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Le marquis de Sade, précurseur de la libération homosexuelle par René Soral

Publié le par Jean-Yves Alt

A notre époque où la libération sexuelle devient de plus en plus effective, autant par les écrits, par les films que par les mœurs, il est intéressant de constater que l'un des précurseurs en fut le marquis de Sade, qui a donné son nom, dans la plupart des langues, à une manifestation particulière de la sexualité, le sadisme. Son œuvre commence à être diffusée, après de longues années d'interdiction et de procès encore récents, et l'on trouve maintenant ses écrits dans les collections de livres de poche.
La vie et l'œuvre du divin marquis, comme on l'a surnommé, sortent de l'ordinaire. On a beaucoup écrit sur l'une et sur l'autre. Maurice Blanchet, Paul Klessowski, Jean Paulhan, Gilbert Lély l'ont fait de manière fort savante. François Ribadeau-Dumas l'a fait récemment d'une manière plus claire et accessible à tous.
Mon propos est surtout de faire ressortir le thème de l'homosexualité dans la vie et l'œuvre de Sade car il s'est montré également un précurseur et un défenseur de la liberté homosexuelle.
Dans sa vie tout d'abord. Il est bien établi que Sade fut toujours totalement bisexuel.
Il semble qu'il avait de qui tenir car il fut élevé, de quatre à dix ans, en Provence, par son oncle paternel, qui était un jésuite très cultivé, mais fort libertin, aimant s'entourer de jolies filles.
Il aimait aussi, paraît-il, fouetter son jeune neveu, qui dut y prendre plaisir, tout comme le fit Jean-Jacques Rousseau, mais avec la différence que celui-ci recevait ses voluptueuses corrections d'une main féminine.
Le Jésuite ne se bornait pas à la fessée, semble-t-il, et y joignait d'autres jeux sexuels. Lorsque le père du jeune Sade apprit que son frère avait une conception assez particulière de l'éducation des petits garçons, il fit revenir son fils à Paris, où il le mit au collège, sous surveillance.
Par la suite le jeune homme courut les filles mais fit preuve très tôt de caprices sexuels compliqués que sa beauté et son argent faisaient accepter.
Il se maria à vingt-trois ans avec la fille du Président de Montreuil, dont la femme allait devenir par la suite la plus mortelle ennemie du marquis.
Mais même marié, il continuait à fréquenter des prostituées, qu'il faisait rechercher par de vigoureux valets qui lui étaient fort dévoués. Plusieurs scandales éclatèrent lorsqu'elles portèrent plainte. On constata qu'il y avait eu flagellation, menaces, profanations, scatologie et enfin double sodomisation, de la fille par le marquis, et en même temps, de celui-ci par son valet.
Tout cela ressort nettement des procès-verbaux, particulièrement lors d'une affaire survenue à Marseille qui amena la Chambre d'Aix à prononcer la condamnation à mort du marquis et de son valet, convaincus d'empoisonnement et de sodomie.
En fait Sade avait donné des bonbons aphrodisiaques aux prostituées qui avaient été plus ou moins malades. Mais la sodomie, elle, était irréfutable.
Le marquis réussit à s'enfuir en Italie avec son fidèle valet, mais il en profita pour enlever sa belle-sœur, dont il était amoureux, mais qui était chanoinesse.
Il revient, se fait arrêter, s'évade, retourne chez sa femme qui l'aime toujours et qu'il finit par mêler à ses orgies avec des jeunes femmes et de beaux garçons, dans leur château de La Coste.
Le Président du Parlement de Provence écrit à la famille de Sade que ce dernier se livre à des excès en tout genre avec des jeunes gens de tout sexe ».
Sa belle-mère, qui ne lui pardonne pas l'enlèvement de la chanoinesse, fait tout pour qu'il soit arrêté et emprisonné.
Alors commence pour Sade la première période de détention, qui dura treize ans, au château de Vincennes, puis à la Bastille, enfin à Charenton.
C'est à cette époque, totalement privé d'activité sexuelle, qu'il se défoule en écrivant ses plus célèbres romans érotiques, notamment « Aline et Valcour », « les infortunes de la vertu » (première version de Justine), et surtout « les 120 journées de Sodome », stupéfiant catalogue de toutes les perversions sexuelles les plus poussées.
Par le biais de la sexualité, il attaque la Société qui empêche les manifestations de celle-ci. Il s'attaque aussi à la famille, à la religion, aux lois, enfin à toutes les bases de la Société de l'Ancien Régime.
Il entretient une correspondance brûlante avec son fidèle valet La Jeunesse, son compagnon de débauche, qu'il surnomme Don Martin Quitus (de quicro) j'aime, en espagnol).
Il demande à sa femme de lui faire parvenir deux étuis cylindriques, théoriquement destinés à contenir des lunettes ou, dit-il comiquement, des culs-de-lampe, mais en fait il ne cache pas à sa femme que c'est pour assouvir certains besoins sexuels. Il en faut un gros et un petit, car sinon, écrit-il, « je suis obligé d'employer autre chose qui gâte, déchire et froisse mes culs-de-lampe et cela est fort désagréable ».
Sade est libéré en 1790, grâce à la Révolution, dont il épouse les idées avec ardeur. Il continue à écrire, fait jouer des pièces de théâtre et publie les nouvelles versions, plus complètes et plus érotiques de « Justine ou les malheurs de la vertu » et de « Juliette ou les prospérités du vice ».
Mais Bonaparte, premier Consul, ne peut admettre cette littérature qu'il juge monstrueuse. En 1801 la police arrête Sade et fait des perquisitions chez son éditeur, chez la maîtresse avec laquelle il vit et, indique le procès-verbal, chez un autre particulier « que l'on sait avoir des rapports intimes avec lui ».
On l'enferme à la prison de Sainte-Pélagie où, en 1803 il provoque encore un scandale en entrant dans la chambre de jeunes comédiens du Théâtre Français que l'on avait enfermé pour quelques jours à la suite de peccadilles et en leur faisant des propositions déshonnêtes.
Il semble que jusqu'à sa mort, survenue en 1814 à l'âge de 74 ans à l'hospice des fous de Charenton, il n'y aura pas d'autre scandale de ce genre. Il est vrai qu'il n'est plus jeune.
Il se défoule toujours par ses romans et aussi en écrivant des pièces de théâtre qu'il fait jouer par les fous, se montrant ainsi précurseur d'une thérapeutique que l'on applique parfois de nos jours.
C'est donc dans l'œuvre du divin marquis qu'il convient maintenant de rechercher l'incidence homosexuelle. Ce qui frappe, c'est que cette œuvre est marquée par le mépris profond qu'il éprouve pour la femme. Sade estime que les deux sexes ne sont pas tellement faits pour s'entendre. Il cite Euripide qui a écrit : « Celui des dieux qui a mis la femme au monde peut se vanter d'avoir produit la plus mauvaise de toutes les créatures et la plus fâcheuse pour l'homme. »
Et il le pense, ce qui l'amène à se venger de la femme, qu'il veut faire souffrir de toutes les manières, moralement et physiquement.
Par ailleurs l'idée de base de la philosophie de Sade est que le plaisir et la jouissance individuels sont le but principal de la vie, et particulièrement de l'activité sexuelle, car la reproduction n'est qu'un élément secondaire et parfois néfaste.
Après quoi Sade justifie la souffrance (donnée ou reçue) par le plaisir qu'on en retire égoïstement, sans avoir jamais à se préoccuper du partenaire.
Il va trop loin dans ce domaine, mais il insiste sur la violence de toutes les pulsions sexuelles, même les plus perverses, que l'on ne peut refouler, et qui, toutes, sont, selon lui, naturelles, innées et que la société a tort de s'entêter inutilement à proscrire ou réprimer.
Parmi elles, l'homosexualité est l'une des plus fondamentales et des plus naturelles qui soit. Sade ne manquera pas, tout le long de son œuvre, de le faire ressortir.
D'où le nombre de personnages homosexuels, ou plus généralement bisexuels, dans son œuvre. On ne pourrait les citer tous. Je me bornerai à quelques-uns.
L'un des protagonistes de la « philosophie dans le boudoir », ce violent brûlot écrit pendant la Révolution et renversant toutes les valeurs établies, proclame bien haut qu'il est exclusivement sodomite, l'autre bisexuel, dit : « L'homme est-il le maître de ses goûts ? Il faut plaindre ceux qui en ont de singuliers, mais ne les insulter jamais : leur tort est celui de la nature ; ils n'étaient pas plus les maîtres d'arriver au monde avec des goûts différents que nous ne le sommes de naître en bancal ou bien fait. Un homme vous dit-il d'ailleurs une chose désagréable en vous témoignant le désir qu'il a de jouir de vous ? Non sans doute ; c'est un compliment qu'il vous fait ; pourquoi donc y répondre par des injures ou des insultes ? Il n'y a que les sots qui puissent penser ainsi. »
Il y a certes encore bien des sots de nos jours !
Dans « Justine ou les malheurs de la vertu » la pauvre Justine, à qui il arrive systématiquement tous les ennuis les plus affreux, parce qu'elle est vertueuse, surprend dans une forêt, deux jeunes hommes fort occupés. Comme le dit
Justine « Deux tendres et légitimes époux se caresseraient avec moins d'ardeur ». La description de leurs plaisirs, succincte dans la première version, est nettement plus détaillée dans la seconde version mais ne peut décemment être reprise ici.
Le jeune marquis de Bressac, l'un des garçons en question (l'autre était son valet ; les valets semblent avoir joué un grand rôle dans l'homosexualité de l'Ancien Régime, et de fait c'était un paravent bien pratique pour un seigneur), dit à Justine :
« Ah Justine, peut-on jamais se corriger de ce penchant... Si tu pouvais en connaître les charmes... Ah qu'il est doux d'être la putain de tous ceux qui veulent de vous ! Et portant sur ce point au dernière période le délire et la prostitution, d'être successivement, dans le même jour, la maîtresse d'un crocheteur, d'un valet, d'un soldat, d'un cocher ; d'en être tour à tour chéri, caressé, jalousé, menacé, battu, tantôt victorieux dans leurs bras, et tantôt victime à leur pied, les attendrissant par des caresses... On perd l'esprit, on déraisonne...
Enlacé dans ses bras, les bouches collées l'une sur l'autre, nous voudrions que notre existence entière put s'incorporer à la sienne ; nous ne voudrions faire avec lui qu'un seul être... C'est cette réunion enchanteresse qui rend impossible la correction de nos goûts, qui ferait de nous des enthousiastes et des frénétiques, si l'on avait encore la stupidité de nous punir,... qui nous fait adorer jusqu'à la mort, enfin, ce dieu charmant qui nous enchaîne. »
On a vraiment l'impression que Sade sait de quoi il parle et bien des Arcadiens doivent éprouver ce qu'éprouve le marquis de Bressac.
Lors d'un autre épisode. Justine est prisonnière dans un couvent de moines sadiques et pervers qui ont un double harem, l'un de jeunes filles, l'autre de garçons, les uns très jeunes, les autres plus âgés et... très vigoureux.
Dans « les 120 journées de Sodome », on retrouve encore ce genre de harem, dont certains garçons portent les noms explicites de Brise-Cul et Bande-au-Ciel.
Les scènes d'homosexualité, compliquées de bien d'autres pratiques scatologiques ou sadiques, sont très nombreuses dans « les 120 journées de Sodome » ainsi que dans « Juliette ou les prospérités du vice ».
Juliette est du reste fortement lesbienne, car le saphisme n'est évidemment pas oublié par Sade.
Dans l'un de ses contes « Augustine de Villeblanche » celle-ci s'étonne que l'on puisse blâmer ce goût qu'elle ressent si profondément. Elle s'habille en homme pour séduire d'autres jeunes filles et lors d'une fête, tombe éperdument amoureuse d'une ravissante demoiselle, qui n'est autre qu'un très joli jeune homme, également travesti et qui se fait passer pour homosexuel afin de mieux séduire Augustine. Le stratagème réussit et le conte, qui est fort bien écrit, se termine de façon fort morale.
On peut évidemment s'inquiéter de ce que Sade justifie aussi bien l'homosexualité que toutes les formes les plus immondes de la sexualité et que les tortures les plus poussées, les meurtres, les incestes, les parjures, les trahisons. Mais il faut considérer d'une part qu'il construit tout un système par lequel il veut ébranler toute la Société et attaquer toutes les idées reçues.
D'autre part, par une démarche semblable à celle de Jean Genet, il va encore plus loin dans l'abjection. Genet, enfant, a été surpris à voler une bricole. Il décide alors d'aller jusqu'au bout ; de devenir voleur, prostitué, traître. Sade a été condamné pour quelques égarements sexuels, il ira donc plus loin – en imagination seulement du reste – et sera sadique jusqu'au bout, sans frein ni limite.
Mais il ne faut pas oublier que Sade n'a jamais véritablement torturé ni tué personne. Nous avons vu plus haut, lors du procès de Marseille, quelles étaient les pratiques sexuelles auxquelles il se livrait et parmi lesquelles l'homosexualité n'était jamais absente.
Il est bien certain que l'homosexualité était l'une des composantes fondamentales de Sade, et qu'il n'a pu la satisfaire complètement durant sa vie. Il l'a projeté dans son œuvre et on peut se demander, après tout, si cette homosexualité refoulée, provoquant la haine profonde de la femme, ne l'a pas amené au sadisme, auquel il a donné son nom.

Arcadie n°263, René Soral (pseudo de René Larose), novembre 1975

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