C'est la première fois que la lutte contre l'homophobie est inscrite dans la circulaire de rentrée. C'est un acte fort. Pourquoi maintenant ? Et avec quelles actions concrètes ?
Dans le cadre de notre rôle d'éducateur, la lutte contre l'homophobie est à mon sens un enjeu essentiel. Ce qui nous a déterminés à être plus explicites, c'est que l'année dernière, dans notre logiciel Sivis qui recense les violences de toutes natures, nous avons introduit les actes liés à l'homophobie. Et de septembre à novembre 2007, les violences à caractère homophobe ont représenté 0,6% du total, et de décembre à février 2008, 0,3 %. Il s'agit de signalements, non de la réalité. Il est donc nécessaire de réaliser un travail de sensibilisation auprès de nos personnels, en mentionnant que la lutte contre l'homophobie est un des critères d'incivilités. Nous incitons les chefs d'établissement à bien nous renseigner pour qu'on ait une idée précise de l'ampleur de ces incidents et la nature qu'ils peuvent prendre. De plus, au lycée, nous lançons une campagne d'affichage dès la rentrée pour faire connaître la ligne Azur qui permet aux jeunes qui ne sont pas bien, ou qui ont le sentiment d'être embarrassés par autrui, de trouver une écoute d'une manière anonyme auprès de gens qui connaissent ces questions. Car il n'est pas garanti que tous nos professeurs ou tous nos encadrants sachent dire des choses utiles. Un chiffre nous est insupportable : le taux de suicide des jeunes homosexuels est près de trois fois supérieur à la moyenne. C'est un sujet que la communauté éducative doit prendre en compte. Je dirais qu'on a changé de braquet : signalement, lettre de rentrée, incitation des chefs d'établissement, mise en place d'une campagne active autour de la ligne Azur.
Concernant la prévention, des associations réalisent des interventions sur la lutte contre l'homophobie. L'une d'entre elles, Couleurs Gaies, a pourtant eu bien du mal à obtenir un agrément auprès de l'académie Nancy-Metz...
Je considère tout à fait normal que les recteurs donnent des agréments aux associations. Mais que tel ou tel recteur ait pu considérer que le recours à des associations, qui ont pour vocation d'aider la communauté éducative à lutter contre l'homophobie, n'était pas souhaitable, c'est une erreur, c'est une faute, et ça ne se reproduira pas. Cela ne veut pas dire qu'on ouvre les portes à n'importe qui ! Il faut que les recteurs restent vigilants et attentifs. Mais je souhaite l'intervention d'associations, car nous avons besoin de gens qui savent faire : c'est plus facile pour tout le monde, et plus efficace.
Ces interventions sont utiles, mais elles restent ponctuelles. Est-ce que cela suffit ?
Au fond, votre question c'est : « Comment sensibiliser et former les personnels ? » Ce qui est certain, c'est que dans les formations initiales, il y aura un module qui traitera spécifiquement de la question.
Lutte contre l'homophobie ou lutte contre les discriminations ?
Un module sur les signalements des formes de discrimination, de toutes natures, notamment liées à l'orientation sexuelle des jeunes, ça c'est certain. Comme nous sommes en pleine mutation des formations initiales, je serais imprudent de vous donner des détails. Mais le principe acquis, sur lequel je m'engage en tout cas, c'est que cette question fasse partie des sujets que devront avoir à rencontrer nos personnels dans nos formations, en cours d'année prochaine ou à la rentrée prochaine.
Justement, quand l'incident est provoqué suite à l'affirmation tout à fait légitime d'un ado – car pour éviter le suicide, il faut bien que les ados puissent s'affirmer au sein de l'institution scolaire –, vous seriez chef d'établissement, quelle attitude adopteriez-vous ?
Nous avons dans nos établissements toutes sortes de moyens pour faire réfléchir la communauté tout entière à une situation difficile, notamment les cours d'instruction civique juridique et sociale, qui sont tout à fait modulables, et permettent de réagir à des événements. J'imagine que le proviseur, dans cette situation, demanderait au professeur principal de faire en sorte que toute la classe se parle et fasse un travail collectif.
Campagne d'affichage au lycée, pourquoi pas au collège ?
C'est un peu plus difficile, les élèves y sont plus jeunes, il y a des enfants de 11 ans.
Il y a aussi des classes de quatrième et de troisième...
Les élèves du collège sont moins homogènes qu'au lycée, et il existe une vigilance beaucoup plus grande de certaines familles concernant tous ces sujets. C'est toujours un peu compliqué. Bien sûr, je suis très favorable à ce que les questions de sexualité soient abordées au collège, ce qui est le cas d'ailleurs, et qu'à cette occasion soient évoquées les options sexuelles des uns et des autres, mais je ne sais pas si on pourrait traiter de ce sujet dès la classe de sixième. Et d'ailleurs, dans quelle discipline ?

Il y a pourtant plein de matières où on pourrait aborder la question...
La solution passe par une personne référente auprès de qui les adolescents puissent parler. Les infirmières font un très bon travail, je crois que c'est sur ça qu'il faut s'appuyer, plutôt que sur une obligation normative qu'on ferait à tous les collégiens. Elles savent faire, c'est plus facile pour elles que pour les profs qui ne sont pas habitués. Tout le monde ne sait pas directement parler à un enfant de 13 ans de l'éveil de sa sexualité, ou des choix sexuels qui sont les siens.
Mais là, vous parlez d'une prise en charge individuelle...
Plutôt oui, pour ces enfants qui deviennent adultes. Un moment très difficile...
Peut-on peut imaginer un jour la distribution auprès des professeurs de fiches pédagogiques ?
Je pense à l'initiative de la communauté francophone de Belgique. Nous sommes au cœur d'un dispositif propre à l'Éducation nationale française qui est la liberté pédagogique. Nous pouvons évidemment, dans nos formations initiales, sensibiliser les enseignants sur le fait que la lutte contre l'homophobie est un acte éducatif, mais les conseiller sur les programmes, je ne crois pas que cela soit possible. Ni que cela serait compris.
TÊTU n°136, Propos recueillis par Marc Endeweld, septembre 2008, pp. 94/95
Photographie de David Balicki