dominique Goy-Blanquet.
BOOKS numéro Spécial, décembre 2011-janvier 2012