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Mishima, un film de Paul Schrader (1985)

Publié le par Jean-Yves Alt

Une vie en quatre chapitres

25 novembre 1970 : Mishima se suicide par hara-kiri. Paul Schrader a reconstitué le film de sa vie pour expliquer son geste. Mais il a gommé l'homosexualité de l'écrivain japonais.

Un homme de quarante-cinq ans se réveille, le 25 novembre 1970 et s'apprête à vivre sa dernière journée, minutieusement programmée par lui. Jusqu'à l'instant fatal, il va se remémorer par des flash-backs en noir et blanc des événements de sa vie passée, dès l'enfance, et illustrer de façon théâtrale certains passages de son œuvre où le héros, plus peut-être qu'ailleurs, est son décalque parfait (ici, Schrader utilise la couleur dans de superbes décors d'ambiance).

Le film est harmonieusement structuré en quatre "chapitres", quatre tableaux qui sont eux-mêmes rigoureusement mis en scène. Les trois premiers nous montrent Mishima au cours de cette dernière journée : à chaque chapitre, il est plus proche de l'instant fatal. Il a d'abord pris soin de faire remettre le manuscrit qu'il vient d'achever ; il s'est vêtu de son costume de parade spécialement conçu pour la milice privée au service de l'empereur, la Tatenokai ; il est rejoint par quatre de ses jeunes disciples, dont l'ami fidèle Morita. Mishima conduit lui-même la voiture, souriant, jovial même. Trois fois donc, l'ultime journée de Mishima sert d'introduction au chapitre, après quoi il nous renvoie, en voix off, à son passé, ou bien nous fait jouer par des acteurs des scènes de son œuvre.

- Le premier chapitre s'intitule "La Beauté". C'est un retour à la prime enfance, avec l'influence étouffante d'une grand-mère autoritaire : l'enfant, puis l'adolescent, est chétif, en proie à une difficulté d'intégration au monde. Atteint en outre d'un bégaiement prononcé qu'il gardera assez tardivement, il se sent exclu de la société. La vue d'un martyre de saint Sébastien provoque sa première éjaculation : il prend conscience alors du pouvoir tragique de la beauté, et cette beauté restera toujours liée à celle du corps masculin. En même temps, évolue Mizoguchi, le héros bègue du "Pavillon d'Or", roman publié en 1956 : c'est un jeune moine qui sert dans un temple célèbre de Kyoto, temple zen du XVe siècle qui constitue pour le jeune homme un idéal de beauté qu'il faut détruire. Mizoguchi est harcelé par le pied-bot Kashiwagi, qui le provoque sur sa virginité en lui montrant comment, malgré son infirmité, il parvient à séduire les femmes.

- Le second chapitre s'intitule "L'Art". Petit employé de bureau, Mishima a publié "Confession d'un masque", où il décrit les fantasmes homosexuels et sado-masochistes d'un jeune homme de sa génération. Il devient célèbre. Il décide de s'adonner à la musculation, de se sculpter un corps d'athlète digne de son idéal de beauté, par une pratique à la mesure de son narcissisme. Les scènes théâtrales nous montrent cette fois Osamu, l'un des héros du roman "La Maison de Kyoko", un acteur fragile qui trouve l'affirmation de soi grâce au culturisme, mais se demande s'il existe vraiment, s'enfonçant avec sa maîtresse, beaucoup plus âgée que lui, dans une relation sado-masochiste de plus en plus sanglante, comme si le sang répandu était garant de l'existence : je saigne donc je suis ! C'est l'époque où Mishima descend dans les boîtes de nuit pédés, qu'il se fait photographier en saint Sébastien, en gangster, ou en samouraï : l'ancien voyeur devient exhibitionniste.

- Le troisième chapitre est celui de "L'Action". L'écrivain crée sa milice privée, construit son image de samouraï moderne au service des valeurs traditionnelles du Japon impérial, à travers un processus qui peut paraître fascisant, et même fasciste. En même temps évolue Isao, le héros de "Chevaux échappés", un jeune illuminé adepte du kendo qui complote d'assassiner (ça se passe au début des années 30) des responsables politiques corrompus avant de se donner la mort selon le rite du seppuku.

- Le quatrième chapitre est celui de "L'Harmonie de la plume et du sabre". Schrader considère que le spectateur en sait suffisamment sur son héros pour comprendre le déroulement des derniers moments : prise en otage du général Mashita, harangue de Mishima aux soldats qui ricanent, et hara-kiri de l'écrivain. Pendant ce temps, les héros de romans achèvent aussi leur mission : Mizoguchi jubile parmi les flammes du pavillon incendié, Osamu gît dans une flaque de sang, et Isamo accomplit son seppuku face au soleil levant.

Tout cela se tient admirablement. Schrader a vraiment réussi une chose : l'explication du suicide de Mishima par sa vie toute entière. Il a aussi compris que parler de la vie et de la mort de Mishima revient à parler de son œuvre, et vice versa.

Paul Schrader n'évoque pourtant pas avec assez de clarté la relation de Mishima et de Morita, et notamment l'influence que ce dernier a exercé sur le maître dans l'élaboration de l'acte final. Pourtant, il ne faut jamais perdre de vue que Mishima préconisait un retour au code des samouraïs et que l'Un de ses livres préférés était le "Hagakure", un recueil du XVIIIe siècle qui laisse entendre clairement que, très souvent, les samouraïs étaient des amants homosexuels.

Paul Schrader a - me semble-t-il - minimisé un élément de la construction dans un ensemble où justement rien n'aurait dû être gommé, comme l'aspect homosexuel de Mishima.

Il reste que "Mishima" est un très beau film.

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