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Peinture pré-romantique (1)

Publié le par Jean-Yves Alt

Au XVIIIe siècle, la littérature est libertine. Au XIXe siècle, c'est la peinture. Pas pour longtemps, mais le pré-romantisme la voit abandonner ses tentations moralisatrices. Une mythologie ténébreuse sert de prétexte à une peinture de pur plaisir.

Dans le domaine des arts plastiques, avant la fin de l'Ancien Régime, l'Académie royale de peinture et de sculpture pèse encore de tout son poids. Il faudra attendre sa suppression en 1793 et l'installation du gouvernement impérial, pour qu'apparaissent, dans la peinture, des tendances nouvelles caractérisées par le goût des sujets étranges, érotiques ou morbides.

Même David, le maître incontesté de la peinture française à l'époque, abandonne ses grands sujets historiques et militants pour aborder des thèmes beaucoup plus licencieux comme Sapho et Phaon.

Jacques Louis David – Sapho et Phaon – 1809

Huile sur toile, 225cm x 262cm, Musée de l’Hermitage, Saint Petersbourg

« Parce qu'il l'avait conduite gratuitement sur l'île de Lesbos, Aphrodite offrit à Phaon, le vieux marin, un baume grâce auquel il devenait d'une grande beauté quand il s'en enduisait. Il détourna de leurs anciennes amours toutes les habitantes de l'île, à commencer par Sapho, la plus célèbre d'entre elles. »

L'érotisme du sujet touche ici au fantasme : un vieillard travesti en jeune homme parvient à séduire une femme homosexuelle.

Cet intérêt pour des sujets à l'érotisme complexe va aller en s'amplifiant à partir de 1815, quand la sensibilité romantique va de plus en plus faire éclater les cadres des attitudes morales du XVIIIe siècle. En affirmant la supériorité du sentiment sur la raison. Ce nouveau climat intellectuel va pousser les artistes à s'intéresser à l'homme lui-même, et particulièrement aux aspects les plus obscurs de son comportement.

L'irruption de ces sujets qui traitent de l'inquiétude, de l'insatisfaction de l'homme et de ses différents comportements amoureux est tout à fait surprenante à une époque où l'art officiel, d'abord soumis au culte révolutionnaire, puis impérial, doit ensuite immortaliser la restauration des Bourbons et le triomphe de la religion qui lui est consécutif. Si ces nouvelles représentations n'ont pas l'aspect scandaleux que leur contenu suppose, c'est qu'elles obéissent encore à la tradition gréco-romaine qui leur sert d'alibi pour le fond et de modèle pour la forme. En effet, si le sujet est tiré de la mythologie, son traitement s'inspire de la sculpture antique.


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Petit peintre, une bande dessinée de Berberian et Dupuy

Publié le par Jean-Yves Alt

Un vieux monsieur, amateur et critique d'art, s'éprend de la beauté des toiles d'un adorable garçon aux cheveux couleur des blés, Jeremy. Ce garçon est de plus génial, ce qui ne gâche rien.

Au grand dam de son père ancien militaire, Jeremy veut devenir peintre. Et l'altercation qui l'oppose à ses parents, quand commence l'album, engendre la fuite involontaire du rejeton hors du sein familial.

Jeremy c'est un petit bout de chou blondinet, haut comme trois pommes, convaincu de son génie pictural et qui, lors d'une de ses prospections dans les galeries, tombe sur le plus célèbre critique d'art du moment : Van der Draeger.

Le bonhomme rondouillard ne met pas plus d'une minute pour s'apercevoir que le petit a du talent et, bravant la loi et les tabous, lui propose une singulière hospitalité.

« Je te cache et te nourris, tu peins, je t'expose dans la plus célèbre galerie de Paris, j'empoche le succès et tu t'écrases. »

C'était sans compter sur Solange Dubreuil qui, chargée d'écrire la monographie du célèbre critique d'art devenu peintre, découvre le pot aux roses. Et l'enfant enfermé de devenir encore plus célèbre, et le père de continuer à le martyriser, et Solange Dubreuil, promue amie de la famille et commissaire des expositions du petit Mozart du pinceau, de répandre la bonne parole sur son œuvre dans les musées internationaux.

Petit Peintre, cette histoire d'enfant manipulé, est rondement menée par le couple Berberian/Dupuy. Le dessin est le résultat d'un style Art Déco. De plus, pour qui s'intéresse un peu à la peinture, l'album est truffé de clins d'œil amusants : de Paris, Montparnasse, au nom du critique Draeger qui n'est pas sans rappeler celui d'un éditeur d'art, tout concourt dans ce petit bouquin à recréer une ambiance particulièrement juste et pleine d'humour.

undefinedPetit Peintre, c'est aussi l'histoire d'un gosse paumé, transi par la froideur de ses parents et, finalement, à jamais trahi par les adultes. Dans un jeu savant de cadrages, Berberian et Dupuy rendent parfaitement compte de l'étrange oppression que subit Jeremy : gigantesques toiles qui mangent l'espace des vignettes et sur lesquelles le petit s'ingénie à projeter son désespoir. C'est dans ce labyrinthe blanc, prisonnier du monde des grands, que l'enfant passera le plus sombre de son temps à maudire le monde.

Il faut être attentif au jeu des ombres, au blanc qui envahit l'espace, aux raccords dans le plan, comme le chien du policier reniflant l'affiche de l'exposition dans laquelle seront montrées les toiles de Jeremy, ou ce faux indice fatal que sont les traces de peinture laissées par Van der Draeger pour son protégé.

Du pur délice !

■ Petit peintre, Dupuy & Berberian, Editions Cornélius, 2003, ISBN : 2909990877

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Pris par la main

Publié le par Jean-Yves Alt

Devant ce tableau, j'entends la voix de l'ange, sa si belle voix qui est comme une musique modulée, parfaite.

Une monotonie rythmée, chaude, grave, comme un chant grégorien sans l'église, sans le devoir, pour le plaisir de la voix, seul.

Mais plus que tout, je sens sa main prendre la mienne, comme il conduit Tobias...

Peinture de l'atelier de Verrocchio – Tobias et l'ange (détail) – XVe

National Gallery, Londres

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L'habillage du sexe reste toujours synonyme de gloire

Publié le par Jean-Yves Alt

Si le slip n'a plus la capacité exhibitionniste de l'étui, de la coque ou de la braguette, il est supposé convaincre – au partenaire amoureux – que sa vertu révolutionnaire réside surtout dans son caractère moulant.

Déjà dans les sociétés primitives, le porteur d'une peau animale avait la prétention d'hériter de la puissance de cette bête, tel Héraclès revêtu de la peau du lion ou les sectes contemporaines d'hommes-léopards ou d'hommes-panthères.

Le slip épouse les formes de l'homme : l'un et l'autre s'échangent leur sensualité. Cette adhésivité qui peut être parfaite entre le sexe et son tissu a d'ailleurs toujours fait l'objet des plus grands scandales et des plus vifs reproches ; c'est ainsi que la feuille de vigne a toujours été au centre de combats farouches. Jean-Claude Bologne en rend compte dans son Histoire de la pudeur et rapporte la citation suivante, tirée du Journal des innocents : « La pensée d'une feuille adhérente comme un polype au sexe d'une statue est plus indécente que toutes les pensées des grivois et des rieurs cyniques. »

Après de nombreux avatars, le slip se libère totalement à la fin des années 60 ; le tissu rétrécit, les fesses sont étroitement enserrées et la plupart du temps écartées, en deux disques bombés qui autorisent quelques suggestifs effets de transparence.

Le slip épouse les formes du corps et aux slips lâches d'antan on préfère les slips bien coupés d'aujourd'hui. Si le sexuel ne se déchiffre plus ouvertement sur le vêtement extérieur, il circule plutôt dans le discours publicitaire, la consommation étant désormais associée au pénis. Aujourd'hui, l'homme a le droit de s'occuper de son propre pénis, le plus souvent sous l'égide de la mode et des pouvoirs de représentation de la publicité qui fait du corps un fantôme de corps, un corps qui porte toujours la griffe des autres. Ce n'est plus le pénis qui bande, c'est littéralement le slip ; c'est la rhétorique publicitaire qui provoque l'introuvable érection.

Tant que ces effigies phalliques que sont les vêtements et sous-vêtements parviendront à ouvrir aux fantasmes l'accès à l'érotisme, à lui donner une forme tangible, il restera l'objet le plus aisément « sacralisable ».


Lire aussi : Quand Jean-Paul Aron parlait des slips masculins

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Sur l'homophobie par Eric Fassin

Publié le par Jean-Yves Alt

TOC : Justement, une loi sur l'homophobie distinguerait une forme de discrimination parmi d'autres. Cela peut servir, mais aussi desservir, la cause de l'égalité des droits. Est-ce que l'on ne s'éloigne pas un peu du droit à l'indifférence qui était revendiqué par de nombreux homosexuels, en s'éloignant de l'égalité des droits avec une loi spécifique ?

Éric Fassin : Il faut bien voir qu'il y a deux approches qui peuvent être complémentaires, mais qui peuvent aussi entrer en concurrence : on peut faire une loi contre l'homophobie ou bien s'interroger sur l'homophobie de la loi. Une loi contre l'homophobie suppose des individus homophobes : c'est une sorte de pathologie sexuelle inversée qu'il faut réprimer. Mais on peut renverser la perspective : qu'est-ce qui légitime cette homophobie ? Voilà qui oblige à réfléchir aux lois qui instituent le mariage et la famille. Considérer que dans notre société ces institutions sont tellement sacrées qu'il est essentiel de ne pas les profaner en les ouvrant à l'homosexualité, n'est-ce pas une homophobie d'État ? Donc, quand on parle d'une loi contre l'homophobie, faisons-nous seulement allusion au dérapage de quelques individus, évidemment condamnables, ou bien aux fondements sociaux, politiques et légaux de cette homophobie, autrement dit, à l'institution d'une hiérarchie des sexualités par l'État ? Songeons aux réactions d'homophobie très violentes qu'a suscitées Noël Mamère avec le mariage de Bègles. En fait, certains utilisaient la proposition de loi contre l'homophobie pour se dédouaner du soupçon d'homophobie que pourrait donner leur opposition à l'ouverture du mariage et de la filiation, et donner l'impression de faire quelque chose, au moment où ils refusent de toucher à l'essentiel.

TOC : J'aimerais revenir sur tous les cas limites d'homophobie qui pourraient se produire.

Éric Fassin : Ce sont plus que des cas limites à mon sens, c'est une définition radicalement différente. Si l'on acceptait la définition large selon laquelle on peut parler d'homophobie dès que l'on affirme que l'hétérosexualité, c'est mieux, autrement dit, dès qu'on pose l'inégalité des sexualités (de même que poser l'inégalité des races nous paraît raciste), on voit, en pratique, que ça concernerait presque tout le monde ! Qu'est-ce qu'une loi qui, potentiellement, toucherait tout le monde ? C'est une loi qui n'aurait aucune application.

TOC : Comment interprétez-vous le discours des gens qui sont favorables au mariage homosexuel et défavorables au droit à l'adoption par les couples homosexuels ?

Éric Fassin : Aux États-Unis, c'est la logique inverse : c'est le mariage qui est sacralisé. C'est un point important pour comprendre qu'il n'y a pas de raison absolue justifiant cette hiérarchie des valeurs. La hiérarchie française n'est pas universelle. Pourquoi la filiation est-elle plus sacrée que l'alliance aujourd'hui en France ? Une des réponses possibles est que la filiation est devenue un enjeu extrêmement important dans les débats sur la définition de la nationalité.

[Faut-il] interdire l'adoption par un célibataire, qui est légale depuis 1966 ? C'est la question que j'avais soulevée pendant le débat sur le Pacs : comment peut-on dire que le couple homme-femme est le fondement anthropologique de la civilisation alors qu'on autorise l'adoption par les personnes célibataires ?

Eric Fassin, sociologue, Ecole normale supérieure

in revue TOC (Trouble Obsessionnel culturel), n°7, décembre 2004, pp. 12 à 15, (extrait)

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