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Mon père est américain, Fred Paronuzzi

Publié le par Jean-Yves Alt

Léo, quinze ans, ne connaît pas son père. Il possède juste une photographie de lui lorsque sa mère l'a rencontré au cours d'un séjour en Amérique : elle y avait passé l'été à travailler dans un parc d'attractions.

« Le père de Léo est […] de haute taille, beau garçon. Plutôt sûr de lui, même un brin m'as-tu-vu. » (p. 14)

Plus jeune, Léo a pris beaucoup de temps à retrouver son père, dans les traits de son propre visage :

« Il prenait la pose face au miroir mural de la salle de bains, un œil rivé à la photographie. Il reproduisait à l'identique le sourire, l'inclinaison de la tête, l'angle formé par les épaules et le cou. Il se persuadait, alors, qu'il existait une ressemblance évidente entre cet étranger et lui. Indéniablement, oui. De plus en plus. Dans les fossettes qui se creusent aux joues, dans l'arrondi des pommettes, la forme en amande des yeux, dans les cheveux noirs et épais, le teint mat. » (pp. 14-15)

Léo apprend – à travers des mandats envoyés par sa mère – que son père, Benjamin, est toujours vivant et que ce dernier est en prison aux Etats-Unis, dans le couloir de la mort. Il se demande comment il doit réagir. Léo tente alors de mobiliser, de déployer, dans sa tête, ses questionnements, ses désirs, ses heurts, ses doutes...

Heureusement Léo a, en Yannis, un ami, véritable confident au point qu'on se demande au début du livre s'il n'existe pas une connivence à tendance homosexuelle entre les deux adolescents.

« On les reconnaît, on les salue de loin. Yannis répond d'un signe de la main, Léo d'un hochement de tête. Ils ne parlent pas. Après l'avenue d'Italie, ce sont les rues piétonnes. Des jeunes avec des chiens font la manche. L'un d'eux jongle avec des quilles. Les passants l'ignorent. Une fois assis, les langues se délient à nouveau. Les deux garçons aiment l'ambiance du café de la Place. Ce n'est pas un bar de lycéens, avec ses baby-foot, ses télés, sa musique formatée. L'endroit est un cocon, propice aux confidences. C'est d'ailleurs à cette même table qu'ils se sont raconté les coins d'ombre de leurs vies, qu'ils ont forgé une amitié dans un métal, espèrent-ils, capable de résister au temps. » (p. 19)

Léo décide d'amorcer ainsi une relation épistolaire avec son père : correspondance affective entre un père et son fils enfin reconnu avec des échanges forgés au feu de l'exigence et de la hardiesse, mais aussi de la sincérité, de la confiance, du respect et de l'admiration.

Yannis, le meilleur ami de Léo, est gay. Le lecteur ne l'apprend qu'assez tardivement dans le roman quand il annonce à ses amis, Léo et Esther, qu'il est amoureux ; ce qui montre que l'homosexualité n'est pas un problème pour les personnages de ce roman (à quelques limites près : homophobie du père de Yannis et des gardiens de la prison) :

– Je suis amoureux, lâche-t-il enfin, sans préambule, raide dingue. Je ne devrais pas parce que c'est encore un peu tôt, mais... ouh la la, c'est trop bon !

– T'es amoureux ?

La voix d'Esther est partie dans les aigus, volume à fond par-dessus le brouhaha des conversations. Des têtes se tournent, bouches suspendues dans la mastication.

– Tu devrais faire une annonce au micro avec un affichage sur l'écran télé, dans le hall, des fois que quelqu'un n'aurait pas entendu.

Désolée, c'est sorti tout seul. T'es amoureux, en vrai ?

Il se penche et lâche, railleur :

– Ben oui, en vrai, les pédés ont un cœur aussi, tu sais, et ils tombent amoureux.

– Tu me vexes, là, fait Esther. Ce n'est pas du tout ce que je voulais dire, si tu crois une minute que...

Sa véhémence prend de court le garçon.

– Eh, du calme. Esther, voyons, je te charrie, C'est du second degré – d'accord ? – de l'humour... Si tu veux tout savoir, c'est le prof de théâtre. Il s'appelle Andreas, il est beau comme un dieu, bourré de talent et il m'a fait craquer... Voilà. (pp. 85-86)

Le père, le fils, la mère, les amis Yannis et Esther clament, chacun à leur manière, éminemment pudique, l'évidence de leur amour, si bien qu'aux yeux des lecteurs, ces relations affectives deviennent ce qu'elles sont : les expressions d'une relation, d'une passion indestructibles, celles qu'incarnent les personnages de la meilleure littérature.

Un roman qui donne l'essentiel : les sentiments, l'émotion, l'humour, la tendresse. Avec des mots dont l'astucieux agencement engendre la beauté, cette coulée intime de solitude, d'espoir et de désir. Chaque personnage envoie son signe. A chaque lecteur de recueillir toutes ces voix.

■ Mon père est américain, Fred Paronuzzi, Editions Thierry Magnier, 141 pages, 2012, ISBN : 978-2364740358


Du même auteur : Là où je vais


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