Si j'avais voulu, Marcel Haedrich (1952)
Claire Neuvillard s'installe chez le Docteur Didier à Forley. Elle a obtenu le poste de professeur de français au collège de la petite ville. Le Docteur Didier brigue les suffrages des électeurs pour obtenir la place de Maire de Forley. La première nuit, le Docteur essaie de séduire la jeune femme mais celle-ci repousse ses avances.
— Si j'avais voulu…
Le roman se déroule sur plusieurs années. Au départ, Claire est notamment la professeure de Ted, le neveu du Docteur. Ted est un garçon tout en retenue. Il est excellent élève ; pour autant, il manque de chaleur dans tout ce qu'il fait. Claire a aussi une autre excellente élève : Florence. Cette dernière est tellement fascinée par sa professeure qu'un jour elle fait une tentative de suicide par empoisonnement. Le Docteur Didier et Claire réussiront à la sauver.
Quelques années plus tard, Ted et Florence sont partis à Paris pour étudier. Martin, le fils du Docteur Didier est devenu un élève de Claire. Le garçon est plus vif que son cousin ; il est attiré par une camarade de classe, Anne-Marie, mais ne sait comment s'y prendre avec elle.
A l’occasion de vacances scolaires, Florence, changée physiquement – elle est habillée et coiffée en « garçonne », – revient à Forley :
— Comme Paris vous a changé, Florence... Claire correspondait régulièrement avec son ancienne élève depuis qu'elle suivait des cours à la Sorbonne. Quels cours ? Mieux valait ne pas approfondir. En tous cas, Martin, remarqua que l'arrivée de Florence semblait exercer sur Mademoiselle une influence apaisante.
— Je te parlerai plus tard, lui avait-elle dit, en lui montrant la porte. Florence répétait :
— Je suis contente de vous revoir, Claire, et si heureuse de me retrouver dans cette chère école.
Tu parles. Et quel toupet d'appeler Mademoiselle par son prénom. Et quel toupet aussi de fumer dans la cour, où elle a accompagné son ancien professeur.
— Cela vous choque que je fume ?
— Vous n'êtes plus dans ma classe, bredouille Mademoiselle.
Je le regrette, soupire Florence.
Sans trop savoir pourquoi, Claire se sent à la torture. Pourtant, elle aime bien cette fille passionnée et un peu folle qui a failli mourir pour elle. Souvent elle pense à Florence. Souvent elle la revoit, blême, tordue sur son petit lit de fer. Que les adolescents sont compliqués. Que voulait donc Florence ? Qu'attendait- elle de Claire ? (p. 66)
Florence tente de séduire Claire qui n'est pas insensible aux charmes de son ancienne élève :
« Florence a pris possession du bras de Claire et elle l'entraîne dans la cour, de long en large, en riant fort et en envoyant des bouffées de fumée dans tous les sens. A deux reprises, elle utilise, sans la moindre gêne, et avec un naturel parfait, le mot de Cambronne.
— J'irai vous voir chez vous, décide-t-elle lorsque la récréation prend fin. J'ai tellement de choses à vous raconter.
— C'est cela, approuve Mademoiselle. Vous me direz ce que vous faites à Paris.
— Vous seriez choquée, se moque Florence.
Pour marquer un point, Claire lance, assez sottement :
— Je vous préviens que Ted n'est pas là. Il ne rentrera que dans une quinzaine de jours, après ses examens.
Florence ne relève pas l'insinuation. » (pp. 66-67)
— Si j'avais voulu…
Martin observe, sans comprendre tous les enjeux, le badinage entre Claire et Florence :
« Claire s'est dressée, aussi affolée que si elle venait d'être piquée par une vipère. Florence se trouve hors de portée de la gifle qu'elle lui destine. Agenouillée à trois pas, elle rit avec une perverse innocence, en lissant d'une main ses cheveux de garçon. Martin la dévisage avec stupeur. Pourquoi a-t-elle embrassé Mademoiselle sur la bouche ? C'est de la folie. Florence est sûrement folle à lier. Il s'en doutait. Il observe Mademoiselle, qui paraît déconcertée. Elle respire par saccades. Elle se lève. » (p. 77)
Florence a apporté à Claire le dernier roman de Victor Marguerite, « La garçonne ».
Mais Claire, contrairement à Florence, n'est pas lesbienne (le terme est utilisé page 132). Claire aura une aventure avec Ted. Elle tombera enceinte de lui. Le Docteur Didier, pour sauver la réputation de sa famille, pratiquera un avortement clandestin et la jeune professeure devra quitter la petite ville.
— Si j'avais voulu…
Avec ce roman, le lecteur devine que la société est à la charnière d'un profond bouleversement concernant la famille : les relations entre les individus vont passer au premier plan au détriment des rôles et statuts qui organisaient jusque-là les relations entre les sexes et entre les générations.
En signalant les préjugés discrètement homophobes de Martin, l'auteur donne à son roman une sincérité indéniable. Le personnage de Claire, qui ne juge pas, évite un enfermement dans une étroite vision de caste :
— Tu dois savoir qu'il y a des hommes qui... que... enfin, des hommes qui aiment les hommes.
Martin la laisse patauger ; il arbore un sourire narquois. Pour qui le prend-elle ? Pour un bébé ? Si c'était pour lui raconter ça qu'elle l'a retenu...
— Il y a longtemps que je le sais, grogne-t-il. C'est rudement dégoûtant.
Alors Claire, très vite :
— Eh ! bien, certaines femmes, également...
— Entre elles ?
Claire ne dit plus rien.
— Ça alors, grommelle Martin... ça alors... Les hommes, je me rends compte. Mais les femmes...
Il jette sur Claire un regard chargé de suspicion. Est-ce qu'elle se ficherait de lui ?
— Je ne vois pas du tout, avoue-t-il, mais pas du tout.
Claire lui donne des précisions, en procédant par analogies. Lorsqu'enfin Martin a compris, il crache, avec dégoût. (p. 132)
■ Si j'avais voulu, Marcel Haedrich, Robert Laffont, 1952, 205 pages