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Charité, Eric Jourdan

Publié le par Jean-Yves Alt

Ian, un jeune homme très beau et très sensuel, recherché voracement par les hommes pour le plaisir mystérieux qu'il leur donne en se laissant aimer, s'enfonce dans une expérience initiatique. Accusé – par quel régime autoritaire ? – d'un péché qu'il ignore, il est conduit dans un camp où sont exécutés les renégats.

Un début kafkaïen. Mais le récit prend vite une direction différente et expose les tourments complexes de la haine et de la pitié, du corps et de l'âme, de la faute et de la rédemption.

Andrei, un superbe animal aussi (on voit là toutes les roueries des séductions terrestres) est chargé de l'incarcération de Ian. Il se met à aimer sa victime comme Roman, adolescent à la chair succulente, qui entre en religion après que Ian, évadé et caché sous la fausse identité d'un ermite, l'a béni dans un simulacre de désir :

« Plusieurs fois il se rendit dans la resserre chercher du bois et à l'un de ses voyages il entendit des pas légers s'approcher. Quelqu'un pénétrait sous l'auvent, il y eut l'effleurement contre la porte d'un panier qu'on posait à terre et il ne put retenir les bûches qu'il portait. Le bruit n'en finissait pas, mais les battements de son cœur l'assourdissaient. Il s'avança jusqu'à la porte, puis se courba pour regarder par l'un des trous. Son œil vit un œil. […]

Ian hésita, puis ouvrit la porte. Un garçon de treize-quatorze ans se tenait devant lui, un solide petit paysan avec un visage clair et des cheveux un peu longs couleur de blé mûr. La peau respirait le bonheur et dans les yeux brillait tout ce grand bonheur vide et joyeux. Le dessin du nez, la bouche, les petites dents luisantes, tout brûlait Ian. Dans le désordre de sa solitude, l'envie charnelle la plus brutale se ruait dans ses bras et lui séchait la gorge. Saisir ce corps contre lui ne suffisait pas, il le regardait et le regardait encore, les yeux agrandis, ses yeux verts piquetés de jaune et de brun, sur cette jeune beauté et tout à coup le désir lui fit serrer les dents. Ce qu'il voulait, c'était manger ce visage, dévorer cette chair, dévorer, remplir sa bouche de ce sourire, de la vie innocente qui colorait ces joues. Le garçon le contemplait, bouche ouverte, n'osant interrompre le silence bourdonnant qui les unissait. Enfin, Ian se reprit […] : "Petit" , murmura-t-il, puis le ton clair qui était le sien reparut : "Que les anges te protègent." Il fit un geste d'adieu de la main et referma la porte. » (pp. 166-167)

Roman et Andrei sont touchés par la grâce, Ian est l'ange fait homme... pour eux, car c'est la tentation du phallus qui ouvre les portes du véritable amour.

Pour lire Charité, il faut accepter les dédales du roman baroque, inspiré d'une religion chrétienne qui donne à la jouissance exacerbée du corps la même densité apparente que les exercices mystiques.

Située hors du temps, comme la légende du Christ où la chair a tant de gloire, l'histoire ne se prive pas d'évoquer des scènes puissamment érotiques : durant les mois de claustration, Ian tire de son corps les jouissances les plus excessives, dans la solitude des rêves ou les images de jeunes garçons sont loin d'être refoulées.

Charité est un roman insolite et fou, un roman où la complaisance à peindre la magnificence des corps voile quelque peu les deux autres dimensions du récit : la pitié soudaine qui envahit parfois l'homme face à la souffrance de son frère et la quête terrestre d'une paix avant que la mort ne pourrisse le désir.

■ Charité, Éric Jourdan, Éditions de la Différence, 1985, ISBN : 2729101803 ou Éditions du Seuil, collection Points, 1991, ISBN : 2020124858


Du même auteur : Les mauvais anges - Révolte

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