En 2009, Brahim Naït-Balk, né de parents marocain, est l'un des rares Beurs gay à avoir brisé l'omerta. Il a écrit sa biographie, Un homo dans la cité (Brahim Naït-Balk avec Florence Assouline, Calmann-Lévy, 2009) où il raconte ces années maudites. Se cacher, ne pas s'afficher. Faire semblant parce que « dans les cités on sent le type différent », raconte-t-il aujourd'hui. Il révélera aussi son calvaire. C'était un soir, il y a quinze ans, à la cité des 3000 à Aulnay-sous-Bois, où il habite à l'époque « sans les parents », repartis au Maroc, mais avec ses frères et sœurs dont il est le tuteur. Une bande de jeunes de son âge, 20-25 ans, l'interpelle et balance : « Tu t'es regardé comment tu joues au foot. Comme une tapette. » « Il y a eu un peu de bousculade, ils sentaient que j'avais peur d'eux, dit-il. Ils m'ont entraîné dans une cave et m'ont proposé défaire des choses. Que je m'agenouille. Des fellations. L'expérience s'est renouvelée une deuxième fois. » Depuis, il a quitté Aulnay, vit à Boulogne, travaille pour une association pour handicapés dans les Hauts-de-Seine, et continue de militer contre l'homophobie : il a été entraîneur du Paris Foot Gay, un club associatif d'homos et d'hétéros qui lutte contre l'homophobie dans les stades. Il anime toujours une émission de radio, « Homo micro », sur Fréquence Paris plurielle. Avec ce témoignage inédit paru il y a cinq ans, Brahim voulait convaincre les jeunes gays en détresse qu'ils pouvaient, comme lui, s'extraire de la cité, cette « fabrique de frustrés ». Mais, depuis, « c'est pire. Il y a une telle déshérence sexuelle dans ces quartiers », déplore-t-il.

La confession intime et publique de Brahim reste aujourd'hui un acte de bravoure isolé. Que sait-on des gays de banlieue et de l'homophobie dont ils sont victimes ? Pas un mot lors des débats sur le mariage pour tous qui ont donné lieu au grand déballage et ranimé tous les fantasmes. Pis encore, la contestation portée par des personnalités politiques et religieuses a libéré une parole homophobe. Une parole qui s'est aussi répandue dans les banlieues où elle était déjà plus que décomplexée. En témoignent les rares enquêtes sur les gays des cités datant de 2005 et 2006, grâce au travail ponctuel de bénévoles de SOS Homophobie. Une quarantaine de gays et lesbiennes anonymes, qui se sentent en perpétuel danger, et qui ont répondu aux questions, décrivent de jeunes bourreaux extrêmement violents agissant en groupe. Des voisins, qui habitent le même bâtiment ou la même résidence que leurs souffre-douleur, et ciblent leurs proies à domicile, dans les cages d'escalier ou le quartier. Injures, menaces de mort, jets de pierres, crachats, passages à tabac... Près de la moitié des victimes (48 %) mentionnent des agresseurs noirs ou maghrébins, en reflet avec la structure démographique des quartiers, mais pas seulement. « Il semble que leur culture laisse peu de place à l'acceptation de la différence et au respect de l'autre », précisent les rapporteurs. Ces bandes n'ont qu'un but, « nettoyer » le quartier des homos, perçus comme des sous-hommes, inférieurs et niés, qu'ils n'identifient qu'à travers leur sexualité. D'où ces injures répétées : « Enculé, PD, j'encule ton père », ou « J'en ai une grosse, tu veux l'essayer ? » Certains témoins évoquent encore l'influence de l'islam qui motiverait cette « hyperhomophobie ». « On ne peut pas exclure l'influence de la religion », reprend Yohann Roszéwitch, président de SOS Homophobie, en rappelant au passage que, dans la banlieue chic, à Versailles ou à Neuilly-sur-Seine, le catholicisme et l'homosexualité ne font pas non plus bon ménage... « Mais il y a aussi l'origine géographique des parents qui viennent de pays où, rappelle-t-il, l'homosexualité est encore réprimée », comme en Algérie, en Tunisie, au Maroc ou au Sénégal, où ce crime est toujours passible de prison. « Les agresseurs sont aussi des jeunes qui se cherchent sexuellement, des personnes en questionnement, poursuit-il. Ils sont violents pour se faire bien voir, pas forcément par conviction. »
Dans la cité, il y a des codes, des marqueurs : le machisme, la virilité, la bande, identifiable par l'uniforme : baskets Requins, capuche serrée et chevalière. Mais aussi le rap et le sport qui alimentent la haine du gay en la proclamant. Jusqu'aux années 2000, le rappeur Eminem avait fait de l'homophobie son fonds de commerce, avant de faire amende honorable. Il fut ensuite relayé par le groupe Sexion d'assaut qui, en 2010, scandait : « Je crois qu'il est grand temps que les pédés périssent. Coupe-leur le pénis, laisse-les morts, retrouvés sur le périphérique. » Quant au foot... L'homophobie ambiante dans l'enceinte des stades est tout sauf étanche. Selon une étude commandée en avril 2013 par Paris Foot Gay, 41 % des joueurs interrogés déclarent avoir « des pensées hostiles envers les homosexuels », un chiffre qui grimpe à 50 % chez les jeunes en centre de formation ! Les mêmes qui entraîneront peut-être un jour les mômes des quartiers... « On a mis des stades au pied des immeubles des cités en pensant que c'était un facteur d'intégration, rappelle Jacques Lizé, porte-parole de l'association. Mais le foot véhicule des schémas quand un entraîneur lance à un gosse : « Cours plus vite ! Tes un pédé ? », ou bien « Ne pleure pas, t'es pas une gonzesse ! » C'est d'ailleurs à l'occasion d'une rencontre contre les joueurs du Créteil Bébel, en octobre 2009, que le Paris Foot Gay a pris la dimension identitaire du rejet en banlieue. L'équipe de Créteil composée de « musulmans pratiquants » a refusé le match avec l'équipe du PFG « en raison de leurs principes liés à leurs convictions religieuses ». Depuis cette affaire, Créteil Bébel s'est auto-dissous après avoir été exclu de sa ligue.
Extrait de Marianne n°898, Perrine Cherchève, 4 juillet 2014
Illustration : Hervé Pinel
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