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Plaisirs singuliers, Harry Mathews

Publié le par Jean-Yves Alt

Poète et romancier américain, Harry Mathews fait découvrir dans ce joli petit livre élégamment mis en page par Paul Otchakovsky-Laurens, le monde mystérieux et très très érotique des plaisirs singuliers, autrement nommés les plaisirs honteux...

A faire retourner dans sa tombe le brave docteur Tissot , l'auteur de « L'onanisme, dissertation sur les maladies produites par la masturbation ».

« Un homme de soixante-huit ans est couché sur un lit qui n'a pas encore été fait et se masturbe. La pièce, emplie de caisses ouvertes et de meubles en désordre, est située dans une très belle maison dominant Le Cap. Il vient tout juste de s'y installer. Tout au long de sa vie, chaque fois qu'il a déménagé, il s'est rendu compte qu'il ne se sentait chez lui qu'après s'être masturbé en sa nouvelle demeure. Sa femme le prie de ne pas traîner. » (page 8)

Plaisirs singuliers, Harry Mathews

A la fois plaisant, délicieux, poétique ou simplement narratif, ce petit précis des mille et une manières à l'usage des adeptes des plaisirs singuliers est à placer dans sa bibliothèque entre « Les petits métiers » de Tony Duvert et « Les mots et la chose : le grand livre des petits mots inconvenants » de Jean-Claude Carrière.

■ Plaisirs singuliers, Harry Mathews, Traduit par Marie Chaix, P.O.L., 88 pages, 1983, ISBN : 2867440033


Du même auteur : Cigarettes

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Rameau précaire par Jean Geoffroy

Publié le par Jean-Yves Alt

Le garçon ne rit pas. Il est seul avec son fagot de bois sous le bras. Il traîne de l'autre main une longue branche.

Son pantalon rapiécé est trop court : il dévoile des jambes maigrichonnes à l'image des morceaux de bois qu'il porte.

Que ressent-il sous son visage impassible ? Son regard semble attiré par quelque chose qu'il a vu ou entendu : il paraît plus désabusé que d'avoir peur.

Sa blouse bleue, aussi usée que son pantalon, semble apporter un peu d'entrain à ce tableau et surtout dévoile la beauté de cet enfant.

Rameau précaire par Jean Geoffroy

Jean Geoffroy (1853-1924) – Enfant pauvre

Huile sur toile, Musée de Bayeux

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Pour un ministère de l’abolition de la famille par Marcela Iacub

Publié le par Jean-Yves Alt

La reconnaissance symbolique de familles monoparentale, recomposée ou homoparentale ne changera rien au réel malheur familial.

Au lieu de remplacer le singulier par le pluriel dans l’intitulé du ministère «des Familles», au lieu de ministère «de la Famille», François Hollande aurait pu profiter du dernier remaniement pour introduire des réformes sémantiques d’une plus grande ampleur. En effet, à quoi bon octroyer des reconnaissances symboliques aux familles homoparentales, monoparentales, recomposées, quand il y a tant de gens qui souffrent à cause du couple, de la filiation ou de la garde des enfants ?

En réalité, il ne faut pas voir de maladresse dans cette manière de faire. C’est à bon escient que les politiques préfèrent s’occuper de reconnaissances symboliques plutôt que de réalités douloureuses. Car ces dernières disparaissent des esprits quand on s’occupe des premières. Plus que cela. On fait croire que les familles majoritaires sont tellement heureuses que celles qui se trouvent aux marges devraient connaître le même sort. Plus qu’heureuses. On cherche à nous convaincre que c’est la seule manière digne et humaine de vivre en couple et de socialiser les enfants.

Or, il suffit d’observer comment vit cette immense majorité pour comprendre l’urgence : il faut absolument intervenir pour sauver les enfants, les femmes ainsi que les hommes de cette institution mortifère.

Près de 160 000 enfants par an vivent le divorce de leurs parents, ce qui implique pour une grande partie d’entre eux de ne plus voir leur père. Mais, avant ou après ce divorce, un nombre encore trop important d’enfants meurent sous les coups de leurs parents ou de leurs beaux-parents ou subissent des violences de toute nature.

Quant aux autres, ceux qui ont la «chance» de grandir dans des familles normales, ils sont l’objet de passions parentales qui les culpabilisent, les aliènent et les empêchent de devenir des êtres autonomes et épanouis. Et que dire du triste sort des femmes lorsqu’elles accomplissent le rêve majoritaire, celui de devenir mères ? On sait que, même lorsqu’elles sont plus diplômées que les hommes, la venue au monde des enfants les met dans des situations de dépendance au regard de leurs compagnons et dégrade leur vie professionnelle. Parmi celles qui sont en couple, 19 % sont inactives et 31 % ont un emploi à temps partiel. Cette dépendance les empêche souvent de se séparer de leur conjoint, y compris lorsqu’elles sont objets de violences.

Et que dire de la misère de celles qui se trouvent à la tête d’une famille monoparentale, dans la précarité économique et la solitude affective ? Cette triste comptabilité ne doit pas oublier les milliers d’hommes séparés du jour au lendemain de leurs enfants, traités comme des salauds et accusés parfois à tort de crimes envers leurs compagnes.

Ce paysage familial est tellement catastrophique que l’on se demande si ce n’est pas un dieu vengeur qui l’a conçu pour punir l’humanité de ses innombrables fautes. Le fait de critiquer ces nouvelles formes familiales est immédiatement taxé de réactionnaire, et ce à tel point que les seuls pourfendeurs sont les catholiques intégristes qui voudraient rétablir la famille des années 50, abolir l’avortement, la contraception, empêcher les femmes de travailler et envoyer les homosexuels en cure psychiatrique. C’est pourquoi n’importe quel politique qui aurait un peu de courage devrait proposer la création d’un ministère pour l’abolition de la famille. Et convoquer aussitôt des assemblées citoyennes pour imaginer des alternatives à la situation actuelle.

Autrement, le nombre de solitaires ne cessera d’augmenter, comme c’est le cas depuis plusieurs années. Nos idéaux d’autonomie, de liberté et d’égalité prendront le pas sur l’esclavage et le malheur des réalités familiales. De moins en moins de monde osera s’y aventurer. Ce jour-là, il ne sera plus question d’un ministère de la famille, au singulier ou au pluriel, mais d’un ministère de la solitude. De toutes les solitudes.

Libération, Marcela Iacub, samedi 12 mars 2016

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Un prix d'excellence, Jean-Louis Bory

Publié le par Jean-Yves Alt

« Un prix d'excellence » est un manuscrit retrouvé de Jean-Louis Bory qu'il faut déguster car cette particulière autobiographie ne retient du temps que l'inaccessible bonheur.

De cette distribution des prix à Méréville au prix Goncourt pour son premier roman (« Mon village à l'heure allemande, 1945), Jean-Louis Bory a toujours eu le prix d'excellence. Pourtant l'auteur met en garde : il y avait eu ces oiseaux, des troupeaux ailés qui chantaient à tue-tête au-dessus du petit garçon, alors que le député Mandore, blessé de guerre greffé de béquilles, lui remettait le beau livre : « Le Merveilleux Voyage de Nils Holgersson à travers la Suède ».

Ces oiseaux goguenards et libres, Jean-Louis Bory est seul à les entendre, comme il capte seul le mot que psalmodie le député bancal : MAALESH. Tout aurait été pour le mieux dans le meilleur des mondes douillets si la vie, soudain, ne criait qu'elle était ailleurs :

►du côté des mauvais élèves, au fond de la classe : ceux qui s'adonnent aux plaisirs délicieusement pervers, du côté de ce John qui, nu, sa pèlerine enveloppante, tel l'oiseau de mauvais augure, secoue les ailes du vêtement pour satisfaire, à la sortie des écoles et autres lieux de jeunesse, son irrésistible goût d'exhibitionniste consommé. Jeux de vilain, jamais consommés, jusqu'à ce qu'un psychiatre pratique ne le détourne vers la baguette phallique d'un chef d'orchestre.

►du côté des caves du lycée : bref, l'autre vie, celle du désir et des amours insatiables, des rêves grandioses et poignants de l'homosexualité.

Sur le dos d'une hirondelle, l'enfant, puis l'adolescent, voyage au-dessus de sa vie, itinéraire insolite de l'écrivain qui décèle que les choses essentielles ne sont pas celles, officielles, que le succès estampille.

Récits, contes, fragments, cette autobiographie de l'émotion se joue de la chronologie, retire du passé les éclairs cocasses ou douloureux qu'un biographe aurait escamotés si tant est qu'il en ait eu connaissance.

Un prix d'excellence, Jean-Louis Bory

« Un prix d'excellence » a été écrit un an avant la mort de l'écrivain. Ironie, émotion et lente traversée de la nostalgie disent les instants furtifs qui ne sont compréhensibles qu'après coup. Souvenirs, si simples que nous pouvons faire nôtres, comme cet ouvrier agricole polonais qui serre l'enfant sur sa poitrine velue, l'embrasse entre chaque lampée de vin et lui lègue, à travers l'ivresse, l'intensité d'un regard : l'autre ivresse d'un désir impossible à exprimer.

Jean-Louis Bory a aimé la beauté, les hommes, l'art, les manifestations humaines ; il fut aussi l'homme de la transgression, l'homme courageux d'une homosexualité libérée des entraves et des pièges intérieurs. Il y avait sans doute aussi en lui, un enfant, un tendre, affamé d'amour, que le tourbillon du monde oubliait. Il en reste ce livre merveilleux, drôle, troublant, acrobate : celui d'un homme qui se livre sans filet, seul et à la fois proche.

■ Un prix d’excellence [le texte lui-même est daté à la fin de Noël 1978], Editions Gallimard, 192 pages, 1986, ISBN : 978-2070706426

Quatrième de couverture : Ce manuscrit retrouvé de Jean-Louis Bory, il l'avait écrit un an avant de disparaître. C'est un vagabondage, très libre, très personnel, au pays de son enfance. À Méréville, en Beauce, quand il y avait la distribution des prix, Jean-Louis recevait toujours le prix d'excellence. Et c'est ainsi qu'on lui remet en récompense Le merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la Suède, livre magique qui provoque la rêverie. À son tour, Jean-Louis voyage sur le dos d'une hirondelle, au gré de sa fantaisie. De la vie familiale et ses orages, il saute en Corse, qu'il explore en compagnie d'un âne. Il évoque son lycée Henri-IV, où il fut élève, puis professeur. Il raconte avec infiniment de drôlerie une visite qu'on lui fit faire à Colette, pour la remercier de lui avoir donné le prix Goncourt.

Le vagabond fait halte pour nous raconter des histoires. Des contes et des nouvelles parsèment son récit, comme les cailloux jalonnant l'itinéraire du Petit Poucet. C'est l'histoire parodique, freudienne et britannique d'un exhibitionniste londonien ou celle d'une demoiselle des Postes qui détourne des lettres par amour. Ou encore une histoire d'anges gardiens qui se joue entre Montmartre et les Tuileries.

À chaque ligne, à chaque phrase, on retrouve, avec bonheur et nostalgie, la voix d'un véritable écrivain.


Lire aussi sur ce blog une biographie écrite par Daniel Garcia Daniel sur Jean-Louis Bory

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La confusion des sentiments par Marcela Iacub

Publié le par Jean-Yves Alt

Au lieu de s’empêtrer dans une union où le désir sexuel a disparu, mieux vaut choisir la voie du couple chaste et aller coucher ailleurs.

Dans « Une jeunesse sexuellement libérée (ou presque) » (Albin Michel) – que je ne conseille à personne d’acheter –, la sexologue Thérèse Hargot constate que les adolescents qualifient de « pute » une fille qui couche sans sentiments. Alors que chez les garçons, ces comportements n’éveillent pas la moindre critique. Eux, ils peuvent le faire avec ou sans. Mais malheureusement l’auteure ne s’attarde pas trop sur le sens des mots qu’elle rapporte. En effet, que veut dire au juste « coucher avec des sentiments » ? Est-ce que ces sentiments se distinguent du désir sexuel et ressemblent à ceux que l’on éprouve envers une mère, un fils, un ami ou sont-ils de même nature ? S’ils sont différents, on ne voit pas pourquoi on exigerait du partenaire de ne pas coucher avec d’autres personnes. On le pousserait même à le faire pour qu’il soit heureux. La jalousie serait la preuve de l’absence des sentiments.

En bref, si le mot « sentiments » n’était pas lié au désir sexuel, il ne pourrait pas faire allusion au type d’expériences auxquelles songent les filles qui ne sont pas « putes ». En revanche, s’il s’agissait d’émotions de la même nature que le désir sexuel, nous nous trouverions face à d’autres paradoxes.

Pour toute une tradition philosophique, un peu oubliée aujourd’hui, le sentiment amoureux serait un épiphénomène du désir sexuel. L’amour ne serait rien d’autre que l’attente des plaisirs futurs.

Si l’on tient compte du fait que tant de couples qui croyaient s’aimer se séparent lorsque le désir sexuel disparaît, il est normal d’adhérer à cette hypothèse. De ce fait, lorsqu’on dit que l’on peut coucher avec ou sans sentiments, on parle en vérité d’autre chose que d’une opposition entre le désir et le cœur, l’âme et le corps. Dans les deux cas, il s’agit des désirs charnels sauf que lorsqu’on dit que c’est avec des sentiments, ces désirs sont beaucoup plus puissants que quand on couche sans. Comme si ce que l’on reprochait à celles et à ceux qui pratiquent un vagabondage érotique était leur manque de sérieux en matière sexuelle. Ces derniers n’auraient pas le courage ou le désir de vivre des expériences sexuelles plus intenses et plus complètes. Comme si au lieu de lire un livre, ils se contentaient d’un extrait ou d’un résumé.

Ce faisant, le couple n’est pas une instance qui abrite le moindre sentiment qui ne soit pas sexuel sauf peut-être chez les vieilles personnes qui par manque de désirs actuels se contentent d’une sorte de gratitude pour les plaisirs passés. Mais pourquoi alors s’acharner à faire cette distinction entre le sexe avec ou sans sentiments ?

Il est probable que ce soit une manière de cacher que le couple contemporain est une entité sexuelle qui ne saurait survivre sans un désir actif et plutôt exclusif. Une association cannibale dont le but est de permettre à chacun de ses membres de se dévorer avant de jeter à la poubelle les os rongés par cette faim. Avant de se mettre en quête d’une prochaine proie. Et si on veut cacher cette réalité crue, c’est parce que cette institution, censée structurer nos existences, semblerait trop sauvage et trop brutale. Mais, en vérité, elle est gouvernée non pas par nous mais par nos désirs et nos pulsions. Or les mensonges que nous nous racontons ne font qu’ajouter des nouveaux problèmes. Au lieu de se séparer une fois le désir disparu, beaucoup de gens restent empêtrés dans une situation déplaisante, ce qui ne les empêche pas d’imaginer qu’ils aiment leur partenaire et que ce dernier les aime.

Pour se sortir de cet enfer, la seule solution envisageable est le couple chaste. On choisirait le mari ou l’épouse en fonction des affinités profondes et après une longue expérience d’amitié, de cohabitation, d’examens réciproques, de voyages. Et jamais on ne divorcerait. Les passions amoureuses seraient vécues en sachant qu’il ne s’agit que de l’expression d’un désir fort.

Coucher avec ou sans sentiments serait alors une distinction que personne ne comprendrait. Et nous saurions que coucher est ce qui peut arriver de mieux quand on n’a pas de sentiments envers quelqu’un.

Libération, Marcela Iacub, samedi 27 février 2016

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