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Voleur de poules, Roger Knobelspiess

Publié le par Jean-Yves Alt

Voleur de poules, sous-titré "Une histoire d'enfant". Pour la petite histoire, rappelons que Knobelspiess a passé vingt-six ans en prison. D'où l'importance - pour qui fut privé de jeunesse - de se raconter son enfance.

Et cette certitude que vivre en famille - quelle que soit la misère matérielle - vaut toutes les assistances philanthropiques. Le père a tous les vices : pauvre, alcolo, chapardeur... mais quelle tendresse du fils pour ce père qu'il accompagne dans ses randonnées nocturnes. Car ce père est un héros. C'est là, la beauté de ce roman autobiographique, drôle et tendre.

Tout ce monde - et cette mère, et les frères aussi, et la voisine triste qui écoute des chansons de Piaf - vit dans un bidonville. C'est un autre apprentissage, un de ces merveilleux livres de souvenirs où tout brille d'être neuf et premier. Le père meurt. Les fils encore mineurs prennent sa succession. Ce n'est pas du Zola, mais c'est un récit qui plonge ses racines dans le social. Et grâce au dieu Mercure (roi des voleurs et des acrobates de haut vol), aucun souci de réhabilitation ne vient ternir cette mémoire.

Pas de psychologie radoteuse, Knobelspiess raconte, et il raconte fort bien : la joie... et les blessures. La vindicte, alors, explose en un bref éclair :

« Il y en a qui se contentent de naître, à bon port, sous le soleil. Les exclus, les damnés, flamboient comme ils peuvent...»

■ Voleur de poules, Roger Knobelspiess, Editions J'ai Lu, 1992, ISBN 2277232106

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Reliquaire Kota

Publié le par Jean-Yves Alt

L'apparente simplicité des arts dits premiers devient, à la longue, déconcertante. Comme si, habitués que nous sommes à un haut degré de complexité, à une élaboration presque technique de l’œuvre d'art, nous nous trouvions devant eux dépossédés de nos ressources mentales et amenés sur un autre terrain : celui de la seule et pure émotion.

Emotion physique, bien sûr, mais pas seulement. Il y a en eux comme la manifestation, la concrétisation de toutes nos hantises, nos joies, nos souffrances, nos désirs.

Objet fétiche, objet sacré, objet secret, l'œuvre d'art africaine est en prise directe avec le vécu quotidien.

Cette statuette KOTA est pour moi un des objets les plus remarquables des arts premiers. Elle était fixée au reliquaire du fondateur de la tribu et était plus ou moins exécutée d'après sa physionomie. Venus du Cameroun, les Bakote émigrèrent vers le Congo au XVIIe-XVIIIe siècle. Ce déplacement Nord-Sud entraîna de nombreux contacts qui firent évoluer la statuaire vers ce qu'on peut nommer le baroque Kota.

Seule la tête est figurée. Le reste du corps est un losange de plus faibles dimensions qui sert à rattacher l'objet au panier en vannerie des reliques. Figure en deux dimensions, cette statuette Kota est une planche en bois sur laquelle sont fixées, à l'aide d'agrafes, des feuilles de cuivre et de laiton.

Parfois, sur d'autres modèles, certaines parties du visage sont réalisées avec de fines lamelles de métal serrées les unes contre les autres. (Cliquer sur l'image pour découvrir une autre statuette Kota) Convexes ou concaves, avec ou sans front, sobres ou finement ciselées, ces statuettes, aux apparences si schématiques, recèlent un incomparable pouvoir expressif.

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Stefan Zweig et Montaigne : Rester soi-même

Publié le par Jean-Yves Alt

« Rien n'est plus assuré sur terre : ce sentiment fondamental se reflétera inéluctablement dans l'intention spirituelle de Montaigne. Il faut chercher une autre certitude en dehors du monde, à l'écart de sa patrie, il faut refuser de plonger au milieu des possédés et créer sa propre patrie, son propre monde, au-delà du temps. »

Voilà ce qu'écrivait Stefan Zweig en d'autres temps de barbarie que ceux que Montaigne connut.

Voilà ce qu'il constatait alors qu'exilé par les nazis de son pays lui-même, parce que juif et mal installé au Brésil, il ne trouvait d'ultime consolation, avant que de choisir la mort volontaire et de s'en aller ainsi, déserté, que dans la lecture des Essais, que dans la rédaction d'une « biographie » si pertinemment introductive à ce que fut Montaigne.

Voilà aussi, et surtout, comment il battit à son tour sa coulpe, confessant que, dans l'engouement dont sa jeunesse fut l'objet, il avait cru Montaigne anachronique, et n'avait pas entendu son conseil de « ne pas sacrifier à l'ambition, de ne pas [se] commettre trop passionnément avec le monde extérieur ».

Voilà comment, enfin, il retrouva Montaigne, au bout de sa route, et son art de vivre qu'il résumait par ces mots : « Rester soi-même ».

■ Montaigne, de Stefan Zweig, Editions Presses Universitaires de France, Collection Quadrige Grands textes, 2004, ISBN : 213054858X

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Ne pas reculer l'horreur devant la mort

Publié le par Jean-Yves Alt

« Seul celui qui accepte la mort est capable de fermer le cycle de la condition terrestre, seul l'œil de celui qui cherche l'œil de la mort ne se trouble pas lorsqu'il doit regarder le néant, seul celui qui tend son oreille vers la mort n'a pas besoin de fuir, car sa mémoire devient un puits de simultanéité et celui-là seul qui plonge dans le néant entend résonner la harpe de cet instant où le terrestre doit s'ouvrir sur cet immense inconnu, ouvert sur la mémoire et la résurrection d'une mémoire infinie. »

Hermann Broch

■ in La Mort de Virgile, Editions Gallimard, Collection L'Imaginaire, 1980, ISBN : 2070221539

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Maus, Art Spiegelman

Publié le par Jean-Yves Alt

L'interminable plainte qui sourd des petits dessins de Maus, la saga autobiographique dessinée par Art Spiegelman, est inversement proportionnelle à l'humilité et à la sobriété de son trait.

Il est impossible de détacher ses yeux des faciès brisés de la communauté juive polonaise écrasée par le nazisme, transformée par Spiegelman en une population de souris traquées par des chats SS.

Le dessinateur raconte l'histoire de son père qui a miraculeusement survécu à l'holocauste. Parallèlement, il se décrit en train de recueillir ce témoignage, donnant ainsi à l'album un caractère romanesque qui nourrit la justesse d'un propos déjà naturellement épique.

Le va-et-vient entre les scènes contemporaines (de longues discussions où Vladek conte à son fils l'horrible et poignant déroulement des événements) et les retours en arrière historiques proprement dits, révèle un sens du récit et de la gestion dramatique intelligemment maîtrisés.

Rarement mémoire ne s'est ouverte si simplement et avec autant de force. Pourtant, à aucun moment, le poids de l'histoire n'écrase le trait discret et volontairement simpliste qui retrace aussi avec beaucoup d'humour les rapports conflictuels que l'auteur entretient avec son père acariâtre et bougon.

La leçon d'humanité et de modestie que contient cet ouvrage, en marge des effets visuels et des lieux communs historiques, font que Maus doit continuer à être lu alors que le fantôme abject de la mort totalitaire est toujours prêt à ressurgir.

■ Maus, Art Spiegelman, Editions Flammarion, 1998, ISBN : 2080675346

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