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Aliénation et positionnement social par Duane Hanson

Publié le par Jean-Yves Alt

Cette œuvre mesure environ 1,60 m de haut. Les personnages sont présentés à hauteur des yeux, sans socle.

L'hyperréalisme trouve son essence dans la représentation de la facticité propre à la société de consommation dans la banalité du quotidien.

Hanson présente des personnages proches de ceux du musée Grévin, mais les siens ne sont pas des figures historiques. Ce sont tout simplement des individus ordinaires, de classe moyenne, censés rendre compte de la réalité sociale.

Pourtant, en nous proposant ces figures vraies-fausses, Duane Hanson aspire moins à montrer une réalité qu'à désigner d'une manière naturaliste :

- les signes extérieurs de notre aliénation au système de consommation (appareils photo, lunettes, cabas et provisions)

- les caractéristiques de notre positionnement social (vêtements et chaussures : motifs, appariement, couleurs...)

Duane Hanson (1925- ) – Les Touristes – 1970

Résine et matériaux divers

La forme hyperréaliste des modèles de cire ou de résine polyester renforce l'idée prégnante de mort (naturalisme, taxidermie...), une fois qu'on a compris que cette œuvre photographiée n'est pas une photo de personnages réels.

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Petit pan de mur jaune par Pierre Bonnard

Publié le par Jean-Yves Alt

Orange pur, violet, vert cru. Les couleurs de Bonnard crient. La couleur explose dans ses toiles. Au point qu'elle dilue presque les formes, mais jamais entièrement. Le dessin soutient néanmoins toujours la composition.

Je suis renversé par le lyrisme échevelé de la polychromie et en même temps je suis bien obligé de constater que la réalité n'est pas absente : au milieu de la joyeuse débauche des couleurs, je reconnais une femme, une chaise...

Je crois que le succès public de Pierre Bonnard repose sur un malentendu à cause justement de cette présence de la réalité : « Ça ressemble à quelque chose ! », comme disent les visiteurs. Dans les musées, c'est le jeu préféré du public que de reconnaître tel ou élément… Pourtant, je ne crois pas que le réalisme intéressait Bonnard.

Ses tableaux – comme cette terrasse de Vernon – qui ouvrent sur un paysage lui permettent de décomposer les différents plans de la toile, de débusquer une mise en scène violente de la peinture, en utilisant des couleurs souvent pures, au paroxysme de leur intensité.

Pierre Bonnard – La terrasse de Vernon – vers 1928

Huile sur toile, 242,5cm x 309cm, Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen (Düsseldorf)

La terrasse de Vernon est fabuleuse. Avec son pan de mur jaune, sur la gauche, qui fait chanter toute la composition, Bonnard s'est haussé au niveau de Vermeer dans sa Vue de Delft.


Voir un autre petit pan…

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Oracle de Rauschenberg

Publié le par Jean-Yves Alt

Cette œuvre se compose de cinq objets de rebut, organisés en une configuration mobile, que Rauschenberg nomme un environnement.

À chacune des cinq parties est intégré un poste de radio branché sur différents pays, ce qui donne son caractère sonore à l'installation.

Ces parties sont une baignoire avec douche en tôle galvanisée et montée sur roulettes de fer, un large tuyau galvanisé monté sur roue de fer, un escalier en tôle d'aluminium monté sur roulettes, un montant de fenêtre en bois monté sur roulettes et une portière de voiture montée sur un bâti en fer et à roulettes.

Des objets inutiles, des objets signifiants : le spectateur est invité à se promener dans l'œuvre, à déambuler dans cette sorte de décharge publique, afin d'abord de se rendre compte que rien, ici, ne fonctionne plus. C'est donc autre chose que leur utilité qu'il faut convoquer à l'observation de ces objets.

Des objets qui parlent : en s'approchant de chaque assemblage, on peut entendre le son crépitant des radios. Ces objets parlent, au sens propre. Ils parlent évidemment aussi au sens figuré, à qui veut bien les entendre.

Robert Rauschenberg – Oracle – 1962/1965

Environnement sonore composé de 5 éléments en tôle galvanisée, montés sur roulettes et comportant chacun une batterie, un poste émetteur et un haut-parleur, 236cm x 450cm x 400cm, Centre Georges Pompidou, Paris

Tel un devin, le spectateur s'aperçoit alors peu à peu que ces objets apparemment sans signification se mettent à lui parler aussi, et qu'il se met à les entendre. Tel cercle de roue dialogue pour lui avec la circularité d'un tuyau, telle orthogonalité répond à telle autre, tous les assemblages fonctionnent sur l'idée d'un passage (par la fenêtre, par le tuyau…).

Dans ce lieu dérisoire, jonché des restes de la technologie moderne, un devin ou un « dieu » prend la parole et chacun peut la percevoir et l'interpréter, comme la creuse prophétie d'une pythie déglinguée.

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La maison de granit, François de Bressault (1953)

Publié le par Jean-Yves

En 1867, à Granville, une massive demeure de granit symbolise la puissance de l'armateur François d'Haqueville. Mais cette façade imposante cache l'implacable certitude d'un déclin annoncé. L'armateur ne peut plus, en effet, s'appuyer sur le père de son épouse, banquier ruiné après la Révolution de 1848. Et, l'évolution de la situation économique est venue ruiner ses espoirs : le nouveau gouvernement a choisi de développer le port du Havre au détriment de celui de la vieille cité maritime.

 

Au moment où commence le livre, François d'Haqueville compte sur ses deux fils, Charles et Henri, ainsi que sur son frère cadet, Hippolyte, pour mettre un terme à ce déclin. Charles pourrait épouser Eléonore de l'Assardière dont le père est un riche commandant de vaisseau tandis qu'Henri – s'il abandonne l'idée d'entrer dans les Ordres – pourrait se marier avec Corinne Sartilly dont l'oncle est un puissant armateur au Havre. Ce qui donne quelques lignes cocasses :

 

« Henri interrompit la rêverie de son frère en demandant :

— Je t'ai vu parler au Supérieur. Qu'a-t-il dit de moi ?

— Que tu devrais, selon lui, devenir prêtre, que tout t'y destine. Je pense que ce n'est pas ton avis ? acheva Charles d'un ton ironique. Mais Henri se contenta de sourire gravement.

— Pourquoi pas ? Cela t'étonnerait, et mon père encore plus. Et moi aussi, au fond. Mais il ne faut jurer de rien. Je suis capable... de tout, même de très bonnes choses. Quant à savoir si j'ai la vocation, cela est une autre histoire. Il paraît que nous l'avons tous mais que seuls y répondent les plus dignes. (Père Supérieur dixit.) Moi j'aime trop la terre, sa beauté...

— Et celle de ses filles, interrompit Charles.

— Ou de ses fils... Il est des jours où je me sens plus païen que chrétien. On nous enseigne trop les beautés de la Grèce et de Rome pour ne point nous en laisser une invincible nostalgie et le regret du temps d'Apollon et de Vénus où les enfants qui jouaient dans les ruelles d'Athènes avaient le profil si pur qu'immortalisent les frises du Parthénon. Souvent j'ai rêvé être un garçon brun jouant presque nu sur les plages de Sicile, sentir sous mes pieds la chaleur rugueuse du sable et sur ma peau la brûlante caresse du soleil, courir, nager, vivre enfin ! être libre d'avoir un corps et à le savoir, de l'aimer aussi. » (pp. 15/16)

 

En attendant les festivités, François d'Haqueville compte sur son frère cadet pour commander une flotte de pêche de Terre Neuvas : le succès de l'expédition pourrait renflouer les caisses de l'entreprise.

 

Mais c'est sans compter, Achille Vinay, le secrétaire particulier de François d'Haqueville : ange du mal, traître, escroc et amoraliste qui n'hésite pas à vendre les informations qu'il connaît à un armateur concurrent et puissant.

 

Si les fils songent surtout à leurs amours – Eléonore pour Charles ; Basile (et non pas Corinne) pour Henri – Hippolyte, le frère tant aimé, trahit quand il apprend les liens qui existent entre Henri et son fils adultérin, Basile.

 

« La maison de granit » raconte l'enchaînement complexe de faits – amour d'Henri pour le jeune Basile, duplicité machiavélique de la mère de ce dernier – qui conduit à la trahison finale qui pour François d'Haqueville restera inexplicable :

 


«
[…] Peut-être eût-il mieux valu que ce soir-là je ne me fusse point attardée dans le parc du Moulin à admirer la lune se refléter mélancoliquement dans les eaux immobiles de l'étang. Le salon était illuminé. Par les fenêtres ouvertes je voyais Henri assis dans un fauteuil et mon fils aller et venir dans la pièce. Bientôt ils furent l'un près de l'autre et je vis votre neveu embrasser votre fils, brutalement, presque sauvagement... J'en demeurai comme étourdie, comprenant enfin ce que mon amitié pour votre famille m'avait jusqu'alors empêchée de voir. La cloche du souper sonna. Par souci – encore – de l'honneur de votre nom, Hippolyte, je ne voulus rien dire et j'assistai, me forçant d'être gaie comme à l'ordinaire, à un dîner où se livrait la joie instinctive, animale, d'un enfant que nous avons beaucoup aimé, que nous avons voulu rendre heureux et qui, désormais, connaît d'autres plaisirs... où brillait aussi dans les yeux d'Henri une ardente flamme de désir et d'orgueil : ce petit garçon-là, si beau, lui appartenait, désormais, plus qu'à nous. » (Lettre d'Adélaïde, mère de Basile, à Hippolyte, père adultérin de l'adolescent – pp. 208/209)

 

Ce roman rappelle que les chemins de la vie n'ont de direction que terminés, que c'est en les aplanissant qu'on rend droits les chemins tortueux, ou, du moins, qu'on leur donne un sens. Et l'on ne nivelle pas sans travail, sans sacrifices aussi. Mais que doit-on sacrifier ? Le rêve ou l'immédiate réalité, le succès de l'instant ou celui de l'avenir, la situation ou la vie ?

 

■ Éditions Gallimard, septembre 1953, 256 pages, ISBN : 2070209989

 

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Tragédie chez Friedrich

Publié le par Jean-Yves Alt

Caspar David Friedrich n'a peint – presque – que des paysages donnant naissance à un genre nouveau : la « tragédie du paysage ».

Dans ses paysages, vastes, frontaux, inhabités, où est la tragédie ?

À l'opposé de Joseph Vernet qui concentre dans ses tableaux, maisons, ponts, rivières, bosquets… Caspar David Friedrich donne moins de choses à voir et c'est peut-être pour cela que ses paysages sont plus spectaculaires.

Pour autant Friedrich n'a pas été attaché à la réalité qu'il a pu observer avec ses yeux mais plutôt, à peindre ce qu'il a ressenti. Ainsi, ses paysages sont une traduction de son propre sentiment intérieur.

Caspar David Friedrich – Felsenschlucht im Harz (Gorge dans une forêt de sapins) – 1811

Huile sur toile, Pommersches Landesmuseum, Greifswald

La tragédie ne naît pas de l'ajout de nombreux éléments matériels mais de l'effet des conditions météorologiques, des heures de la journée, des saisons traduisant au plus près les sentiments que l'artiste a voulu exprimer.

Caspar David Friedrich est un peintre expert dans l'utilisation des fumigènes créant des filtres, des nuances dont il a fait varier à perfection le volume. Pour des impressions rassurantes ou inquiétantes.

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