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Quand les femmes préparent des guerriers à des ébats sensuels qu'elles ne partageront pas par Hugo Marsan

Publié le par Jean-Yves Alt

« De leurs doigts surchargés de bagues, les femmes caressent les joues des hommes, puis de leurs paumes elles massent les tempes doucement. Une caresse lente et attentive. Elles pianotent autour des yeux, avec méthode et application. Ils s'abandonnent, allongés sur les tapis qui recouvrent la terre au goût de mort, leur tête appuyée sur les cuisses de la femme, le visage renversé, les yeux clos. Elles sont accroupies sur leurs talons. S'ils entrouvrent les paupières, ils ne voient que leurs mains lourdes de pierres et d'or. Certains tentent de garder les yeux ouverts, mais la fatigue les emporte. Elles appuient le bout de leurs doigts aux longs ongles rouges sur la peau tannée, leur peau qu'aucune ride n'égratigne à l'exception, déjà, de fines stries blanches au coin des yeux. Les lunettes ne les préservent pas totalement de l'ardeur du soleil.

[…] elles défont un à un les boutons de leur chemise kaki et passent la paume des mains sur leur poitrine. Leurs ongles effleurent les tétons bruns qui se durcissent. […] Elles accélèrent les mouvements des doigts sur les aréoles, précisent la violence de l'attouchement. Ils se soumettent, soulèvent parfois le buste pour mieux s'adapter à l'emprise des mains. Elles voient le tissu du treillis se tendre à la braguette, elles insistent, les arrachent lentement à la torpeur. Maintenant, elles expulsent les épaules rondes des manches de la chemise. C'est un instant que la plus blasée d'entre elles reçoit chaque fois comme un choc, le déchirement que provoque la nudité des hommes trop beaux. Elles en parlent la nuit quand elles regagnent leur dortoir. […]

Les mains des femmes descendent vers le ventre, défont le ceinturon. Plus tard elles déboutonneront la braguette. Ce geste quasi maternel a des échos mystiques. […] Elles ne touchent pas directement le sexe qui se tend, arme de chair si naïve. Leurs mains se détachent très vite, glissent sur les cuisses, les genoux, les jambes. Ils capitulent. À leur tour, elles ferment les yeux sur l'infini de leur détresse.

La Vieille fait signe de prendre l'éponge lourde d'eau tiède. Elles lavent le visage, le cou, les aisselles, les seins, chaque bras que d'une main elles soulèvent puis reposent. L'éponge presse le ventre, frôle le sexe qui s'apaise. D'un geste méthodique, elles retournent le corps du garçon qui roule doucement sur le tapis. Elles ne retiennent pas un imperceptible râle de plaisir, accueillent, les yeux révulsés, l'intense blessure qui traverse leur ventre, poignarde les tréfonds de leur sexe quand sous le chuintement tendre de l'éponge tiède les fesses du garçon se raidissent puis se relâchent, offertes. […]

Chaque femme abandonne l'éponge dans l'eau de la cuvette. Sur l'ordre de la Vieille, elles se lèvent, emportent la bassine, silencieuses se glissent le long des couloirs infinis, de l'autre côté de la forteresse […]

Les hommes un à un ouvrent les yeux, deux à deux se regardent. Ils sont nus. Leurs vêtements ont été emportés dans le quartier des femmes pour être lavés et repassés. Ils sourient. Ils glissent imperceptiblement l'un vers l'autre. Le hasard de la promiscuité ? Leurs corps se touchent, ils s'étreignent, cuisses contre cuisses, les mains sur le dos de l'autre, puis sur les fesses. Ils se serrent. Chaque fragment de peau adhère à celle du frère. Siamois, ils forment un bloc épais de chair, les sexes qu'on ne voit pas se tendent jusqu'à la douleur. Un très lent roulis les berce deux à deux. Mouvement des reins, des ventres qui se frottent, des sexes collés qui frémissent d'un mouvement de plus en plus rapide.

Dans la nuit on entend les hommes jouir. Une immense rumeur qui envahit le désert, puis bientôt s'éteint, abandonnant la terre à sa solitude. Les hommes dorment enfin, enlacés, engloutis dans les tapis qu'ils ont brusquement rabattus sur leurs membres épuisés. Avant de repartir pour la guerre.

Au petit jour, les femmes lavent la grande salle pleine de nuit, secouent les tapis, frottent les taches, effacent les traces de larmes. Elles remplissent les cuvettes d'eau et les déposent au soleil. »

extrait de la nouvelle « Les femmes de la forteresse » du recueil Monsieur désire, Hugo Marsan, Éditions Zulma (collection Vierge Folle), 1992, ISBN : 2909031128, pp. 16/19

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