Gérard Rancinan, Erwin Olaf, Tony Duran, Arman Livanov, James Bidgood, Damien Dufresne, Olivier Valsecchi, Stéfanie Renoma, Julien Benhamou, Jonathan Icher, Jam Sutton, Cédric Roulliat, Hans Withoos, Leonard Corredor, Louis Blanc, Ruben Brulat, Alex Malikov.
« Montrer du nu, oui, mais masculin, pourquoi ? », comme si le seul adjectif tolérable était le mot « féminin » !
En regardant un grand nombre de photos de nus masculins antérieurs, il apparaît clairement qu'il était jugé nécessaire de renforcer des images de nudité masculine afin de les rendre « plus masculines » En termes de nudité générale, on y parvenait souvent par référence aux deux traditions du nu masculin aux Beaux-Arts : les héros et dieux de l'Antiquité ou bien les nobles souffrances du martyr chrétien. Quant au pénis proprement dit, le problème semblait résider dans le fait que la réalité anatomique ne parvenait pas à répondre à tous les fantasmes du phallus théorique. En conséquence, le pénis était souvent photographié de façon à le rendre anormalement considérable, ou bien alors quelque symbole phallique plus impressionnant et plus spectaculaire était employé en substitution (colonne, etc.) Dans cet album, Tony Duran en fait ouvertement la satire.
Les photographies retenues montrent que le corps masculin est un objet de beauté ; certaines photos dégagent un érotisme si puissant que leur attrait dépasse les limites de l'orientation sexuelle du spectateur.
L'album est divisé en quatre parties qui abordent le nu masculin d'un point de vue différent et complémentaire. Chaque partie s'interpénètre avec la suivante : la première s'intitule « L'idéal classique », la seconde « Principes de la composition », la troisième « Lignes, rythmes et proportion », la dernière « Flash sur quelques artistes ».
Cet album, sur beau papier, rempli de photographies émouvantes, est d'abord un hommage admiratif à tous ces photographes et du coup à leurs prédécesseurs, mais aussi une véritable encyclopédie qui se transforme, selon l'humeur ou la nécessité, en un exceptionnel outil de travail ou un espace intime à la recherche d'un homme disparu ou à venir.
Les sources d'inspiration des photographes présentés sont diversifiées : la peinture religieuse et d'Histoire, la mythologie, la littérature, la danse, la haute couture, la nature, etc.
Ce beau livre débute par un avant-propos de l'artiste plasticienne Orlan (sur son nu masculin intitulé « L'origine de la guerre ») qui ravive toutes les interrogations qu'on peut avoir en lisant le titre de cet album : « L'homme nu ». Ce qui apparaît clairement dans cet avant-propos, c'est que les photos d'hommes nus dérangent encore. Peut-être parce que cela semble aller contre l'ordre naturel des choses, selon lequel seul le corps féminin devrait faire l'objet d'un regard et que ce regard est celui de l'homme. Il est plus que probable que l'explication la plus manifeste à ce malaise général soit la crainte de l'homosexualité, qu'elle soit chez les autres ou soupçonnée pour soi-même. N'oublions pas ce qui semble le plus étranger à l'Etat, ce que nous considérons comme tout à fait privé, personnel, intime – le corps – ne se trouve pas hors du domaine politique mais en son sein même.
Gérard Rancinan, Olivier Valsecchi, Hans Withoos, Stéfanie Renoma et James Bigood sont des photographes particulièrement poétiques parmi les « grands » de l'image.
Avec Gérard Rancinan, les hommes ressemblent à des dieux. L'artiste donne à voir le triomphe des hommes conquérants, qui, en mimant les dieux, indiquent l'inéluctable de leur propre mort. Face à sa « dernière cène », le photographe apporte sa réponse, dérisoire et majestueuse : tous les dieux doivent mourir.
Le voyeurisme chez Tony Duran procure une sensualité à ses photographies : de face, de dos, fesses rondes et dures, jambes resserrées ou écartées, répondent parfaitement à cette volonté de voir les êtres en action. Tony Duran sait rendre expressif un mouvement naturel, même si on peut deviner qu'il a été amené à positionner ses modèles en des attitudes inconfortables et surfaites qui ont pourtant comme effet de rendre l'image plus vraie que nature.
Olivier Valsecchi est le photographe pudique des corps triomphants. Le corps, compte tenu de son extrême richesse, apparaît chez cet artiste aussi multiforme et varié qu'un paysage. Sur lui, il joue avec la lumière et essaie de capter, de prendre ce que ce corps immobile lui offre. Certains corps – en dehors d'une absence de regard – sont semblables à des statues antiques. Poitrines gonflées, ils apparaissent glorieux. Paradoxalement, ils semblent à la fois en élévation et comme plantés dans le sol bien que leurs jambes ne soient pas photographiées.
Il y a une magnificence dans les images de Stéfanie Renoma, qui se confronte à la discrétion, à la pudeur dans ses mises à nu réelles, métaphoriques et intellectuelles : c'est dans cette distance que s'opère peut-être sa véritable magie. Romantiques, écologistes ( ?), les photographies de Stéfanie Renoma constituent une sorte de bohème, une dolce vita.
Stéfanie Renoma – Androgynie de Normal Magazine sur Vimeo
Dans un monde misérable, Erwin Olaf choisit d'être parfois dans le registre de la monstration ; il ne démontre rien, mais rend compte par ses images : outre ses corps triomphants, il y a ceux qui peuvent irriter par la mort présente.
Hans Withoos, dans ses mises en scène, offre au regard la vitalité et la seule zone honteuse du corps du bourgeois : son corps nu car le « cul, c'est privé, c'est à toi seulement de t'en occuper, ça n'a pas de place dans le désir socialement admis » (F. Guattari, G. Deleuze, L'anti-Œdipe).
Les corps photographiés par Louis Blanc et Damien Dufresne sont un véritable festin de la vue. Leur travail (très différent l'un de l'autre) n'est pas de restituer la réalité des corps mais de la transfigurer, de fixer un moment de grâce absolu, de fixer l'instant ou un geste, une expression arrivant à leur apogée. Le spectateur est saisi par une exaltation de deviner, de trouver une insaisissable beauté.
On devine que pour Damien Dufresne rien n'est plus exaltant que le travail de la lumière sur le corps : un corps blanc devient de marbre et un corps noir devient subitement de bronze, en prenant un côté métallique. Ainsi, ils se suffisent à eux-mêmes.
Jonathan Icher semble utiliser la photographie comme élément d'une longue et douloureuse (?) exploration de la relation entre le moi et le corps, le moi et le sexe, le moi et la nature fondamentale.
Julien Benhamou - Backstage Normal Magazine de Normal Magazine sur Vimeo
Ce livre contribue à hisser le thème du nu masculin de l'art photographique hors du ghetto-image dans lequel il languit parfois encore. Par le biais du mélange d'interviews des photographes et du plaisir visuel des œuvres présentées, le lecteur est amené à se poser une question : non pas « pourquoi le nu masculin ? », mais « pourquoi si longtemps seulement le nu féminin ? »
C'est fou, l'art du nu masculin !
Un beau livre à faire partager.
Normal Magazine, le site
Normal Magazine n°7, L'Homme Nu, tome 2, 250 pages, automne 2016, 25€ (+5€ de frais de port)
PS : Je devine que les photographes n'apprécient que rarement qu'on décortique leur univers imaginaire car ils doivent se sentir trahis. Qu'ils veuillent bien me pardonner si c'était le cas.