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The adjuster, un film d'Atom Egoyan (1991)

Publié le par Jean-Yves Alt

Sexe, porno, censure et perversité, ce sont les thèmes du film d'Atom Egoyan, « The Adjuster ».

Ces thèmes parcourent ce film hors du commun, tant par l'intrigue elle-même que par son traitement foncièrement original.

Le titre, « The Adjuster », qu'on peut traduire par « L'expert en sinistres », soit celui qui juge de l'importance des dommages auprès des compagnies d'assurances. C'est la profession du héros, Noah Render. Il est en plus passionné de tir à l'arc. Il est, en somme, le « juste » qui ajuste le tir : celui qui a le pouvoir de changer le destin des gens. Noah est également celui qui délivre, qui emporte, qui protège.

Les autres personnages ? Un couple d'homosexuels, deux sœurs voyeuses et nymphomanes, Bubba, un cinéaste ex-joueur de football américain, un collectionneur de papillons... Leurs actes ? Manqués, ou gratuits. Ou bien irréparables. Leurs raisons ? Fantasques.

La narration est éclatée : le film apparaît construit comme un puzzle, dont on a parfois du mal à reconstituer les morceaux.

En français, le mot « Adjuster » se charge quelque peu d'une connotation sexuelle : ne dit-on pas « ajuster le tir », mais aussi, plus trivialement « tirer son coup ». Noah passe beaucoup de temps à réconforter les sinistrés, et parfois même très intimement. Tous et toutes, y compris le patron du motel et la femme de ménage, profitent de leur bienfaiteur.

Le personnage de Noah m'a ainsi rappelé l'ange de « Théorème » qui descend sur terre pour coucher avec toute la famille. A la différence que Noah, contrairement au visiteur joué par Terence Stemp dans le film de Pasolini, ignore son influence sur les victimes qu'il tente de consoler. Il est lui aussi en état de choc. Noah se sent exclu de ces familles dans l'intimité desquelles son métier le fait entrer malgré lui. C'est pour lui une épreuve difficile d'évaluer ce que sont les gens, à travers la nomenclature de ce qu'ils possèdent.

Au début du film, on voit une main, illuminée artificiellement ; à la fin, c'est le feu purificateur, l'immolation de Bubba. Le film est comme traversé par le thème de la rédemption : Noah, à travers l'exercice de son métier, apprend à se détacher de l'idée de la famille. Il découvre qu'elle ne signifie pas forcément l'équilibre. C'est surtout un système tyrannique de valeurs.

Avec cet homme inconnu, Noah l'«adjuster», les sinistrés ont le sentiment d'être redevenus des enfants entre ses mains providentielles.

Ce film s'interroge sur cet homme chargé d'évaluer, à travers cette liste d'objets, les « valeurs » de chacun. Et du coup, se pose la question de savoir si les valeurs matérielles coïncident avec les valeurs morales.

Hera, l’épouse de Noah, travaille pour un comité de censure et visionne des films pornographiques. Dans son travail de censure, Hera protège des valeurs, en déterminant ce qui peut être vu ou pas. Le spectateur, en confrontant, les deux rôles de Noah et d'Hera, est amené à constater que si la maison est construite sur l'illusion de posséder des choses, la censure est elle-même fondée sur l'illusion de posséder des valeurs.

Dans le film, on ne voit jamais les pornos que se visionnent les censeurs, par contre on les entend, comme si la censure s'attaquait aux images, jamais au son. Et l'ironie, dans ces passages, c'est que ce qui est donné à entendre, c'est l'expression du tabou suprême, l'inceste, le meurtre.

« The Adjuster » n'est pas un film moraliste : il ne juge absolument pas telle où telle forme de sexualité même quand cela passe par la perversion. Noah veut, obsessionnellement, le bien ; il est hétéro, mais capable de transgresser sa propre sexualité, pour se confondre, pour se comprendre à travers ces gens. Il a toujours besoin de nouveaux « partenaires » et c'est sans doute sa névrose à lui.

Ce film semble ainsi vouloir transmettre que l'identité sexuelle d'un individu n'est jamais établie une fois pour toutes.

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