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Les Lumières de Paris, Jacques Brenner

Publié le par Jean-Yves Alt

ou le Saint-Germain-des-Prés des années 50

Paris, pour nombre d'artistes et d'écrivains, c'était d'abord et avant tout Saint-Germain-des-Prés, ce village dans la ville, cette enclave intellectuelle avec ses maisons d'édition, ses cafés, ses brasseries, lieux de rencontres et d'échanges, lieux de vie. C'étaient les années cinquante.

Romancier, essayiste, éditeur, critique, Jacques Brenner fait figure de personnalité du monde des lettres. « Les Lumières de Paris » fut publié une première fois au début de 1962. Jacques Brenner avait modifié la plupart des noms de lieux et de personnes évoqués dans le livre, afin de ménager la susceptibilité des personnalités mises en scène. Mais les clefs de ce roman apparurent trop évidentes à nombre d'entre eux et René Julliard, son éditeur, décida de le retirer de la vente deux semaines après sa sortie, sous la pression de Jérôme Lindon, directeur des Éditions de Minuit. Vingt ans plus tard, les passions s'étant apaisées, le livre est ressorti. Mais pour l'occasion, Jacques Brenner a rétabli les noms véritables et ajouté quelques chapitres. Au roman de 1962, a fait donc place, en 1983, un livre de souvenirs, une chronique savoureuse des mœurs du Paris littéraire des années cinquante.

Jacques Brenner a vingt ans en 1943, il est étudiant en droit à Rouen. Amoureux de la littérature, fasciné par l'univers des écrivains, il monte à Paris et tente de travailler dans ce milieu qui le passionne. Il débute dans le journalisme littéraire, effectue de petits travaux d'édition et rencontre Jérôme Lindon, le directeur des Éditions de Minuit, qui lui confie la librairie attenante aux éditions. C'est le début d'une longue collaboration, où les nuages ne manquent pas. Devenue le lieu de rendez-vous de jeunes gens épris de littérature, la librairie donne à Jacques Brenner l'occasion de rencontrer Claude Perdriel, qui « avait toutes les apparences du fantaisiste » et était encore loin de devenir le patron du Nouvel Observateur et du Matin de Paris. Grâce au financement de Perdriel, il lance une revue trimestrielle, « Saisons », d'abord abritée aux Éditions de Minuit et qui connaîtra son apogée chez Julliard sous le titre des Cahiers des saisons. Cette revue est l'un des lieux les plus vivants de l'après-guerre et a permis de découvrir bon nombre d'auteurs de talent, français et étrangers.

Pour Jacques Brenner, dont le Paradis de la littérature abrite La Rochefoucauld, Voltaire, Valéry et Chardonne, cette époque est l'occasion de rencontrer et de nouer amitié avec les auteurs les plus divers. Cela lui permet, plusieurs années plus tard, de brosser le portrait de quelques écrivains, illustres ou plus confidentiels, portraits qui font tout le prix de ce livre.

La Trinité, André Gide, Roger Martin du Gard, Jean Schlumberger, occupe les premières pages des « Lumières de Paris ». Pierre Herbart, l'auteur du magnifique Âge d'or, est aussi au rendez-vous de ces rencontres relatées avec pudeur et générosité. Mais c'est le groupe de la rue Féron qui occupe l'essentiel du livre. Chez Edgar Montel, personnage mythomane et malgré tout attachant, défilent Henri Thomas, Théodore Sandor, Arthur Adamov, Alfred Kern et quelques autres. Parmi ces derniers, le moins passionnant n'est pas Antonin Artaud, arrivé à Paris en mai 1946 et qui devait succomber d'un cancer en mars 1948. Personnalité exceptionnelle, Antonin Artaud, que Brenner appelle « le grand homme des petites revues, estimait que la sexualité est horrible. Elle vous dépossède de vous-même et, en tout cas, tue la poésie en vous. Elle vous supprime si vous n'y veillez pas ».

Un autre écrivain dont Jacques Brenner trace le portrait, pas toujours flatteur, est Alain Robbe-Grillet, lancé par Jérôme Lindon et qui fabriqua de toutes pièces une école du Nouveau Roman dont il était, à l'origine, l'unique mégalomane représentant.

« "Les lumières de Paris" était entièrement construit avec des souvenirs. Je me présentais en disciple du Christopher Isherwood des récits d'avant-guerre, c'est-à-dire que je me donnais un rôle de témoin et ne livrais mon propre portrait qu'en creux. »

Quand Jacques Brenner s'arrête, le temps de quelques pages, sur sa vie personnelle, c'est pour faire part de ses continuels problèmes de logement ou de la déchéance physique et morale qui précède le décès de sa mère. Pour cocasses et émouvants que soient ces passages, il est difficile de s'empêcher de regretter une certaine banalité dans l'écriture et la réflexion et préférer l'admirable témoin de la vie littéraire. Témoin rien moins qu'impartial, dont la tendresse pour ses amis ne masquait jamais la lucidité à leur endroit et au sien.

René Julliard pensait qu'un tel livre ne pouvait intéresser que deux cents personnes et Jérôme Lindon réduisait ce chiffre à vingt. Même si l'intérêt s'est déplacé entre 1962 et aujourd'hui, cet ouvrage demeure une référence pour la connaissance de quelques personnalités qui ont marqué la vie littéraire de cette époque.

■ Les Lumières de Paris, Jacques Brenner, Éditions Grasset, 1983, ISBN : 2246286719


Du même auteur : Les amis de jeunesse - La rentrée des classes

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