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Will & Will, John Green et David Levithan

Publié le par Jean-Yves Alt

Deux auteurs, deux styles d'écriture, pour deux adolescents qui portent le même nom : Will Grayson. Les deux Will habitent dans la même ville mais ne se connaissent pas. Le lecteur découvre – par le biais des chapitres – chacun en alternance.

■ Le premier Will, a pour ami un joueur de football, Tiny Cooper. Celui-ci est très corpulent, homosexuel assumé et rêve de monter une comédie musicale. Will abhorre tout ce qui touche aux sentiments : Tiny a donc les plus grandes difficultés pour le « fourrer dans les bras de Jane » qui est la troisième personne qui constitue l'« Amicale Gay & Hétéro ».

■ Le second Will est un homosexuel complexé et déprimé ; il a pour unique ami, un certain Isaac, qu'il ne connaît que par l'intermédiaire de sa messagerie électronique. Cet adolescent établit très lucidement le rôle que la « haine de soi » peut produire dans une (im)possible relation amoureuse. will a pour habitude d'écrire sans jamais utiliser les majuscules ; ce qui permet au lecteur de différencier les deux Will : Will/will. Ce second Will (will) a pour amie, Maura, dont tout le monde pense qu'elle est sa petite amie. Maura se doute pourtant que will est gay mais elle ne dit rien à l'extérieur.

Will et will vont se rencontrer par hasard dans un sex-shop : Will, parce qu'il a été rejeté d'un concert et est entré là ; will, parce qu'Isaac (isaac) lui a donné rendez-vous dans ce lieu. Comme le correspondant de will n'est pas là, Will et will font connaissance. C'est ainsi que will et Tiny vont se rapprocher et se plaire. Le roman se termine en happy end avec la représentation de la comédie musicale de Tiny.

Si ce roman parle d'amour, il n'est en rien abordé de manières romantiques. Il n'y a pas de personnages visionnaires à l'imagination frénétique, morbide, et d'un irrémédiable pessimisme. Ce qui n'empêche nullement des vécus profonds des protagonistes, qu'il s'agisse d'amour non partagé, non admis pour Will ou d'amour interdit pour will :

« Tiny : tu sais, phil wrayson m'a appris un mot, un jour : weltschmerz. c'est le sentiment d'abattement qu'on ressent quand le monde extérieur ne correspond pas au monde tel qu'on voudrait qu'il soit. moi, je vis dans un océan permanent de weltschmerz, tu vois ? et toi aussi. et tous les gens qui nous entourent. parce que tout le monde pense qu'on devrait pouvoir se laisser tomber, encore et encore, sans jamais s'arrêter, sentir l'ivresse de la chute et le souffle de l'air sur son visage, ce vent si fort qui vous sculpte un sourire dément sur les lèvres. et ça devrait être possible. on devrait pouvoir s'élancer dans le vide toute sa vie sans jamais, jamais s'arrêter.

et là, je me dis : non.

sérieusement. non. » (p. 370)

Drôle, terrible, généreux et lucide, ce livre aborde des vécus sur lesquels les adolescents d'aujourd'hui peuvent s'interroger ; et, pas seulement ceux sur l'homosexualité :

« moi : espèce. de. salope.

maura : pourquoi les filles se font-elles toujours traiter de « salopes », jamais de « sale trouducs » ?

moi : je refuse d'insulter les trous de balles. eux au moins, ils servent à quelque chose. » (p. 153)

Il est regrettable que l'écriture soit si lourde (je devine qu'elle plaira aux ados d'aujourd’hui) : sous couvert d'une forme stylistique qui veut faire jeune, elle appauvrit considérablement la portée de ce roman. Les auteurs pensent-ils que l'écriture et soi-même (faire passer son corps, traduire des émotions, manifester son intériorité) ne font qu'un ?

Il y a pourtant des pages où les héros semblent projetés dans des zones insolites et intemporelles où le "rêve" peut offrir l'apparence du réel :

« ― Grayson, tu ne serais pas en train de me faire ton coming out, dis ? Parce que surtout, ne le prends pas mal, mais je préfère devenir hétéro que de rester gay avec toi.

― NON. Non non ! Je n'ai pas envie de te sauter. Je t'aime d'amour, voilà tout. Depuis quand est-ce que tout se résume à qui on a envie de sauter ? Depuis quand n'a-t-on le droit d'aimer que la personne qu'on a envie de sauter ? C'est ridicule, Tiny ! Je veux dire, merde ! On s'en fout du sexe, non ?! Les gens se comportent comme si c'était l'activité la plus importante de la vie... mais c'est des conneries. Comment nos intelligences humaines pourraient-elles tourner uniquement autour d'un truc que même les limaces font entre elles ? Bien sûr, savoir qui on a envie de sauter et parvenir ou non à ses fins, c'est important, sans doute. Mais ce n'est pas l'essentiel. Tu sais ce qui compte vraiment ? Savoir pour qui on serait prêt à donner sa vie. Pour qui se réveillerait-on à 5 h 45 du mat sans se poser de questions ? De qui serait-on prêt à essuyer la morve quand il gît ivre mort par terre ? » (p. 317)

Ce roman confirme – si besoin était – que les adolescents pensent, fantasment et qu'ils peuvent avoir des relations de tendresse… parfois tortueuses.

■ Will & Will, John Green et David Levithan, Éditions Gallimard/Scripto, mars 2011, ISBN : 978-2070632527


Lire aussi la chronique de Lionel Labosse sur son site altersexualite.com

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