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Maintenant méprisez-moi, Mauricio Wacquez

Publié le par Jean-Yves Alt

On pourrait qualifier « Maintenant méprisez-moi » de roman homosexuel érotique.

Mais au-delà d'un récit entièrement construit sur des scènes sexuelles réaliste, et qui ne craignent pas d'exalter ce qu'il y a de plus violent et de plus spécifique dans le plaisir entre deux hommes, le titre signale également une relation hautement plus érotisée et dont on parle peu, le jeu sadomasochiste entre le lecteur et l'écrivain.

C'est ainsi que se tisse un rapport brûlant, non seulement entre le narrateur et les personnages qu'il met en scène, et dont il prend tour à tour le rôle, mais aussi entre le narrateur et le lecteur qui jouent à se cacher du diable, pour admettre ensemble l'obsession du plaisir entre hommes. Lorsqu'ils ôtent les masques bien sûr, et vénèrent le phallus, maître à bord de toutes les concupiscences.

« Vous – qui transcrirez cette histoire et que j'ai recherché précisément parce que le hasard seul nous unit et que nous n'avons en commun que la vue de l'océan depuis la salle à manger de l'hôtel du Palais – me reprocherez de ne pas suivre les règles consacrées par la tradition, selon lesquelles le narrateur n'a droit qu'à deux choses : ou bien suivre les vicissitudes de l'action et la pensée du héros (même cela, on l'accepte) du dedans, ou bien poursuivre plusieurs personnages et les entourer d'un paysage et d'une anecdote interrompue de « dit-il », « pensa-t-il », « s'exclama-t-il avec colère ». Ce que je vais faire sera moins orthodoxe : je vais être la conscience de tous parce qu'aucun n'est assez complexe pour être moi-même. A part Julien, qui nie tout en bloc, existent d'autres protagonistes moins cérébraux et moins imaginatifs, mais plus habités par la passion. Ils sont, d'une part, le contrepoint ou le relief apportés à un territoire médiocre et exsangue qui serait celui du collège, d'autre part les antagonistes d'une âme qui meurt. Dix ans séparent ces deux espaces. Et le dénouement irradie une lumière morale. » (pp. 12-13)

Mauricio Wacquez attaque de front le corps à corps masculin au plus décisif de son combat : la pénétration. Un désir d'autant plus banni parce qu'omniprésent. Etre homme pénétré par l'homme et en jouir ; être homme pénétrant un autre homme et se voir en jouir doublement.

Ce rêve trouverait sa plénitude si, encastrée entre deux hommes, la virilité se savourait dans l'imbrication sans vide d'une jouissance ininterrompue, la chaîne parfaitement circulaire du plaisir donné en même temps que reçu.

Julien est un très jeune garçon encombré d'une sexualité tyrannique. Dans l'internat noyé d'encens d'un collège religieux, il succombe à l'amour démesuré de Marcio qui s'offre à toutes les fantaisies du désir de Julien. Scènes de masturbation, fellation, sodomisation... pas d'ellipses dans les descriptions, la chair de ces jeunes mâles bout et rugit, dans l'excitation d'un univers clos perclus de sainteté et d'interdits.

Maintenant méprisez-moi, Mauricio Wacquez

« Voilà, Julien savait qu'il tombait dans le fébrile abîme, cet abandon où il aimait tant être conduit par Marcio. Lui laisser l'initiative. À lui de le faire. Il ferma les yeux et tendit la main : il frôla la cuisse de Marcio. Le sommier grinça. Les mains de Marcio repoussèrent le drap et il sentit une bouche errer le long de son sexe, ses cheveux se hérissèrent sur sa nuque, finalement la bouche prit l'extrémité de son sexe, s'accoupla à lui, humide et chaude. Il ouvrit les yeux et le vit, penché sur lui, vorace. Il pensa à un charognard dévorant sa proie. Il sut que Marcio avait gagné. Il le vit ôter sa chemise, son pantalon, il le vit nu et blanc, si beau qu'il fut submergé d'une vague de terreur. Un fourmillement délicieux parcourait ses membres depuis le centre manipulé par Marcio. Julien se dit : il sait que j'aime ça, mon Dieu, qu'est-ce qu'il m'arrive ? et il essaya de jouir tout de suite, là, dans sa bouche, d'en finir une bonne fois. Mais Marcio se glissa à côté de lui et resta immobile, sur le ventre.

— Continue, continue, dit Julien.

— Tu aimes ça ? Dis-moi que tu aimes ça.

— Tu es fou, c'est toi qui aimes ça.

— Oui, j'aime ça. Pas toi, toi, tu aimes les femmes.

— Tu vas continuer ?

— Dis-moi que tu aimes ça.

— Merde ! cria Julien, et il bondit, se mit sur Marcio, remarquant une résistance inhabituelle quand il voulut le pénétrer. Tu n'en as pas mis ?

— Non.

— Où est-elle ?

— Dans la poche de mon pantalon.

Julien se pencha jusqu'au sol et chercha le tube dans les poches du pantalon. Il le déboucha et fit couler un lombric glacé sur le bout de son sexe. Les yeux fermés, ne voulant plus penser, ni savoir, ni comprendre, il s'approcha de Marcio, se remit sur lui. À chaque fois il avait l'impression que ce premier instant était l'occasion rêvée pour lui faire mal. Il poussa violemment et sentit que le corps blanc et mince de Marcio se tordait sous lui. Se tordait mais était incapable de se libérer. Julien s'appliqua à entrer en lui en force, en appuyant de tout son poids sur le point de jonction étroit et glissant. Lentement, il s'aperçut qu'il parvenait à ses fins, qu'il était à mi-chemin, et que rien n'était comparable, se disait-il, à ces délices. » (pp. 74-75)

La seconde face du roman se situe dans un cirque. Marcio et Julien y rencontrent « leur » jumeau, un acrobate. L'acrobate s'anéantit sur le sable de l'arène et Marcio le remplace auprès de sa partenaire, Reine, sous les yeux de Julien. Les deux hommes continuent à se désirer mais Reine s'immisce entre eux. Julien croit aimer Reine, il la pénètre, mais lui-même n'éjacule que dans le corps de Marcio.

Trio de légende où la réalité explique le mythe. L'homme sait qu'il y a douleur à abandonner le même et s'oublier dans l'autre sexe. Le dénouement est un retournement parodique, ultime numéro de trapèze volant : le narrateur expulse Julien de la narration et c'est Marcio qui épouse Reine.

L'auteur de « Maintenant, méprisez-moi » n'a cure de la morale. Son propos est de constater que chaque homme porte en lui, plus ou moins longtemps, l'amour du double, une jouissance sans limites dont on connaît les rites puisqu'on s'aime soi-même dans le plaisir familier de l'autre.

Julien est ce « troisième », parfois inventé, qui permet un plus ample jeu de miroirs au phallus : la jouissance homosexuelle est plaisir sauvage et gratuit. Elle rend dérisoire tout ce qui relève de la réussite et du pouvoir. Car il s'agit bien là du péché, le vrai, celui que toute société structurée ne pardonne pas, l'intolérable peur que l'homme trouve sa finalité et son tranquille assouvissement dans la jouissance. C'est pour cela aussi que les dictatures interdisent le sexe sans projet social en même temps qu'elles confisquent la liberté individuelle.

■ Maintenant méprisez-moi, Mauricio Wacquez, traduit de l'espagnol (Chili) par Denise Laroutis, Editions Ramsay/De Cortanze, 132 pages, 1990, ISBN : 978-2859568559


Du même auteur : Face à un homme armé


Quatrième de couverture : « L'histoire que je vais vous raconter s'est passée dans le cœur d'un homme il y a longtemps. Elle est banale et imaginaire et a des liens intermittents avec la foi. Je vous supplie donc de ne pas juger au nom d'une quelconque science mais de vous laisser aller aux détails d'une leçon de morale. Nous sommes victimes, vous et moi, de la fantaisie, nous sommes donc incapables de juger un homme trop jeune pour savoir où se trouve le bien. La pitié ou l'étonnement sont seuls de mise en face de l'erreur. Se tromper, plus qu'une tare, est une extravagance...

Si Dieu m'abandonne, pensa-t-il, il ne me reste plus qu'à accepter les propositions du Diable. L'érection le cloua sur le lit, c'était comme une masse plus lourde que son corps, qui le poussait à ramper, à se coller à la terre, à la perforer. L'éternelle sensation revenait : le flux du sang aux tempes, dans la gorge, le chatouillement de sa peau frémissante, la, contraction spasmodique de ses sphincters. Lentement, il ouvrit sa chemise, caressant le bout durci de ses seins ; il déboutonna son pantalon et son caleçon et les fit descendre jusqu'en bas de ses jambes. »

Mauricio Wacquez

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