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Folies romaines : les homosexuels dans l'œuvre de Juvénal par Jérôme Bernay

Publié le par Jean-Yves Alt

Juvénal écrivit ses Satires au tout début du second siècle de notre ère. Il y fustige avec âpreté et violence les travers et les vices de ses contemporains ; mais il reste assez prudent pour ne s'attaquer qu'aux morts, ou aux personnages actuellement en disgrâce. Pour lui, son époque est totalement pourrie : « Non, les générations futures n'ajouteront rien à nos dépravations ! Tout vice est à son comble » (I, 147) (1). J'ai déjà mentionné dans un article d'Arcadie (2) cette propension des Romains à considérer les temps qu'ils vivent – et à quelqu'époque que ce soit – comme une période de décadence, par référence à un passé mythiquement pur. Assurément, il ne faut pas se représenter le Haut-Empire romain tel que nous le décrit Juvénal : il choisit les scandales les plus choquants de la fin du i- siècle et, avec un art remarquable, nous donne l'impression de peindre toute la société ; c'est comme si on voulait faire un tableau des mœurs de la France actuelle avec la seule collection des journaux spécialisés dans le meurtre ou la coucherie.

Tableautins qui ne reculent ni devant la précision obscène, ni devant le sujet le plus graveleux à nos yeux ; les Romains n'avaient pas nos pudeurs hypocrites sur certains aspects de la vie. Considérant le lecteur d'Arcadie comme majeur, je ne mettrai pas de culotte à Priape, ne serait-ce que pour montrer comment une civilisation a pu traiter sans gêne de sujets que nous réservons trop souvent aux sex-shops.

On n'aura donc pas ici un tableau de la société homosexuelle de la Rome des premier et second siècles de notre ère. Une telle société était d'ailleurs inconcevable, l'homosexualité était fait admis tant qu'elle ne perturbait pas l'équilibre social, qu'elle restait une sexualité, la recherche de plaisirs auprès de personnages socialement déclassés, principalement les jeunes esclaves (3) ; et d'ailleurs Juvénal ne s'attaque pas à ce type de rapports. Avec ses contemporains – et en cela son rouvre cesse d'être une mine d'anecdotes graveleuses – il refuse ceux qui bafouent les convenances, s'affirment et s'affichent comme homosexuels, essentiellement ceux que nous appelons les « folles ». Il épingle ce qu'il y a de plus voyant, de plus choquant dans la société de son temps, dont certains homosexuels. Il serait à coup sûr plus intéressant de présenter les autres, assurément les plus nombreux, mais ils n'ont pas laissé de trace ; contentons-nous de ce que notre documentation nous permet d'étudier. Je donnerai le plus souvent la parole à Juvénal, et le laisse responsable de ses jugements de valeur, que je ne fais aucunement miens ; mais je crois nécessaire de prendre notre auteur tel qu'il est ; il nous en apprend déjà beaucoup.

Les acteurs

Les victimes de Juvénal ne représentent aucunement toutes les couches de la société de son temps, mais seulement les extrêmes. Avec tous les anciens, il considère que les vices, comme les vertus, ne sont grands et dignes d'intérêt que s'ils s'épanouissent chez les privilégiés. Aussi défilent devant nous des sénateurs, dont les plus nobles, des patriciens, ainsi que des chevaliers, de statut moins relevé mais appartenant à l'aristocratie. Ils sont d'autant plus scandaleux que leur noblesse est très ancienne – ainsi ils trahissent les ancêtres – ou qu'au contraire ils ont bénéficié d'une promotion trop rapide : ils ajoutent alors à l'indécence de leurs vices l'impudence du parvenu. Il faut noter que seuls des aristocrates riches pouvaient se permettre dans la société de l'époque de vivre en marge des convenances, et de transgresser impunément la loi ; eux seuls, d'autre part, avaient les moyens de satisfaire pleinement leurs goûts quand un bel esclave coûtait une fortune, et qu'il fallait en permanence alimenter financièrement la passion des partenaires.

En effet, dans l'œuvre de Juvénal, aucune trace d'un attachement vrai, d'une passion désintéressée ; toute satisfaction sexuelle s'achète ; non que les sentiments vrais n'aient pas existé, mais leur peinture n'avait aucune place dans les Satires. Les objets sexuels sont souvent des esclaves, en général jeunes, des « garçons » (puer, pusio) ; sinon, ils appartiennent à la lie de la société : gladiateurs, musiciens, grecs et orientaux prêts à tout pour faire fortune rapidement, et surtout gigolos. Les gigolos actifs sont la cible préférée de Juvénal ; on le comprendra aisément si on songe que l'auteur s'intéresse en fait à leurs clients, personnages de haut vol, que leur sexualité passive rend, à ses yeux, bien plus abjects, et dignes de ses traits ; celui qui s'offre un jeune garçon ne l'intéresse pas plus que l'homme qui entretient une courtisane ou va chez les filles : c'est là pratique courante qui n'est digne de considération que lorsqu'elle devient exagération.

L'apparence extérieure

Le « professionnel de l'obscénité » (VI, 365, 2) se fait d'abord remarquer par son comportement. Il marche en ondulant, ou en tortillant des fesses (II, 21), la main droite sur ses hanches molles (VI, 326, 23). Il ne se gratte la tête que d'un seul doigt, comme le faisait déjà César, afin de ne pas déranger l'ordonnance de sa chevelure (IX, 130). Il effémine sa voix, mais parfois la débauche la rend rauque (XI, 155).

Par leur vêtement et leur toilette, les folles font tout pour se différencier. Les gens honnêtes s'habillent de la toge immaculée, pour les oisifs ; les travailleurs portent des tuniques et des manteaux de couleur terne. Au contraire, ces homosexuels affichent des tenues voyantes et même criardes, assurément empruntées à l'Orient ou aux femmes ; en aucun cas ils ne lancent la mode. Ils arborent des étoffes safran (VI, 365, 22), bleu pâle à carreaux ou du galbinum, un tissu vert tendre à l'usage des femmes (II, 96). Un célèbre avocat, habituel contempteur des femmes adultères, va jusqu'à plaider enveloppé d'étoffes diaphanes : on voit par transparence cet homme âpre, intraitable (II, 67). Alors que la mode est aux cheveux courts et aplatis sur le crâne, les éphèbes douteux portent une longue crinière (VIII, 125) ; les plus voyants arborent des chevelures « énormes », sans doute crêpées, retenues d'une résille (VI, 365, 22), qui est parfois tressée de fils d'or (II, 96).

La beauté ou plutôt une certaine idée de la beauté – s'obtient par des soins minutieux. Toute personne soucieuse de son apparence porte avec elle un miroir, comme le faisait l'empereur Othon (II, 100). Il faut surtout éviter une peau trop rugueuse, et le système pileux est un fléau affligeant. Aussi se polit-on à la pierre ponce (IX, 95). L'habitude de s'épiler, normale chez les Grecs qui s'arrachent les poils à la résine (VIII, 115), est mal vue des Romains. Cependant les emplâtres de poix brûlante permettent d'éliminer toute pilosité superflue (IX, 15), sur les jambes, les aisselles (IX, 155), ou à des endroits plus intimes ; de plus ce supplice donne de l'éclat à la peau. Un beau teint s'obtient par des masques de mie de pain (II, 105). Pour le visage, on recourt de surcroît à des artifices ; on s'agrandit les yeux avec du noir (VI, 365, 22) ; le sourcil s'allonge avec du noir de fumée humide, à l'aide d'une aiguille oblique (11, 94).

Une fois inondé de parfum (II, 40 ; IV, 105), il ne reste plus qu'à enfiler le collier de grosses perles d'ambre qu'un ami vous a offert pour votre anniversaire, prendre votre ombrelle verte pour pouvoir enfin sortir (IX, 50) ...

Il en est de plus discrets, ou de plus hypocrites ; mais la promiscuité des thermes révèle des vices cachés, quand ce ne sont pas les indiscrétions des partenaires – ou de médecins qui semblent ignorer le secret médical. Tel arbore, comme preuve de sa virilité, des poils aussi rudes que ceux du sanglier ; il en a le corps couvert –, sauf l'anus qu'il épile et où le médecin tranche des fies gros comme des figues, résultats de ses activités (II, 15). Un autre a la pédale honteuse, et porte le cheveu ras, mais sa démarche trahit les assauts qu'il supporte ; un troisième parle de vertu, en termes presque grossiers, tout en tortillant de la croupe (II, 18).

Les acteurs grecs sont spécialistes du travesti. Qu'ils jouent une courtisane ou une épouse chaste, l'illusion est totale ; quand ils s'exhibent nus « on dirait que sous le ventre tout est vide et plat, juste à côté de certaine fente » (III, 95)

La parodie de l'autre sexe

Les Satires de Juvénal permettent d'entrevoir des groupes de folles qui s'ingénient à singer les femmes et abdiquent toute apparence virile.

Pour les Romains chaque homme est protégé par son « Génie », chaque femme ayant sa « Junon » ; on honore ces divinités protectrices. Aussi voyons-nous les esclaves de certains invoquer la Junon de leur maître, qui se considère sans doute comme trop peu mâle pour avoir un Génie (II, 98). Le 1er mars étaient célébrées les Matronalia, fête des épouses fécondes, des mères de famille ; cette « fête des mères » romaine était l'occasion pour s'offrir entre camarades de petits cadeaux. La maternité semble d'ailleurs avoir préoccupé ces créatures. Le 15 février, les Luperques, prêtres du dieu Pan, parcouraient les rues de Rome, armés de lanières en peau de bouc ils flagellaient les femmes désireuses d'avoir des enfants aux femmes se mêlaient des homosexuels « désireux de ne pas mourir stériles » (II, 142). Les cultes de la Bonne Déesse sont réservés aux femmes, en principe. Mais certains groupes les chassent et les remplacent. Le front entouré de longs rubans, le cou chargé de colliers, ils sacrifient à leur patronne fécondante (II, 83). De retour à la maison, on file la laine (II, 54).

Certains vont jusqu'au mariage, occasion de copier, ou de parodier les cérémonies les plus vénérables. En général, il s'agit de mésalliances et, fait plus grave pour Juvénal, l'épousée est de haut rang. Gracchus, un patricien de la plus haute noblesse, apporte à un joueur de cor une dot de 400 000 sesterces, l'équivalent de la fortune nécessaire pour être fait chevalier par l'empereur. Faut-il préciser que le mari n'est pas seulement un virtuose au cor courbe, mais joue de son cuivre droit ? La cérémonie copie une noce du beau monde. Les invités se pressent autour de l'épousée, enfouie dans de longs vêtements, cachant sa pudeur d'un voile jaune. On scelle les tablettes qui officialisent l'union, et les invités lancent des souhaits de bonheur (II, 115). C'est pour ce genre de cérémonie qu'un ami vous quitte rapidement... Il faut craindre de voir ces unions se multiplier, et être validées par des actes officiels (II, 132).

La vénalité

Comme je l'ai déjà dit, l'intérêt sert souvent de toile de fond dans le monde décrit par Juvénal. De nombreuses anecdotes sordides concernent l'homosexualité ; la satire IX toute entière est consacrée aux déboires d'un gigolo actif, hanté par la crainte du vieillissement et déçu par un protecteur qui s'est révélé fort avare.

On se rencontre surtout aux thermes, que tout romain fréquente normalement quotidiennement ; il est possible d'y exhiber ses avantages les plus intimes : « Il apporte aux bains des testicules gros comme le poing... et dissimule un membre énorme derrière un vase d'huile (pour les massages) » (XI, 156). L'amateur est appâté, « il a l'écume aux lèvres devant ce membre d'une longueur inouïe ». Plutôt que de conclure tout de suite, il vaut mieux laisser le client s'enferrer et qu' « il te sollicite sans cesse de billets caressants » (IX, 34). Prostitués des deux sexes se côtoient dans les temples, ceux d'Isis, de Cérès, de la Grande Mère, déesses de la fécondité féminine. Ganymède, le beau jeune homme enlevé par Jupiter pour être son échanson, a sa statue dans le Temple de la Paix ; c'est un point de ralliement (IX, 22).

Pour le gigolo, l'idéal est de rencontrer un protecteur assez enflammé, et suffisamment constant, qui lui procurera sinon la fortune, mais une honnête aisance à tout le moins. Voyons les rêves de Névolus le héros de la satire IX. Son « patron » est assez riche, il aurait pu lui offrir un domaine à la campagne, « quelques arpents qui récompensent ses reins fatigués » (IX, 60). Il ne se considère pas comme gourmand mais voudrait finir sa vie avec 20 000 sesterces de rente (4), de la vaisselle plate, et, parmi ses esclaves, deux robustes Mésiens (5) qui serviront de porteurs et de gardes du corps (IX, 140) ; c'est en fait un train de vie plus qu'honorable qu'il espère. Actuellement, au contraire, il se considère comme indigent : il ne possède qu'un seul esclave, qui ne suffit pas à son service ; mais comment en nourrir et en vêtir un second ? (IX, 64).

Tout dépend du patron, et celui de Névolus est d'une avarice sordide à son égard, réservant ses largesses à ses amis : « il est moins malheureux l'esclave qui fouit le sol que l'homme qui fouit son patron », s'exclame-t-il, amer (IX, 45). Comble de disgrâce, l'avaricieux « cherche à se pourvoir d'un autre âne à deux pattes » (IX, 92) ; il ne reste donc à Névolus qu'à « enferrer un autre gibier » (IX, 140). Et Juvénal de remonter le moral du gigolo angoissé par le vieillissement synonyme de misère : « Rassure-toi ; jamais tu ne manqueras d'une folle pour ami tant que les sept collines (de Rome) resteront debout. Ils arriveront toujours, de toutes parts, en voiture, en bateau, tous ceux qui se grattent la tête d'un seul doigt » ; il lui suffira de mâcher de la roquette, une plante aphrodisiaque, pour prévenir les défaillances (IX, 130). D'autres sont plus chanceux, ou plus habiles, tel cet éphèbe protégé d'un juge qui vend au prix fort les arrêts de son ami (VI, 125). La prostitution n'est pas toujours volontaire ; ainsi ce tuteur indigne qui, après l'avoir spolié, contraint son pupille à se vendre (I, 45). Les amateurs sont parfois assez riches et généreux pour que des parents livrent eux-mêmes leur fils au corrupteur (X, 305).

Sans se livrer à la prostitution proprement dite, certains personnages ont une sexualité assez souple pour se concilier les bonnes grâces des divers membres de la famille. Les Grecs sont passés maîtres dans ces jeux qui exigent un talent aux facettes multiples ; « il n'y a pour eux rien qui soit à l'abri de leur bas-ventre, ni la mère de famille, ni la fille vierge encore, ni le fiancé imberbe, ni le fils jusqu'alors intact. Faute de mieux, ils culbutent la grand-mère de leur ami» (III, 109).

Les rapports avec les femmes

Dans sa sixième satire, Juvénal montre une misogynie qui n'a d'égale que sa phobie de certains homosexuels. L'homosexualité peut être préférable à cette engeance. Le petit esclave qu'on met dans son lit ne vous empêche pas de dormir ou de prendre votre plaisir en quémandant des cadeaux ; « il ne se plaint pas si tu ménages tes flancs et si tu ne t'essouffles point à son commandement », trop heureux d'être laissé en repos (VI, 35).

Les « garçons » du maître sont mal acceptés de la plupart des épouses. Mais parfois elles y trouvent leur compte, quand le mari n'a ni goût ni possibilité de remplir son devoir ; le gigolo doit alors combattre sur deux fronts. Lui seul viendra à bout de la virginité de la dame. « Plus d'une fois, au moment où la jeune femme s'enfuyait, je l'ai retenue de mes bras... Une nuit entière me suffit à peine pour retenir les choses pendant que, à la porte, tu te lamentais ; le lit m'en est témoin, et toi aussi, qui l'as entendu craquer, qui as entendu la voix pâmée de la dame », nous assure Névolus. Il a même poussé la complaisance jusqu'à donner un héritier à son patron, qui peut désormais « semer dans les actes publics les preuves de sa virilité » (IX, 71). Telle autre épouse acceptera la présence d'un troisième larron dans le lit conjugal ; pour prix de sa complaisance, elle recevra des pierreries et sera avantagée dans le testament (11, 60).

Des femmes tombent amoureuses jusqu'au scandale des danseurs et des acteurs au sexe si douteux. D'autres imposent dans le ménage des créatures révoltantes, obligeant le mari à recevoir des gens avec qui « la prostituée fauve du sépulcre en ruine » se croirait déshonorée de boire. Ils deviennent leurs confidents privilégiés, leurs conseilleurs, et suggèrent à la femme conduite et attitude envers son mari. Ils sont aussi professeurs de luxure, « et lui apprennent à jouer de la croupe et des flancs » (VI, 365, 1). A l'occasion, ils porteront des billets doux aux amants de la mère et de la fille (XIV, 30). Mais attention à cette intimité malsaine : il arrive que la femme perde la tête ; elle coince son complice et le somme, sous peine de sévices, de donner des preuves de masculinité (VI, 365, 20).

Il en est de même pour les eunuques. Les malheureux garçons châtrés dès l'enfance sont condamnés à un rôle passif, « c'est d'une impuissance authentique qu'ils souffrent, tout honteux de la bourse vide et du pois chiche qu'on leur a laissés ». Mais il est des eunuques fabriqués pour une volupté plus active ; « elles ne les livrent au médecin qu'en pleine effervescence de jeunesse, quand leurs organes déjà ombragés sont au point voulu de maturité, quand leurs testicules atteignent au moins deux livres » (VI, 366). Si les femmes se les arrachent, ils préfèrent souvent le fils de la maison (VI, 375).

Idées courantes sur les homosexuels

Juvénal parsème son œuvre de formules brillantes et cruelles ; lapidaires et bien frappées, on pourrait les prendre pour des proverbes ; en tout cas, elles reflètent sans doute l'opinion du Romain moyen sur les homosexuels, au moins sur les folles.

« D'elle-même la folle appelle le mâle » (IX, 37). Dans ce vers écrit en grec, Juvénal pastiche l'Odyssée d'Homère (16, 294) ; il s'agit de caractériser la boulimie sexuelle qu'on attribue aux homophiles et que nous avons déjà rencontrée plusieurs fois.

Les folles sont vues comme dangereuses, perfides et bavardes. Parlant d'un de ses ennemis, Juvénal le présente : « plus effronté qu'une tante qui écrirait des satires » (IV, 105) ; le comble de l'audace et du fiel ne peut venir que d'un homosexuel ! « C'est chose mortelle que l'inimitié d'un homme poli à la pierre ponce ! » (IX, 95).

« Eux, leur nombre les protège ; c'est la solidarité entre les folles » (II, 45), clame une courtisane outrée qu'on attaque les mœurs de certaines femmes. Si les lois anti-homosexuelles ne sont pas appliquées, c'est qu'elles sont en fait inapplicables ; « la censure est indulgente aux corbeaux, elle s'acharne contre les colombes » (II, 62).

Constatons seulement que les arguments du racisme anti-homosexuel n'ont pas beaucoup changé – et que certains de nos grands-oncles nous paraissent bien proches avec leurs défauts et leurs ridicules. Déjà, dans cette civilisation romaine si différente par bien des aspects, une minorité voyante et bruyante scandalisait les « honnêtes gens » ; on reste étonné devant tant d'audace et de provocation. Mais cette liberté dans l'outrance était l'apanage d'une minorité de nantis, que leur place dans la société protégeait et faisait tolérer ; les choses ont-elles vraiment changé ? Il est intéressant de noter que cette civilisation beaucoup plus tolérante que la nôtre pour certains aspects de la sexualité homophile produisait pourtant ses contestataires, ses inadaptés ; l'exhibitionnisme provocateur n'apparaît pas, à Rome, comme secrété par une société puritaine puisque l'on ne connaît pratiquement pas de cas de répression pour l'époque présentée ici. Faut-il en conclure qu'il est dans la nature de certains d'entre nous de se définir et de s'affirmer à l'encontre et hors de l'ordre établi, quel qu'il soit ?

(1) L'édition utilisée est celle de la Collection des Universités de France, texte et traduction par P. de Labriolle et F. Villeneuve (Paris, 1962, 7, édition). Je me suis permis d'abandonner la traduction des éditeurs quand elle s'éloignait trop des réalités. Pour les références dans le texte de l'article, les chiffres romains indiquent le numéro de la satire citée ; les chiffres arabes renvoient au premier vers du fragment utilisé.

(2) La Répression de l'homosexualité dans la Rome antique, Arcadie, n° 250, pp. 443-455.

(3) Cf. l'article cité : La Répression de l'homosexualité dans la Rome antique, Arcadie, n° 250, p. 444.

(4) A cette époque, un soldat percevait une solde annuelle brute de 1200 sesterces, un prétorien de la garde de Rome 2 800 sesterces, et ces revenus étaient enviables pour bien des habitants de l'empire. Névolus désire un train de vie de notable.

(5) Habitants de l'actuelle Bulgarie réputés pour leur vigueur.

Arcadie n°259/260, Jérôme Bernay, juillet/août 1975

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