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Lire Joyce-Carol Oates : Corps – Des gens chics – Haute enfance

Publié le par Jean-Yves Alt

L'Amérique de Joyce-Carol Oates est vue de l'intérieur. Son sujet de prédilection : la famille comme témoin, actrice, lieu social bouillonnant et morbide.

Dans "Corps" (1), recueil de nouvelles, et plus encore dans Des gens chics (2), Joyce-Carol Oates entraînait ses lecteurs dans l'univers quotidien de la famille américaine, première institution du pays, étouffante, dévorante, impossible. Les personnages traduisaient ce carcan par les déformations les plus courantes du corps : obésité, adiposité, folie mutilante folie meurtrière...

"Corps", c'est cet inventaire des plaies vives, mais si bien cachées : des gens de tous âges, de toutes origines, s'enferment lentement dans leur corps après des tentatives de fuite rendues vaines par l'épreuve de l'amour. L'amour commence par une culpabilité qui rend impossible l'amour. Et la famille reprend son bien, inexorablement, définitivement. On n'est pas loin de l'aphorisme d'Oscar Wilde : « Chacun tue les objets de son amour ».

"Des gens chics" commence de plein fouet : "Je fus un enfant assassin" : confession brumeuse mais lucide d'un gosse de riches, maintenant énorme, suant, souffrant, prêt à se tuer sans espoir, autrefois ballotté des banlieues résidentielles aux collèges huppés. Le père, un affairiste, la mère, auteur d'avant-garde qui s'échappe régulièrement avec l'amant du jour pour revenir au foyer clinquant après la fugue bohème. Femme fascinante. Et l'enfant ? Que ne supportera-t-il plus, finalement : un nouvel abandon maternel, ou le poids de son rang - faux élève brillant – alors qu'il est rongé par la pourriture de ses comparses sociaux ? Où est la réalité, où est sa part de création fantasmatique ? Où est sa réalité, puisqu'on lui refuse même de reconnaître qu'il a tué sa mère ? Le crime est-il trop horrible pour cette société, ou bien l'auteur délire-t-il, rendu fou à jamais par cette famille sordide mais si "chic" ?

Livres lents qu'il faut fouailler sans peur des odeurs, sans peur de se salir les mains. Cette famille-cadavre est bien vivante, grouillante des mille vers de la charogne. La vie est fascinante au même titre que la mort. Et le plaisir si primordial.

Il faut lire aussi "Haute Enfance" (3), flashes intenses de conscience. Joyce-Carol Oates y suggère encore bien des questionnements au travers de ses personnages.

En dehors de l'intérêt littéraire, le lecteur est mis en face d'une certaine culpabilisation, grand thème homosexuel. Jamais ou presque, il n'est question d'homosexualité ici, mais je me suis senti touché par cette traduction corporelle de tous ces délires intimes, par cette quête d'une famille idéale, substitut de la famille impossible. Faut-il tuer sa famille ou essayer de vivre avec ?

(1) Editions Stock, 1973

(2) Editions Stock, 1970

(3) Editions Stock, 1979 et Le Livre de Poche, 1996


Du même auteur : SexySolstice

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