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À chaque société son homosexualité

Publié le par Jean-Yves Alt

« Quelles que soient les sociétés, l'homosexualité n'a jamais fait figure de modèle », explique Patrick Awondo du Laboratoire d'anthropologie sociale (1), à Paris, « car le principe premier de l'union sexuelle a toujours été la reproduction ». Les pratiques homosexuelles ont néanmoins toujours existé, comme par exemple les relations entre un homme plus âgé et son cadet dans la Grèce antique. Et, plus contemporains, les rites de fellation chez les Baruya de Nouvelle-Guinée, ou encore des mariages entre femmes ou entre hommes attestés dans de nombreux groupes d'Afrique.

Ces pratiques étaient tolérées et souvent acceptées. « Dans le cas contraire, elles n'étaient pas pour autant diabolisées ni pénalisées », précise l'anthropologue. Et puis, la colonisation et les missionnaires chrétiens sont passés par là et ont généralisé la diabolisation puis la criminalisation, notamment en Afrique.

Mais ce qu'on appelle homosexualité en Occident aujourd'hui n'a parfois rien à voir avec ces pratiques anciennes dont certaines perdurent. Ainsi les rituels de Nouvelle-Guinée ont pour but le passage à l'état d'homme adulte en faisant absorber aux jeunes garçons de la substance mâle. Tandis que les mariages entre personnes du même sexe répondent souvent à des aléas économiques ou familiaux, en cas de manque de maris ou d'épouses.

« Au final, sur l'ensemble des pratiques observées, certaines se rapprochent tout de même de celles de l'Occident », reprend Patrick Awondo, « mais les comparer toutes pose néanmoins toujours problème ». « En effet, pour nous, l'homosexualité, ce ne sont pas seulement des pratiques ; c'est une identité », rappelle Éric Fassin, sociologue à l'Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux – Sciences sociales, politique, santé (2), à Paris.

La signification des pratiques, même identiques, reste donc très différente aux yeux des intéressés. « Par exemple, les Africains qui ont des pratiques homosexuelles ne s'identifient pas nécessairement à un gay européen qui fréquenterait les backrooms (3) ou revendiquerait le mariage », poursuit Éric Fassin.

L'Occident se veut aujourd'hui tolérant, mais c'est souvent pour faire la leçon aux « autres ». « >Dans le monde musulman, les droits des homosexuels apparaissent donc souvent comme un emblème de l'impérialisme occidental. En fait de tabou, c'est plutôt un enjeu géopolitique », commente Éric Fassin. « À l'inverse, des gouvernements conservateurs, comme la Colombie, s'en servent pour afficher leur modernité et c'est aussi ainsi que progressent les droits des couples homosexuels », continue-t-il.

« Au final, le travail des chercheurs est à présent de documenter l'existence des pratiques partout dans le monde et de montrer qu'il y a de multiples identités homosexuelles », conclut Patrick Awondo.

Ce processus de resignification des pratiques actuellement en cours est donc crucial. Ce n'est pas un hasard si la communauté homosexuelle occidentale a repris il y a une trentaine d'années un mot très ancien, gay, pour se définir elle-même et s'affranchir de l'étiquette sulfureuse posée par la médicalisation de la sexualité née au XXe siècle.

Charline Zeitoun

Le Journal du CNRS n°242, mars 2010, page 21


1. Unité CNRS / EHESS / Collège de France.

2. Unité CNRS / EHESS / Inserm / Université Paris-XIII.

3. Salle de certains bars où les consommateurs peuvent se rencontrer dans l'obscurité pour des relations sexuelles anonymes.

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