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Mohamed en hiver, André Barjou

Publié le par Jean-Yves Alt

Un livre luxuriant, plein d'entrelacs, dans une langue simple et riche à la fois, assez répétitive quand il le faut pour être étrange et prenante.

Pour avoir cru qu'en Tunisie les gens étaient plus heureux, pour avoir rêvé que les épaules noires de Mohamed étaient le dernier refuge, le narrateur quitte les brumes glacées de Paris pour s'enfoncer dans la tiédeur sournoise de l'hiver tunisien.

Mais Tunis en hiver ne tient pas les promesses brillantes et faciles de l'été. Les rencontres n'y sont plus innocentes mais inquiétantes. Les portes se ferment, les fleurs sont vénéneuses, le plaisir est vénal et l'amour, surtout s'il est homosexuel, se cache, se masque et se travestit.

Le livre est soumis à l'hiver, à une morte saison où la rencontre de deux modes de vie étrangers, de deux mondes qui ont été liés, de deux antagonismes, fait de l'existence une agitation sournoise, inquiète, équivoque et promise à une surveillance ambiguë et mal assurée. Il court dans ce livre la pauvreté, il court la misère, il court le mépris et la haine pour l'Européen dont l'image sue la richesse et à qui on vend de l'amour, celui qu'il n'aura pas autrement, avec tous les sourires aimables d'une hypocrisie d'hôte. Du moins tel serait le jeu que les parties – chacune profitant de l'autre et s'aveuglant sur elle – s'entendent habituellement à respecter pour leur tranquillité réciproque et leur jouissance immédiate.

Le moteur de dérèglement est ce sentiment qu'on appelle (à tort ?) l'amour, un sentiment en tout cas un peu poussé au-delà des limites expressément convenues d'ordinaire.

Et lorsque deux parias s'en mêlent, rien n'est tout à fait pareil : un Européen, jeune, désargenté (crime suprême), isolé, ne frayant guère avec la société, et un Noir tunisien, orphelin de père, misérable d'origine, prostitué, proie facile pour la police.

Deux qui ne sont pas de la bourgeoisie de leur pays respectif, et le moins que l'on puisse dire, c'est que chacune de ces bourgeoisies se voit clouée au pilori par des traits acérés et sans complaisance.

Une sorte de roman policier et d'aventures finalement dont on ne sait quel est trop le crime, ni le coupable et qui le poursuit, avec une police malséante et libidineuse, raciste et craintive, aux portes de la grande Afrique noire, déesse tutélaire et mystérieuse.

■ Mohamed en hiver, André Barjou, Editions Olivier Orban, 1980, ISBN : 2855651212

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