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Fleurs interdites, Francis Scott Fitzgerald (Nouvelles)

Publié le par Jean-Yves Alt

Fleurs interdites regroupe les toutes dernières nouvelles de l'écrivain, alors criblé de dettes, alcoolique et seul. Il meurt à quarante-quatre ans, quelques mois après avoir achevé la nouvelle qui clôt ce recueil, dans un oubli quasi total, loin déjà du fringant jeune homme qui, vingt ans plus tôt, révolutionnait avec panache la littérature américaine.

Précédant chaque nouvelle, une note explique qui publia les feuillets et combien on lui donna. Des trois mille dollars du « Saturday Evening Post », on arrive insensiblement à partir de 1934, aux deux cent cinquante dollars du magazine « Esquire », où on lui demandait d'écrire court. Déjà on le poussait au silence. Cette contrainte, cependant, servit Fitzgerald qui produisit là, denses et épurés, quelques-uns de ses plus beaux textes.

Dans ces nouvelles, le « Great Gatsby » déchu et solitaire ose encore faire revivre le bonheur. Bonheur d'aimer, et de l'avouer enfin, pour Marjorie, la gracieuse jeune fille de Fleurs interdites, tandis que sa mère, son chaperon au bal de promotion, se souvient, elle, d'être passée à côté du véritable amour, un soir de bal de promotion, pour presque rien, pour un souffle, une erreur d'interprétation.

Tortueuse est la route qui mène au bonheur, et si certains le trouvent enfin, ce n'est jamais sans s'y blesser toujours, sans faire couler les chagrins et les vieux démons. Les autres errent, n'ayant perdu ni leur sens de l'humour ni leur pouvoir de séduction, mais vides et brisés.

La Sara d'Intimes étrangers croyait bien avoir perdu Killian à tout jamais. Une autre vie, un autre pays, la Grande Guerre les séparaient de cette folle semaine d'amour qui continuait de brûler dans son cœur. Mais le retrouver enfin, l'épouser et s'apercevoir qu'elle avait été seule à entretenir ce feu, car seule à l'avoir allumé... Se dire que toute sa vie reposait, encore une fois, sur une erreur d'interprétation...

Mais empêche-t-on un rosier de faire des roses ? Quand on a taillé, tailladé, saccagé l'arbuste, empêche-t-on qu'un beau jour pointe, vivace, éclatant et inattendu, un bouton de nacre rose ? Ultime leçon de Fitzgerald, pour qui la route est longue même si son chemin fut court : chercher longtemps ce que l'on aime, plus longtemps encore ce qui blesse.

■ Fleurs interdites, Francis Scott Fitzgerald, Éditions Le Livre de Poche, 1994, ISBN : 2253135526


Du même auteur : Fragments de paradis

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Egalité des droits : oui, mais...

Publié le par Jean-Yves Alt

A quelques jours de la Marche des fiertés de Paris, qui aura lieu samedi 30 juin, Louis-Georges Tin, président du Comité IDAHO rappelle :

« Je soutiens évidemment l'égalité des droits, mais je ne peux pas abandonner les homosexuel(les) qui croupissent en prison, sous prétexte que maintenant, je vais enfin pouvoir me marier. Nous espérons que la France tiendra enfin les engagements qu'elle a pris depuis plus de deux ans, mais il est vrai que l'attitude des gouvernements successifs est à la fois pleine de lâcheté et de cruauté. C'est la mort dans l'âme que nous entamons (1) cette grève de la faim. »

(1) Alexandre Marcel, Usaam Mukwaya et Louis-Georges Tin

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IDAHO France

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Les enfans de Sodome à l’Assemblée Nationale (extrait)

Publié le par Jean-Yves Alt

Sans les pamphlets, on aurait pu croire que les sodomites avaient été absents du débat révolutionnaire, continuant à draguer aux Tuileries pendant que la foule s'agitait.

Voici un extrait de l'un d'eux :

« A l'exemple des Grecs et des Romains, chez lesquels tout le monde se ralliait aux seuls noms de Patrie et de liberté ; à peine eut-il été question, pour la première fois depuis deux siècles, d'assembler les Etats-Généraux, que ce fut le signal d'une réunion presque générale dans toute l'étendue de l'Empire français. Dès lors la Noblesse, le Clergé et les Communes s'assemblèrent pour élire leurs représentants à ces mêmes Etats-Généraux ; dès lors on ne parla plus que d'Electeurs et d'Elus ; et de même que le singe imite volontiers toutes les actions de l'homme, aux carrefours, sur les quais ; en un mot, partout, on ne vit plus qu'Assemblées, et on n'entendit plus que des motions. Les garçons Tailleurs s'emparèrent des gazons du Louvre, les domestiques désertèrent les guinguettes et les antichambres, pour y pérorer à leur tour.

Les cocus de la Capitale, vu leur grand nombre, choisirent la plaine des Sablons, et leurs cahiers, rendus publics, ont été les objets de l'admiration générale.

Les prostituées se divisèrent par pelotons : celles du Palais-Royal, jalouses de la protection du Prince leur propriétaire, n'en désemparèrent pas, et communiquèrent avec les citoyens ; celles des autres quartiers tinrent leurs assises aux Porcherons et à la Nouvelle-France, et les non domiciliées et exploitant en pleine rue sur la brune, se rallièrent à la Place Louis XV, parmi les pierres destinées à la construction du pont de Louis XVI, son petit-fils ; et cette dernière classe ne fut point la moins nombreuse.

Au milieu de ce conflit d'Assemblée, l'Ordre fameux de la Manchette était resté jusqu'à ce jour seul dans l'inaction, et cependant s'assemblait, de temps à autres, aux Tuileries, dans l'allée des Soupirs, dans le cloître des Chartreux, et chez l'Abbé Vïennet, le plus zélé partisan de la bougrerie, non pour y faire des motions relatives aux affaires du temps, mais pour y travailler conjointement à opérer à grands coups de culs, la brûlure parisienne, comme les Sodomites avaient autrefois fait brûler leur Ville, par la même manœuvre.

Mais l'Être suprême, devenu moins rigide sur des bagatelles semblables, et qui ne s'amuse plus, pour des vétilles, à incendier des Villes, envoya sur terre la saine philosophie, qui donna sur les oreilles du préjugé, et les bougres prirent pour leur devise celle du Chevalier Florian, et dirent :

Les goûts sont dans la nature

Le meilleur est celui qu'on a.

Depuis, on vit Monvel prendre en traître, dans les Champs-Elysées, le pucelage de quelques écoliers ; et, forcé par la circonstance, aller en Bavière, donner des leçons publiques d'antiphysique.

On vit le Marquis de Villette faire de la parente de Voltaire, de cette moderne Vénus, un jeune et joli Ganimède ; méthode qu'il avait étudiée par goût, sous le Chantre immortel de la Henriade, qui, dans sa jeunesse, au poil comme à la plume, s'amusait à ces jeux innocents, et fonda à Ferney une nouvelle Gommorhe.

On vit Marcantin le Notaire, ce roué du beau monde, envoyer la poupée de Maradan à la découverte des Bardaches et Bardachins, et faire, sur le quai des Augustins, la recrue des libraires de sa société, au nombre desquelles on reconnaissait Letellier, Volland, etc. etc. On pourrait dire de ce petit Adonis, ce que les Romains disaient de César «Il est le mari de toutes les femmes, et la femme de tous les maris».

On vit le célèbre Perducas, Procureur au Châtelet de Paris, qui, parlant par révérence, est un des plus fermes appuis de cet Ordre, tenir chez lui un bureau d'adresses, et indiquer aux jeunes novices initiés dans les mystères de l'anus, moyennant quelques légères faveurs, la demeure des Commandeurs de l'Ordre qui pouvaient assimiler le plaisir au profit.

Or, dans ces Assemblées, le moment chéri, le quart d'heure de l'intromission expiré, on ne pouvait guère s'empêcher de parler politique ; et l'ordre de la Manchette, au rang duquel il ne faut pas confondre celui de la Manche du Roi, si distingué dans le recueil des pensions, agita, que puisque quantité de leurs Novices, et de leurs Récipiendaires, tenaient rang à l'Assemblée Nationale, il fallait bien que la Sodomie ou la Bougrerie eût repris une nouvelle force, une consistance majeure, et que la liberté de son exercice devait absolument être un des articles constitutionnels de l'État.

A ces causes, ayant convoqué une Assemblée générale de l'Ordre, sous les Marronniers des Tuileries, il fut d'abord déclaré, qu'il ne se ferait aucune proposition, aucune découverte de postérieurs, qu'on n'ait préalablement réglé la députation qui devait, à l'Assemblée Nationale, demander la parole, et faire passer dans la constitution, les statuts de l'Ordre.

Cette Assemblée générale procura le plus beau coup d'œil ; ce fut réellement là, que, bien plus qu'à l'Assemblée du Manège, tous les états furent confondus, et que, malgré la défense faite de chercher à pénétrer l'un dans l'autre,

Les coquins s'y prirent tous

Sans-devant-derrière, et sans-dessus-dessous.

Le moment passé de cette jouissance masculine, Godefroy, le Notaire, qui avait emprunté la sonnette des faiseurs de parades des Champs Elysées, se ressouvint de l'us et coutume de l'Assemblée des Tuileries, et le mettant en usage, il tinta sa clochette, et rappela à l'ordre tous les Frères, qui, rajustant brayettes et pont-levis, passèrent à la plus importante des discussions, tout aussi facilement que le Vicomte de Mirabeau, quand fortement abreuvé d'un nectar aristocratique, il se trouve obligé, par le son du rappel de l'Assemblée Nationale, à recouvrir ses parties génitales, que, par suite d'ivresse, il laisse en exhibition.

Plusieurs motions furent faites, il ne s'agissait plus que d'y donner de la consistance, en établissant une espèce d'ordre ; les avis se partageaient suivant l'usage : on voulait établir une nouvelle manière d'opiner, quand Tabouret, la fameuse Tabouret, cette illustre prétendante à tous les honneurs de la Sodomie, instruite de cette assemblée, y pénétra, suivie d'une quantité de prosélytes femelles de la Manchette, et d'un nombre infini de Tribales de toutes les classes, de tous les états, et força l'Assemblée des Boug... à l'entendre.

Eh quoi ! dit-elle aux Chevaliers Commandeurs, vous osez vous assembler, vous osez agiter des questions utiles à la propagation, à la maintenue de l'ordre, sans m'y appeler, sans me consulter ! Ne serais-je donc plus rien parmi vous ? Est-il nécessaire que je vous rappelle ici mes exploits, mes travaux, mes fatigues ; en un mot, tout ce que j'ai fait pour ce même Ordre ? Voyez les rides que j'ai sur le front ; elles annoncent mes prouesses. Ah ! que serait-ce donc, si je vous découvrais autre chose ! Mais vous paraissez inébranlables ; il faut donc vous convaincre ? Eh bien, continua-t-elle, en découvrant un fessier devant lequel aurait rougi celui de tous les Boug... mitrés et crossés, même celui de Chastenet de Puy-Ségur, Évêque de Carcassonne ; celui de Beaupoil de Saint-Aulaire, Evêque de Poitiers, et celui de Le Franc de Pompignan, Archevêque de Vienne ; voire même celui de l'Abbé Maury, et du Vicomte de Noailles : examinez, continua-t-elle, voyez quelle énorme concavité j'expose à vos regards ; voyez quelle profondeur, quelle ouverture, et dites-moi, si Maurice, Comte de Saxe, ou quelqu'autre Hercule de sa trempe, eurent dédaigné rendre hommage à cette croupe vénérable : examinez ce mouvement de reins, cette agilité de charnière, cette souplesse, et convenez que je me suis rendue égale à vous, quoique d'un autre sexe, et que mes prétentions ont autant de fondement que les vôtres. Oui, je veux être des initiées, et jouir, ainsi que vous, de toute la gloire que je me suis acquise ; et si quelqu'un de vous ose me la disputer, qu'il entre en lice, qu'il ajuste son braquemare ; je veux le diriger, lui faire fournir sa carrière, et le forcer à convenir que Tabouret est le phénix de la Boug... Accourez Boug..., Bardaches, Bardachins, Bardachinets, contemplez et voyez si la mobilité de mon Rond ne met pas en défaut la mobilité du vôtre ». Alors cette Prêtresse de Sodome fit un grand mouvement de reins en écartant les cuisses, qui força l'Assemblée à un bravo général. La majeure partie des Membres se pâmèrent de plaisir, et jugèrent qu'il n'y avait lieu à délibérer. Tabouret prit place à la séance, et fut déclarée Chevalière de l'Ordre. »


in Les enfans de Sodome à l'assemblée nationale [1790], Anonyme, Editions GayKitschcamp, mars 2005, ISBN : 2908050609, pp. 39 à 48

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Hymne de la pédérastie : le groupe des Tyrannoctones

Publié le par Jean-Yves Alt

En - 514, le jeune Harmodios était l'éromène (l'aimé) d'Aristogiton. Hipparque, frère du tyran Hippias s'éprit à son tour du bel éphèbe qui l'éconduisit. Dépité, Hipparque se vengea bassement en humiliant la sœur d'Harmodios. Celui-ci supporta difficilement cet outrage, et son éraste (amant) Aristogiton s'en irrita bien plus encore. Ils ourdirent donc un complot visant à tuer Hippias et son frère. Mais, le jour venu, se croyant trahis, ils renoncèrent en n'abandonnant pas l'idée de se venger de celui qui leur avait fait l'affront, et le rencontrant sur leur chemin, le tuèrent. Harmodios fut massacré sur place et Aristogiton périt, un peu plus tard, cruellement supplicié.

Ce drame eut un tel retentissement et agit avec tant de force sur l'imagination populaire, que la légende ne tarda point à en déformer le souvenir. Bientôt les Athéniens se convainquirent que les deux amants avaient tué le tyran lui-même, et que, par cet exploit, ils avaient délivré leur patrie d'un joug odieux.

Reconstitution du groupe des Tyrannoctones

Les deux statues présentées au Musée national archéologique de Naples, trouvées à la villa Adriana, sont des copies représentant, à droite, Harmodios, bras droit levé et tenant un poignard, prêt à frapper ; et à gauche, Aristogiton, tendant en avant son bras gauche recouvert d'un manteau tandis que son bras droit, armé, est rejeté en arrière. Le groupe est représenté de face, le spectateur se trouvant donc dans la position de la victime.

Cet enthousiasme se manifesta dans une fameuse chanson de table, qui est en quelque sorte l'hymne de la pédérastie, si populaire que les jeunes gens la chantaient à tout propos dans les banquets et qu'on en avait les oreilles rabattues.

Je porterai l'épée dans un rameau de myrte,

comme Harmodios et Aristogiton,

lorsqu'ils tuèrent le tyran

et firent Athènes libre.

Cher Harmodios, non, tu n'es pas mort ;

tu habites les îles bienheureuses

avec le rapide Achille,<

avec Diomède, fils de Tydée.

Je porterai l'épée dans un rameau de myrte,

comme Harmodios et Aristogiton,

lorsque, à la fête des Panathénées,

ils tuèrent le tyran Hipparque.

Votre gloire sera éternelle,

cher Harmodios et cher Aristogiton,

parce que vous avez tué le tyran,

parce que vous avez fait Athènes libre.

On éleva aux amants tyrannicides un tombeau sur la route de l'Académie, c'est-à-dire au lieu des sépultures glorieuses. Ainsi que des statues, et ils furent même les premiers à qui l'on en ait élevé dans l'Agora. Par la suite, ils devinrent l'objet d'un véritable culte. Parmi les fonctions religieuses de l'archonte polémarque, il y avait celle de célébrer « la fête commémorative de la mort d'Harmodios et d'Aristogiton ».

Une loi prescrivit à tous les citoyens de prêter contre quiconque tenterait de renverser le gouvernement populaire un long serment dont les formules essentielles étaient : « Je tuerai de ma main, si je le puis, celui qui renversera la démocratie athénienne... Et si un autre que moi accomplit le meurtre, je le tiendrai pour pieux envers les dieux et les démons... Si au contraire quelqu'un, soit en accomplissant, soit en essayant d'accomplir le meurtre, vient à succomber, je lui ferai du bien et je l'honorerai, lui et ses enfants, comme Harmodios, Aristogiton et leur postérité. »

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Jésus La Caille, Francis Carco (1914)

Publié le par Jean-Yves Alt

Une visite du Montmartre, dans les années précédant la Première Guerre mondiale, mais il ne s'agit pas vraiment d'une visite touristique... puisque Francis Carco met en scène des prostitués masculins.

Jésus la Caille, à peine sorti de l'adolescence, est un jeune proxénète homosexuel : « cambré, les yeux brillants, la bouche frottée de rouge, […] toute son allure exprimait la joie nerveuse qu'il avait à se sentir jeune, amoureux, fringant et désirable » (Première partie, chapitre I).

Bambou, l'ami de Jésus la Caille, est arrêté par la police des mœurs. Il a été donné par le Corse. Privé de sa plus tendre affection, la Caille, se désespère ; il a peur d'être pris à son tour. Il se voit déjà entraîné, comme Bambou, dans une odieuse machination et il ne peut compter sur personne ; ses petits amis de bar sont, entre eux, jaloux et quant aux maquereaux, comme le Corse, il sait qu'ils sont toujours contre les gigolos. Fernande, la femme du Corse, réconforte Jésus :

« — Mon gosse !

Et, lentement

— Qu'est-ce que t'as mis dans tes mirettes !...

C'est vrai qu'elle était ivre, mais d'une tendresse si chaude qu'il dut l'embrasser sur la bouche au grand émoi de tout le groupe.

— Petite vache, avoua-t-il.

— Tiens, soupirait Fernande, j'ai peur que tu m'aimes jamais comme t'aimes Bambou.

— Tais-toi. Bambou, c'est mon homme et j'le dirais même devant l'Corse.

— Tu l'dirais !

Elle admira son audace, un instant, puis à voix basse :

— Dis pas ça, mon gosse... Il t'briserait comme Bambou, comme il veut tous vous briser, qu'il assure. Tu l'connais pas, la Caille. Il peut pas sentir les mignards. Il voit rouge. Des fois, quand il apprend qu'une femme a trompé son homme avec une tante, c'est lui qui s'trouve comme cocu et qui veut s'venger. Ah ! si la Police n'y f'rait pas d'soucis, alors, tu l'verrais. Elle s'abandonna tout à fait.

— Toi, y a longtemps, la Caille et j'dois te l'dire, et j'voulais et j'voulais pas, mais il te vise et j'peux pas savoir comment qu'il s'y prendra. L'coup d'Bambou, à l'hôtel, avec Mina, c'est d'lui. Méfie-toi. J'suis folle, petit homme, à c'tte idée. J'suis ta femme. Où tu voudras qu'on aille, j'irai, j'travaillerai, j'f'rai du pèze et je t'en lâcherai pour qu'on soit rien qu'nous deux et la belle vie d'amour. » (Première partie, chapitre IV)

Le Corse sera lui aussi dénoncé et arrêté. Fernande sera la première femme de la Caille ; elle le quittera pour Pépé-la-Vache. Quand le Corse sortira de prison, il tuera Pépé et Fernande s'accusera du meurtre.

Les scrupules n'étouffent guère Jésus-la-Caille puisqu'il se console de la perte de son homme, Bambou, entre les bras de son propre jeune frère, la Puce. Peu lui importe, du moment qu'on travaille pour lui. Car lui, il a arrêté d'offrir sa grâce adolescente et ses boucles blondes. Il se ronge les sangs, oisif, en fumant des cigarettes et se demandant qui il est et qui il aime vraiment.

Bien sûr, « Jésus la Caille » a beaucoup vieilli. Montmartre n'est plus « cet enfer bigarré, où les, les souteneurs, les pisteurs, les camelots, les bohèmes, les gigolos et les filles se heurtent, se décrient et se mêlent » (Deuxième partie, fin du chapitre III). Pourtant ce roman reste un document intéressant sur le Paris interlope du début du siècle dernier.

Le lecteur est transporté dans un monde nouveau, où des lois qui ne lui sont pas familières dirigeaient la destinée d'individus pittoresques ou tragiques : un prostitué était mal vu, il était méprisé par les caïds et donc particulièrement exposé aux règlements de comptes. Dans ce milieu machiste où l'on aimait affirmer sa brutalité, le prostitué était soupçonné d'être un donneur et on ne lui faisait pas confiance. Paradoxalement, c'était lui qui était souvent dénoncé à la police par des voyous qui voulaient se faire bien voir :

« Il [Pépé-la-Vache] connaissait la haine instinctive du Corse pour le couple équivoque et, comme le Corse, il détestait Bambou, la Caille et ceux de leur espèce mais ne le montrait point. Tout prudence, au contraire, il favorisait à Montmartre l'action de la police qu'il flétrissait afin d'affirmer des sentiments violents alors que, dans les bars, on déclarait : "Mort aux bourriques et mort aux tantes !" » (Première partie, chapitre I)

Ainsi, souvent, le gigolo était une victime désignée, sacrifiée sans remords, rejetée par le milieu dans lequel il évolue.

L'écriture de Francis Carco, par son goût des complicités à demi consenties et par son désir d'assister à des actes troubles, est celle d'un témoin enflammé. C'est la passion qui dégrade les personnages qui n'offrent aucune résistance au mal : ils vivent d'une vie instinctive et sont confinés par leurs occupations dans un monde clos qui brise leur énergie. Entre le bar, le trottoir et la chambre d'hôtel, ils ne trouvent du plaisir que dans les stupéfiants, l'alcool, ou dans une servitude sans restriction envers celui ou celle qui émeut leur chair lassée.

« Jésus la Caille » in Francis Carco de Francis Carco sous la direction de Jean-Jacques Bedu et Gilles Freyssinet, Éditions Robert Laffont/Bouquins, 2004, ISBN : 2221101928


Lire aussi : Les « jésus » par François Carlier (1887)

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