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Quand le voyage du fils est tout aussi important que celui du père [L'Odyssée – Homère]

Publié le par Jean-Yves Alt

Comment devenir un homme, un vrai, quand papa est parti pour un long voyage, que maman tisse et retisse un improbable suaire pendant que ses prétendants sont confortablement installés dans ses murs, le dépouillant de ses biens et projetant même sa mort ?

Voilà l'histoire de Télémaque [L'Odyssée – Homère] qui devra faire ses preuves comme fils.

L'Odyssée est construite en flash-back. Le héros des premiers chants n'est pas Ulysse, dont on attend le retour, mais son fils au visage de dieu, Télémaque, personnage d'une profonde richesse. Lui aussi, comme son Arlésienne de père, traverse un temps initiatique.

Télémaque a vingt ans et ne se souvient pas d'Ulysse : il était trop petit quand son héros de père est parti pour Troie. Il a l'âme désolée : depuis des années, sa maison est envahie, son bien mangé, ses troupeaux décimés par la bande de fêtards qui se vautrent chez lui et lorgnent sur sa mère. Il a vingt ans et ne se sent pas encore en âge de lutter : il se dit faible, désarmé ; il est comme étranger dans son propre royaume. Ah, si papa revenait, avec quel effroi tous ces arrogants s'éparpilleraient ! En l'absence d'Ulysse, l'univers de Télémaque est sans loi rassurante.

Or cette absence est, peut-être, la pire qui soit car personne ne sait ce qu'est devenu le héros : les uns le disent mort, les autres – à commencer par Pénélope, sa mère – semblent assurés qu'il reviendra.

Télémaque, quand le lecteur fait sa connaissance, clame que son père est mort et nie tout espoir de retour. Avoir, au moins, une certitude, quelle qu'elle soit, comme solide assise.

Et puis, peu après, on l'entend donner la clé de sa détresse : les dieux ont fait de son père le plus invisible des hommes. C'est la déesse Athéna, déguisée, qui recueille cette confidence. Elle vient de s'extasier sur la ressemblance : la même tête, les mêmes yeux, tout le portrait d'Ulysse. Mais la détresse est telle que Télémaque presque rageur, a joué les sceptiques : il paraît, oui, qu'il est fils d'Ulysse, Pénélope le dit, mais à quel signe un enfant reconnait-il son père ? En vingt ans, aucun signe, jamais. Il y a toujours deux sens à la question : qui est mon père ?

Et si l'incertitude, davantage encore que l'absence était paralysante ? Fine mouche, Athéna ne conseille pas à Télémaque de partir à la recherche d'Ulysse, elle lui dit d'équiper un bateau et d'aller aux nouvelles.

Autrement dit, elle invite Télémaque à chercher à savoir ce que son père est devenu, mort ou vivant, pour qu'à travers une certitude, il existe enfin pour lui. Elle ajoute qu'il doit maintenant laisser ses jeux d'enfants.

Télémaque embarque, rend visite à Nestor et Ménélas, héros de la guerre de Troie. Il se fait raconter son père, finit par apprendre qu'aux dernières nouvelles, il était retenu prisonnier par Calypso et que donc, sans doute, il est encore vivant.

Télémaque rentre au pays. Lorsqu'il débarque, Ulysse est de retour. Comme s'il avait fallu que le fils, pour trouver un père, quitte d'abord le nid et ose affronter enfin les angoissantes questions de son enfance.

Et c'est ensemble, on le sait, qu'ils remettront de l'ordre.

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