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Correspondance, de Sigmund Freud et Stefan Zweig

Publié le par Jean-Yves Alt

C'est à propos de l'audacieux récit d'une passion homosexuelle « La confusion des sentiments », que le psychanalyste Freud, en 1927, écrit à Zweig :

« Pourquoi l'homme ne peut-il pas accepter l'amour physique de l'homme, même lorsqu'il se sent très fortement lié à lui sur le plan psychique ? Ce ne serait pas contre la nature de l'Eros qui, avec le dépassement de la rivalité naturelle entre hommes (attitude de jalousie), connaîtrait un triomphe remarquable... Il n'est pas non plus contre la "nature" humaine, car celle-ci est bisexuelle ; plus encore, cette incapacité n'a pas toujours existé, elle semble exister uniquement pour nous aujourd'hui… Qu'est-ce qui fonde cette répulsion apparemment élémentaire, et qui pourtant ne peut pas s'expliquer par les éléments ? »

Aucun des deux hommes, cependant, n'a le « mauvais » penchant. C'est dire, alors, la qualité de la relation, dont leur correspondance, peut, comme dans cet extrait, témoigner : relation forgée au feu de l'exigence, de la hardiesse et de la probité intellectuelles, mais aussi de la sincérité, de la confiance, du respect et de l'admiration.

Correspondance, de Sigmund Freud et Stefan Zweig

Ces authentiques stoïciens, si fort soucieux de ne jamais se montrer humainement vulgaires, se sont ainsi écrits de 1908 à 1939, régulièrement, leur amitié, comme les plus belles amours, triomphant au fil du temps de l'accumulation de tous ses petits orages...

Roland Jaccard, dans sa préface, souligne qu'un même « courage d'approcher sans peur et sans fausse honte la partie la plus extrême et la plus intime du sentiment..., et d'avancer dans la compréhension de l'inquiétante immensité » avait fait d'eux mieux qu'un maître et un disciple : un vrai père et un vrai fils !

Mais le déploiement des ténèbres fascistes sur l'Europe aura raison jusque dans leur exil de l'éblouissante lumière par eux dégagée, comme de phares monumentaux : ils s'anéantissent en 1939 et 1942, Freud à quatre-vingt-trois ans en Grande-Bretagne, Zweig à soixante et un ans au Brésil : il venait de rappeler qu'on avait « toujours traité (Freud) de pessimiste parce qu'il avait nié le pouvoir de la culture sur les instincts ; (mais) maintenant, il voyait confirmée de la façon la plus terrible son opinion que la barbarie, l'instinct élémentaire de destruction, ne pouvait pas être extirpée de l'âme humaine... ».

■ Correspondance : Stefan Zweig et Sigmun Freud, traduit de l'allemand par Didier Plassard et Gisella Hauer, préface de Roland Jaccard, éditions Rivages/Petite Bibliothèque, 160 pages, 2013, ISBN : 978-2743624583

Quatrième de couverture : A lire la correspondance que les deux hommes échangèrent pendant plus de trente ans, on se dit que Zweig est vraiment le fils que Freud aurait aimé avoir : il apprécie en lui sa "modestie intérieure", tout en étant séduit par l'écrivain, si proche à bien des égards d'Arthur Schnitzler qu'il considérait comme son "frère jumeau".

A Zweig, Freud confie ce brevet de ressemblance : « Votre type est celui de l'observateur, de celui qui écoute et lutte de manière bienveillante et avec tendresse, afin d'avancer dans la compréhension de l'inquiétante immensité. » De son côté, Zweig sera l'un des rares écrivains viennois, le seul peut-être à discerner d'emblée le génie de Freud, à le proclamer et à le situer dans la lignée de Proust, Joyce et Lawrence. « J'appartiens, lui écrit-il, à cette génération d'esprits qui n'est redevable presque à personne autant qu'à vous en matière de connaissance. »

Roland Jaccard

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L
Article incroyable, et blog incroyable. Merci pour ce partage, votre blog est devenu mon livre de chevet :-)
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