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Le livre de John, Michel Braudeau

Publié le par Jean-Yves Alt

Subtile histoire que « Le livre de John », un livre aux multiples lectures dont le mystère n'est jamais élucidé. Un roman sans fin, vaste, dense, grave, brillant et iconoclaste.

Allusions et clins d'œil littéraires font référence au Lolita de Nabokov.

L'étape principale du voyage éternel qu'entreprennent le narrateur, Paul, et son très jeune compagnon, John, est un motel dans la Vallée de la Mort.

La mère de John lui a confié le garçon, élève indiscipliné et paresseux, dans l'espoir qu'un voyage à travers l'Amérique contribue plus utilement à l'éduquer. Paul est un cameraman dégoûté de l'univers des images et incertain de sa vocation. En dérapage professionnel, avant d'être entraîné par John dans une dérive bien plus troublante.

« Le livre de John », roman érotique, subversif, est le roman de l'écriture et du dévoilement à jamais reculé. Paul et John sont les personnages d'une fiction où l'activité se résume à convoiter et à lire. On lit des revues pornos interdites ; on lit ensemble un roman japonais du dix-huitième siècle, où il est question d'une secte d'amoureux frappés un par un d'une mort inexplicable, par l'intermédiaire de petits garçons qui transmettent de l'un à l'autre des lettres empoisonnées ; Paul dévore en cachette les « Confessions de Ravi S. Vilravi », dernier des pédérastes, révélation d'un « penchant plus répandu qu'avoué », écrit par un « homme sans visage » qui se cache, poursuivi par la vindicte des ligues morales.

Le lieu de la transgression trouve son écho dans l'île imaginaire des enfants morts du roman japonais que John lit chaque nuit : une légende qui aiguise le désir sexuel et n'épuise pas la curiosité. Que sont ces beaux garçons, émissaires voluptueux d'une épidémie transmise par les mots ?

Lire « Le livre de John », c'est lire trois livres imbriqués l'un dans l'autre, qui tous parlent du grand tabou, mais qui – tous trois – diffèrent sans cesse leur dénouement. Un désir inassouvi.

Michel Braudeau « sort » aussi de son sujet principal avec le suicide de l'humanité dont Paul est la victime récalcitrante. Il fuit à travers les États-Unis, un pays qui a voulu croire au bonheur mais ne s'en remet pas d'avoir échoué.

Le cœur du roman, c'est John, livré en toute bonne conscience par sa mère à Paul qui – tel l'ogre des contes – ravit John. Et Paul, homme à femmes, se soumet à l'adolescent. Ariane, son assistante de montage, sa dernière aventure, l'abandonne, non sans lui avoir suggéré que le fil de sa vie, la trame clandestine de son existence est cet enfant juste pubère, au seuil du futur.

L'adulte et l'enfant entament leur dialogue fou à travers le roman japonais que John traduit à Paul quand il se coule dans son lit. Paul n'est pas pédophile. Il découvre la plus grande tentation, le plus grand désir, le plus fort fantasme : voler à un tout jeune garçon ce qu'il n'est pas en mesure de saisir lui-même, la naissance fulgurante de sa sexualité. Il épie l'adolescent, pour savoir le secret de ce qui va définir la vie, lui donner son sens, en organiser le rêve, en bétonner les frustrations.

« Seul avec John à Disneyland, je n'avais pas compris la force qui m'attirait vers lui. Il jouait et je pensais jouer de même. Dans la jungle caraïbe je le guettais. Dans la maison hantée, à bord du train des morts, de la navette perdue dans l'espace, c'était lui le fantôme. Il le savait, jaloux d'un visiteur que j'avais remarqué, prompt à rallumer ma ferveur. Le caractère enfantin de ces divertissements en famille m'avait empêché en tout cas de tirer de trop longues conclusions des joies que j'y avais trouvées. Elles étaient sans conséquences, puisque je serais bientôt dans les bras d'Ariane, qui m'en donnerait de plus fortes, dissiperait les illusions, les émotions nées au contact de John. Je paierais cher aujourd'hui pour me représenter exactement ce qui insidieusement me sépara d'elle.

[…] Il gâchait tout, en fait, entre elle et moi. Ce n'était pas de sa faute, il n'y avait rien de particulier à lui reprocher, sinon "d'être là", disait Ariane. Je ne voyais aucun changement, pour ma part, John se comportait comme d'habitude, un peu bruyant, plutôt discret. Mais d'après Ariane, moi, j'étais différent, j'avais la tête ailleurs. Je me montrais désagréable avec John, injuste au besoin, l'obligeant à rester seul à l'hôtel tandis que j'allais dîner avec Ariane "en amoureux", m'empressais auprès d'elle, la cajolais à mesure qu'elle me fuyait. J'aurais dû comprendre (mais à quoi bon ?) que les paroles étaient déjà vaines. » (pp. 251/252 – éditions Seuil/Points, 1993, ISBN : 2020206145)

Roman pédophile ? Aucunement. Il n'y a ici aucune militance, aucune volonté de persuasion. C'est l'histoire d'un dernier amour. Un désir sans conclusion et qui se réjouit d'éclore indéfiniment.

« Le livre de John » est l'histoire d'une civilisation qui se défait. Ariane sait que la femme ne peut plus rien donner à l'homme. Elle suggère qu'il ne reste plus que la nostalgie. John l'a compris qui ne veut pas être photographié. Il n'est que l'image docile mais éphémère du paradis perdu.

■ Le livre de John, Michel Braudeau, Éditions Gallimard/Folio, 2001 (réédition), ISBN : 2070418022


Du même auteur : L'objet perdu de l'amour

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