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livres pour les plus jeunes et les autres

Angus, Michel Tournier

Publié le par Jean-Yves Alt

En adaptant un épisode de La légende des siècles (« L' Aigle du casque »), Michel Tournier ose raconter un viol et ses conséquences. Sujet abondamment commenté par les médias, mot connu des enfants mais noyé dans des abîmes d'ombre. Michel Tournier appelle un chat, un chat, mais se sert d'une langue magnifique, limpide, précise, chantante, sans effets inutiles.

Angus est un superbe récit où s'exaltent les vertus éternelles de l'enfance qui sait – en dépit du rôle modérateur des adultes – que la vie est violence, aventure, une école du courage, et si possible une succession de victoires.

Jacques, très jeune adolescent, doit venger son père et sa mère, morts des conséquences de la forfaiture d'un géant monstrueux, Tiphaine. Tiphaine a violé la jeune Colombelle, fille d'Angus, fiancée à un parfait gentilhomme : Ottmar, comte des Orcades. Jacques, fruit de cet acte, vit dans la mémoire d'un père adolescent et d'une mère toute jeune qu'il n'a jamais connus, livrés aux images définitives d'un couple disparu dans la gloire de sa beauté.

Mais ce que Jacques ne sait pas c'est que le monstre est son père.

Première leçon hautement morale qui crée les hommes libres de leur hérédité.

Jacques fils de l'ogre combattra son père inconnu. Magnifique thème de la vengeance dans l'apprentissage de la douleur, joutes imaginaires dont s'effraient avec délices les enfants qui secouent, en se racontant des histoires, l'oppression enjôleuse que génère la vie de famille.

Le sommet tragique du conte, c'est la rencontre entre le monstre-père et l'enfant orphelin.

Jacques (« Il a seize ans. Il en porte quatorze. ») attaque le géant, lui crève un oeil (retournement d'Œdipe ?) et apprend, au plus fort de sa gloire, la vérité par la bouche d'un faux enfant éternel : le nain Lucain. Il a tué son père. La longue confession du père violeur, mais repenti, sonne le glas de son enfance : « Car vois-tu, si j'accepte qu'un fils tue son père – c'est dans l'ordre, et je te jure que si l'occasion s'était présentée de tuer le mien, je n'y aurais pas manqué – le petit bout de morale que j'ai ne permet pas à un père de tuer son fils. »

Tout est dit.

Jacques, fils de personne, fils de lui-même, né de son courage, de sa rage, né de son apprentissage des armes, mort à son enfance, Jacques au point de rupture entre l'enfance idéale et le vieillissement honni, commente le récit nécessaire d'une mise à l'épreuve : l'emprise prolongée des familles sur la véritable liberté de leurs rejetons.

C'est Pierre Joubert, dessinateur de tous les princes Eric du royaume autogéré de l'enfance, qui illustre ce conte où le père putatif et le père de sang sont successivement assassinés.

Un album au service juste de ce que l'enfance mérite : des mots pour apaiser les maux.

■ Angus, Michel Tournier, illustré par Pierre Joubert, Editions Signe de Piste, 1988, ISBN : 2876540231


Lire un extrait du conte, la postface de l'auteur et « L'aigle du casque » poème de Victor Hugo qui inspira Michel Tournier.


Ce conte est réédité dans le recueil « Les Contes du Médianoche » de Michel Tournier, illustré par Bruno Mallart aux éditions Gallimard/Folio.


De Michel Tournier : Gilles et Jeanne - Le Roi des Aulnes - Le médianoche amoureux - La goutte d'or


Lire aussi : Hommage à Michel Tournier

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Harvey Milk : Non à l’homophobie, Safia Amor

Publié le par Jean-Yves Alt

Harvey Milk est un activiste qui a bien connu la vie politique et la vie des homosexuels de New York et de San Francisco, leur dessous et l'envers de leur décor.

Le récit de Safia Amor commence en août 1947, quand le grand-père d'Harvey Milk offre, à son petit-fils, « La perle », une nouvelle de John Steinbeck. Pour qui connaît cette fable, on devine que le parcours de Milk sera lié à la recherche d'une reconnaissance sociale… et que – jusqu'à sa mort – la jalousie, les convoitises, la haine ne manqueront pas de se dresser sur sa route.

Comme dans les souvenirs que l'on garde des contes pour enfants, Harvey Milk va faire – tout au long de sa vie – l'habituelle expérience des pensées brutes, sans aucune nuance intermédiaire entre le noir et le blanc, le bon et le mauvais, la grâce et le maléfice…

Harvey Milk évitera dès le début de son engagement militant, de se laisser embrigader dans des pensées exclusivement communautaires. Face au Président de l'association juive du campus où il est étudiant, il s'indigne qu'un étudiant non-juif ne puisse adhérer :

« Pratiquez les mêmes mesures discriminatoires que les autres et le monde tournera en rond ! » (p. 19)

Harvey Milk devant son atelier de photographie – 1977

Harvey Milk découvre très tôt que, dans leur vie sexuelle comme dans leur vie professionnelle, l'identité des personnes homosexuelles est un handicap. Elles sont à la merci du moindre contrôle de la police. Cette dernière en relevant les noms des homos raflés dans les bars, les lieux de rencontre, a pris l'habitude de les signaler aux personnes chez qui l'homo arrêté travaillait. On imagine la suite... (lire page 10)

Le récit de Safia Amor fait défiler sous nos yeux quelques événements de la communauté gaie de New-York et de San Francisco : les défilés new yorkais du Gay Power (p. 35), l'élection de Milk, en 1977, au Conseil Municipal de San Francisco dans l'équipe de George Moscone (pp. 48/59), tout le branle-bas de combat contre Anita Bryant, multiforme et joyeux (p. 68), la lutte contre la proposition 6 (pp. 67/71)

Avec justesse et délicatesse, la vie personnelle de Milk est abordée : le lecteur suit Scott, son compagnon de route, de vingt ans son cadet.

Milk Harvey fera les frais, tant dans sa vie personnelle que militante, du dégoût général provoqué par les diverses représentations de l'homosexualité. Car la vie continue de distiller ses poisons sous l'apparence huilée de son cérémonial. Le temps n'épure pas toujours la haine.

20 pages documentaires accompagnées de photographies tracent très rapidement la lutte des homosexuels pour affirmer leurs droits de citoyen : Magnus Hirschfeld, Pierre Seel, Robert Badinter, François Mitterrand, Louis-Georges Tin (journée mondiale de lutte contre l'homophobie), Barack Obama. Une bibliographie très incomplète et quelques adresses terminent le cahier documentaire.

A travers le portrait de ce militant, Safia Amor réussit à faire passer l'idée qu'une sensibilité homosexuelle, jamais figée, peut glisser d'une époque à une autre, reliant les années et les hommes. Un récit terrible d'amour et de haine qui colle à la peau et donne parfois le vertige. Une réussite.

■ Harvey Milk : Non à l’homophobie, Safia Amor, Editions Actes Sud Junior/Ceux qui ont dit non, septembre 2011, ISBN : 978-2742799282


Lire aussi la chronique de Lionel Labosse

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Will & Will, John Green et David Levithan

Publié le par Jean-Yves Alt

Deux auteurs, deux styles d'écriture, pour deux adolescents qui portent le même nom : Will Grayson. Les deux Will habitent dans la même ville mais ne se connaissent pas. Le lecteur découvre – par le biais des chapitres – chacun en alternance.

■ Le premier Will, a pour ami un joueur de football, Tiny Cooper. Celui-ci est très corpulent, homosexuel assumé et rêve de monter une comédie musicale. Will abhorre tout ce qui touche aux sentiments : Tiny a donc les plus grandes difficultés pour le « fourrer dans les bras de Jane » qui est la troisième personne qui constitue l'« Amicale Gay & Hétéro ».

■ Le second Will est un homosexuel complexé et déprimé ; il a pour unique ami, un certain Isaac, qu'il ne connaît que par l'intermédiaire de sa messagerie électronique. Cet adolescent établit très lucidement le rôle que la « haine de soi » peut produire dans une (im)possible relation amoureuse. will a pour habitude d'écrire sans jamais utiliser les majuscules ; ce qui permet au lecteur de différencier les deux Will : Will/will. Ce second Will (will) a pour amie, Maura, dont tout le monde pense qu'elle est sa petite amie. Maura se doute pourtant que will est gay mais elle ne dit rien à l'extérieur.

Will et will vont se rencontrer par hasard dans un sex-shop : Will, parce qu'il a été rejeté d'un concert et est entré là ; will, parce qu'Isaac (isaac) lui a donné rendez-vous dans ce lieu. Comme le correspondant de will n'est pas là, Will et will font connaissance. C'est ainsi que will et Tiny vont se rapprocher et se plaire. Le roman se termine en happy end avec la représentation de la comédie musicale de Tiny.

Si ce roman parle d'amour, il n'est en rien abordé de manières romantiques. Il n'y a pas de personnages visionnaires à l'imagination frénétique, morbide, et d'un irrémédiable pessimisme. Ce qui n'empêche nullement des vécus profonds des protagonistes, qu'il s'agisse d'amour non partagé, non admis pour Will ou d'amour interdit pour will :

« Tiny : tu sais, phil wrayson m'a appris un mot, un jour : weltschmerz. c'est le sentiment d'abattement qu'on ressent quand le monde extérieur ne correspond pas au monde tel qu'on voudrait qu'il soit. moi, je vis dans un océan permanent de weltschmerz, tu vois ? et toi aussi. et tous les gens qui nous entourent. parce que tout le monde pense qu'on devrait pouvoir se laisser tomber, encore et encore, sans jamais s'arrêter, sentir l'ivresse de la chute et le souffle de l'air sur son visage, ce vent si fort qui vous sculpte un sourire dément sur les lèvres. et ça devrait être possible. on devrait pouvoir s'élancer dans le vide toute sa vie sans jamais, jamais s'arrêter.

et là, je me dis : non.

sérieusement. non. » (p. 370)

Drôle, terrible, généreux et lucide, ce livre aborde des vécus sur lesquels les adolescents d'aujourd'hui peuvent s'interroger ; et, pas seulement ceux sur l'homosexualité :

« moi : espèce. de. salope.

maura : pourquoi les filles se font-elles toujours traiter de « salopes », jamais de « sale trouducs » ?

moi : je refuse d'insulter les trous de balles. eux au moins, ils servent à quelque chose. » (p. 153)

Il est regrettable que l'écriture soit si lourde (je devine qu'elle plaira aux ados d'aujourd’hui) : sous couvert d'une forme stylistique qui veut faire jeune, elle appauvrit considérablement la portée de ce roman. Les auteurs pensent-ils que l'écriture et soi-même (faire passer son corps, traduire des émotions, manifester son intériorité) ne font qu'un ?

Il y a pourtant des pages où les héros semblent projetés dans des zones insolites et intemporelles où le "rêve" peut offrir l'apparence du réel :

« ― Grayson, tu ne serais pas en train de me faire ton coming out, dis ? Parce que surtout, ne le prends pas mal, mais je préfère devenir hétéro que de rester gay avec toi.

― NON. Non non ! Je n'ai pas envie de te sauter. Je t'aime d'amour, voilà tout. Depuis quand est-ce que tout se résume à qui on a envie de sauter ? Depuis quand n'a-t-on le droit d'aimer que la personne qu'on a envie de sauter ? C'est ridicule, Tiny ! Je veux dire, merde ! On s'en fout du sexe, non ?! Les gens se comportent comme si c'était l'activité la plus importante de la vie... mais c'est des conneries. Comment nos intelligences humaines pourraient-elles tourner uniquement autour d'un truc que même les limaces font entre elles ? Bien sûr, savoir qui on a envie de sauter et parvenir ou non à ses fins, c'est important, sans doute. Mais ce n'est pas l'essentiel. Tu sais ce qui compte vraiment ? Savoir pour qui on serait prêt à donner sa vie. Pour qui se réveillerait-on à 5 h 45 du mat sans se poser de questions ? De qui serait-on prêt à essuyer la morve quand il gît ivre mort par terre ? » (p. 317)

Ce roman confirme – si besoin était – que les adolescents pensent, fantasment et qu'ils peuvent avoir des relations de tendresse… parfois tortueuses.

■ Will & Will, John Green et David Levithan, Éditions Gallimard/Scripto, mars 2011, ISBN : 978-2070632527


Lire aussi la chronique de Lionel Labosse sur son site altersexualite.com

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La maison du pont, Aidan Chambers

Publié le par Jean-Yves Alt

« Je veux être seul, me lancer un défi, vivre ma vie avant de découvrir celle des autres » (p. 15) lance Jan à ses parents.

À 17 ans, Jan, le narrateur, qui a déjà subi de nombreux moments de « vagalame », décide de tout arrêter : les études, la relation avec sa copine Gill, la vie confortable chez ses parents pour prendre un poste de gardien d'un pont à péage : il est logé dans une maisonnette au confort rudimentaire où il reçoit à certains moments, Tess Norris, la fille de son employeur. L'arrivée inopinée d'Adam va-t-elle fragiliser l'équilibre que recherche le jeune homme ?

Jan n'aime pas abuser des gens ; il déteste qu'une personne fasse quelque chose pour lui uniquement parce qu'elle y est obligée ou parce qu'on l'a manipulée :

« J'ai toujours beaucoup aimé Mme Norris. Elle a le don d'être gentille sans qu'on ait l'impression d'être redevable ou bénéficiaire d'un geste charitable. » (p. 118)

« La maison du pont » n'est pas un roman de la recherche d'une identité contre la férule du conformisme omniprésent. Le personnage principal, Piers/Jan/Janus (très beaux glissements des patronymes), refuse seulement le mode d'emploi imposé par la société, en comprimant ses jours dans le périmètre de la maison péage. Sa démarche a à voir avec un symbolisme de la démesure : le savoir des hommes ne donne pas de réponses aux vraies questions, il s'accumule sur les bords du trou où se déversent les défaites.

Jan refuse que l'autre soit conçu uniquement comme objet ; d'où l'accent mis sur la fugue plutôt que le rapt par les autres (sa mère, son amie Gill…) :

« Ne m'assaille pas de souvenirs s'il te plait. Je m'en fous des souvenirs. Je ne veux pas en entendre parler. Tu dis que les lettres sont souvent mal interprétées. Tu as raison. Mais les souvenirs le sont encore plus. Les gens en font ce qu'ils veulent. Ils en tirent les significations qu'ils veulent. Moi je veux vivre uniquement dans le présent. C'est là que je suis. » (p. 42)

Ce que Chambers décrit, dans la fuite de Jan, c'est l'abêtissement systématique qui réduit chacun à accepter d'être son propre bourreau... :

« Je bouillais de désir, transpirais de jalousie, priais Janus de me libérer, grognais de frustration et de dépit. J'étais pareil à un spectateur qui, seul, enfermé dans un cinéma vide, est obligé de regarder un film destiné à le réduire à un état douloureux d'agitation lubrique. Et ce qu'il y a de vraiment ridicule dans des moments pareils, ce dont je rigole toujours après coup, c'est qu'on s'inflige cet état à soi-même. On est son propre geôlier, son propre réalisateur de film, son propre bourreau. Les chimères sont les nôtres. C'est notre propre imagination qui les invente, notre propre volonté qui les laisse advenir, et notre propre esprit qui met en scène le spectacle. On pourrait l'arrêter dès le début si on voulait, mais ce n'est pas le cas, parce qu'il nous procure une espèce de satisfaction malsaine. Et j'ai la conviction qu'une part de nous, humains, adore patauger dans ce genre de boue. Parfois on aime y être plongé jusqu'au cou. Parfois il arrive même que les gens se noient dans leur propre merde psychique. » (pp. 212/213)

La narration de Jan est entrecoupée de commentaires et de lettres des autres personnages :

« Cette histoire avec l'agent immobilier, par exemple. Ce qui l'a foutu en rogne au même titre que le reste, c'est que B.-G. [Bronzé-Gras] était un connard patenté, un connard patenté pas très futé, qui plus est, et que malgré tout les gens se laissaient bluffer, à la grande consternation de Jan. Il n'arrive pas à comprendre que les gens admirent les B.-G. parce que tous les B.-G. du monde sont dotés d'une intelligence dont Jan est dépourvu – celle de la ruse et de la confiance en soi –, et qu'ils maîtrisent l'art de manipuler les caprices et les lubies des gens. Ils utilisent leurs faiblesses. Ils savent que nombre d'entre eux sont impressionnés par les belles bagnoles, les fringues griffées, les voyages exotiques et tous les signes flagrants de fric et de pouvoir. » (p. 259)

Jan peut se sentir détaché de ce qui lui arrive. Même au sujet de la sexualité. Il peut regarder ses/les organes génitaux comme un territoire étranger.

« Jan ne comprend pas non plus comment fonctionne le sexe, il ne voit pas que les B.-G. jouent aussi sur ce tableau-là. Chez la plupart des gens, le cerveau ne se situe pas dans la tête mais dans l'entrejambe. Les B.-G. ne sont donc pas des bizarreries de la nature, mais des individus typiques. C'est Jan, la bizarrerie de la nature, voilà la vérité, et s'il est contrarié, énervé, c'est parce qu'il refuse le monde tel qu'il est et qu'il n'arrive pas à comprendre que la plupart des gens s'en fichent, et même que c'est ainsi qu'ils l'apprécient. Ils se délectent de leurs faiblesses, me semble-t-il, et ils admirent ceux qui réussissent en les exploitant. Les leurs et celles des autres. » (p. 260)

Jan est-il gay ? La réponse n'a pas d'importance même si Aidan (1) Chambers sème ça et là quelques indices : Adam traite Jan de « petit enculé » (p. 121) ; « je me suis penché pour l' [Adam] embrasser doucement sur la joue » (p. 295) ; « de l'avis de certains, c'était un homo refoulé » (p. 302) ; « j'ai besoin qu'il soit là » (p. 355) ; « il prit plaisir à la pression de son corps contre le sien » (p. 359) ; « j'ai besoin de démêler ces sentiments tout seul, pour mon bien, et d'en affronter la vérité sans me voiler la face » (p. 364) ; « constante ambivalence, joyeuse ambiguïté » (p. 365). Mais l'auteur permet surtout d'entendre qu'il y a autant d'identités qu'il y a de gens. En ne cadenassant pas une identité, il ne réduit pas les différences.

« Ce qu'il savait, en revanche, c'est que dans sa volonté d'aider Adam, il ne se montrait pas aussi désintéressé. Il y avait, à défaut d'autre chose, une récompense physique. Jusqu'à la nuit précédente, il ignorait tout du pouvoir du corps. Il ne s'agissait pas là de queue, mais de satisfaction charnelle. La chair contre la chair. Et du besoin inimaginable qu'on ressentait jusque dans les entrailles. Il se rappela la dispute qu'il avait eue avec Adam au sujet des cadeaux. [...] Je suis Janus, songeait-il, celui qui surveille le pont, qui attend son heure. Doublement attentif. À l'autre, à moi-même. À l'extérieur, à l'intérieur. À mon il, à mon elle. Constante ambivalence, joyeuse ambiguïté. » (p. 365)

« La maison du pont » est le type même de livre où l'écriture comme fascination devient l'essence de la structure romanesque. Il ne s'agit aucunement d'une mise en mots des obsessions et des manques de chacun des personnages mais d'approcher une expansion de leur être, avec parfois toute la brutalité et les débordements de l'irresponsabilité qui l'accompagnent. La « maison » devient le lieu d'une ascèse qui refuse, avant qu'elles se créent, les frontières imposées par l'action. Cette maison permet, au héros, de rendre également hommage à Adam qu'il n'aurait jamais rencontré sans elle.

« … il cherchait un mot, une expression, qui qualifierait la plus profonde, la plus différente des différences, et trouva : la densité d'être. » (p. 371)

■ La maison du pont (The Toll Bridge - 1992), Aidan Chambers, traduction d'Elodie Leplat, éditions Thierry Magnier, septembre 2010, ISBN : 9782844208569


Du même auteur : La danse du coucou


(1) Une malheureuse coquille sur les pages de la couverture a transformé le prénom de l'auteur en Aiden.

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Noël, c'est couic !, Christophe Honoré

Publié le par Jean-Yves Alt

Pour Anton, un gamin, à la fois rageur et attachant, c'est un réveillon à haut risque qui s'annonce : il a promis à son père – pour les fêtes – une conduite exemplaire chez sa mémère bretonne. Sinon, Noël, ce sera « Couic ! »

Christophe Honoré maîtrise l'art de renverser les situations de départ, pour faire réfléchir ses lecteurs sur l'opposition entre d'un côté, la complexité réelle des relations et, de l'autre, sa négation apparente devant les enfants qui seraient – eux seuls – les uniques troublions potentiels :

le père deviendra rapidement le perturbateur et, Anton, le fils, le perturbé.

Comme dans toutes les familles, des conflits familiaux sont toujours prêts à remonter à la surface. Présentement, Mémère ne se réjouit pas de voir arriver, Ferdinand, le compagnon de son fils… Un fils plus que passablement énervé, qui ne se retient plus et qui explose devant sa mère parce qu'elle n'accepte pas son homosexualité.

Anton se dit que la colère des adultes est si terrible qu’il n’y a plus rien à comprendre et plus rien à faire. Mais son père n'en reste pas là ; il attrape son fils par le bras et tous les deux quittent la maison de mémère avant l'arrivée des autres membres de la famille.

Il faudra une grosse tempête de neige, des routes verglacées, un arrêt obligé dans un village perdu… et manquer tenir le rôle de l'âne dans une crèche vivante pour faire prendre conscience au père d'Anton, la stupidité de sa conduite. Tous deux regagnent alors le foyer de mémère qui les accueille – heureuse – de pouvoir rassembler sa famille au complet. La magie de Noël peut alors s'amorcer.

Un magnifique petit roman qui montre les tensions entre les adultes, leurs non-dits et surtout les craintes d'un enfant tourmenté face à un différend familial.

Des émotions finement analysées, une histoire prodigieusement racontée, pour obtenir – in fine – un beau Noël pourtant si mal commencé.

Aux lecteurs de retenir que la tendresse est bien plus sacrée que toutes les fêtes du monde… même si ce sont ces dernières qui permettent souvent de la retrouver.

■ Noël, c'est couic !, Christophe Honoré, illustrations de Gwen Le Gac, Editions Ecole des Loisirs/Mouche, 2005, ISBN : 2211081479


Du même auteur : Tout contre Léo - Mon cœur bouleversé - Je ne suis pas une fille à Papa - Le livre pour enfants


Lire aussi l'analyse de Lionel Labosse

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