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Enfance et homosexualité par Lucien Farre

Publié le par Jean-Yves Alt

L'un des arguments que l'on oppose souvent à l'homosexualité est que cette dernière est une fixation maladive à un stade de sexualité infantile.

Pour les braves psychiatres promoteurs de cette théorie, l'homosexuel est un « demeuré », comme on dit dans mon village.

En un mot, on nous reproche de téter encore le biberon alors que les adultes boivent déjà à la tasse. Non ?

Quant au fait que le « demeuré » dessine les plafonds de la Chapelle Sixtine, pacifie le Maroc ou reçoive le prix Nobel de littérature, il est passé sous silence. Ou, peut-être, n'est-ce pas vrai ?

Pouvons-nous, avec toute l'humilité requise, puisque nous n'avons d'autre diplôme que celui de docteur en médecine – et chacun sait qu'à l'heure actuelle ce diplôme est moins honoré que le C.A.P. de plombier – poser cependant la question de savoir s'il est absolument prouvé qu'il faille considérer la fixation à un stade de développement infantile comme un désavantage, un handicap, voire comme une maladie susceptible de traitement ? (Il y a un passage très drôle dans Giese, dans son chapitre sur la thérapeutique, p. 287, où il nous apprend que pour soigner les homosexuels mâles, on leur injecte de l'hormone femelle, oui, j'ai bien écrit femelle. Il faut donc supposer que l'homosexuel est parfois considéré comme un super mâle ! Dont acte.)

Cependant, si ce traitement est drôle, d'autres proposés ou qui ne manqueront pas de l'être, le seront beaucoup moins, tels par exemple la lobotomie ou les électrochocs. Voilà à quoi risque de nous mener la conception de l'homosexualité comme maladie !

Ou bien, pour en revenir à nos moutons – et là, ma timidité s'accroît parce que je suis moi-même demeuré très infantile – ou bien, s'il faut tout oser, pourquoi n'essaierions-nous pas de braver toute honte, comme dit Platon (Théétète, 196 D) — oui, ou bien ne pourrait-on pas considérer cette fixation à un stade infantile comme un événement non seulement remarquable, mais extraordinairement favorable à l'évolution de l'espèce humaine ?

En un mot, mieux qu'en dix, au lieu de nous reprocher de téter encore le biberon, peut-être nous faudrait-il le conseiller, plutôt que de boire à la tasse ?

Car au fond, une fixation à un stade infantile ou adolescent, n'est-ce pas l'une des formes du secret de l'éternelle jeunesse, ou du moins de la jeunesse prolongée autant que faire se peut ? Alors, est-ce par dépit, par envie, par méchanceté que nos détracteurs, trop pressés de vieillir et n'ayant pas su garder dans leur âme cet éclat merveilleux de l'enfance, songeraient à nous coller aux hormones femelles, à la psychanalyse, voire à l'électrochoc ou à la lobotomie préfrontale ?

Nous ne rions pas. Et pour le prouver, mettons les preuves en mains.

D'abord, considérer l'homosexualité comme une fixation à un stade infantile, n'est pas une invention de notre cru. Tous les psychiatres sans exception la considèrent ainsi. Que les incroyants se reportent aux divers Evangiles traitant la question.

Là où cela devient un peu plus épineux, c'est quand il s'agit de savoir si l'homosexualité est innée ou acquise au cours de cette première enfance. Certains (Dr Richmond, citée par Caprin) affirment que « tous les êtres humains passent dans leur développement par un stade homosexuel ». Pourquoi pas ? Cela devrait signifier que l'homosexualité est donc innée puisque ce stade homosexuel est commun à tous. Pas du tout. Le bonnet blanc est noir. Et la même Dr W. Richmond affirme que l'homosexualité n'est pas innée, mais acquise. Cette brave dame doit être une adversaire convaincue du principe de non-contradiction. De toute façon, ceux qui considèrent l'homosexualité comme acquise ne savent pas mieux que les autres comment elle a été acquise. Car elle peut s'acquérir tantôt en s'identifiant au père et tantôt à la mère.

Passons : le problème n'a strictement aucun intérêt et ressemble comme deux gouttes d'eau à ceux qu'on agitait au moyen âge, relatifs au sexe des anges. Sa solution n'a non plus absolument aucune espèce d'importance, puisque depuis Pascal tout le monde sait que « la seconde nature quelle qu'elle soit, peut prédominer souvent sur la première » (cf. lavage de cerveau, bourrage de crâne et autres joyeusetés en honneur un peu partout).

Ce qui compte, c'est que l'homosexuel existe, c'est-à-dire, que, innée ou acquise, l'homosexualité est l'une des formes possibles de l'existence compatibles avec la vie en société – et que son amour est l'une des formes possibles de l'Amour. Ce sont là des faits qu'on ne peut ni nier, ni négliger, ni au point de vue anthropologique ni au point de vue biologique, moral, sexologique, légal.

Ce qu'il faut souligner également c'est la quasi-uniformité d'opinions sur la fixation infantile de l'homosexualité. Il y a là quelque chose de troublant, bien qu'en réalité ceux qui ont écrit sur la question n'aient fait que répéter à quelques détails près les théories des précurseurs. Or, il n'y a point tellement de points de départ à partir desquels on puisse remonter dans l'enfance, et c'est une curieuse coïncidence que, de l'avis unanime, justement l'homosexualité (et non la sexualité normale) en soit un. C'est un don. Et ce don, semblable à celui de la baguette magique, nous paraît très important. Les grandes découvertes de l'enfance – conscientes ou inconscientes, tôt révélées ou gardées longtemps secrètes – et la découverte homosexuelle ressentie ou simplement soupçonnée est de toutes la plus grave de conséquences – persistent chez l'adulte pendant toute sa vie, soit comme des refuges, soit comme des sorties de secours, soit même comme une imprégnation permanente de la vie tout entière – imprégnation en particulier que l'on retrouve presque constamment chez les génies.

Ce n'est pas pour rien que Proust intitule son roman « A la recherche du temps perdu ». Consciemment ou inconsciemment, il pose le problème majeur de l'homosexualité : savoir rester un enfant, savoir revenir en arrière, savoir arrêter le cours du temps.

La nostalgie des curiosités puériles, le souvenir des occasions ratées, l'impression souvent paralysante de n'avoir pas vécu une partie de l'enfance comme on aurait dû la vivre, tout cela forme le monde secret de l'homosexuel, où lui-même parfois hésite à descendre pour ne pas aggraver sa blessure et son conflit avec la société.

Pour beaucoup, le fait de n'avoir pas vécu leur enfance comme ils auraient dû la vivre laisse des traces psychologiquement tangibles, comparables à celles que laisse le rachitisme, sur le squelette, et pour lesquelles aucune psychanalyse ne peut évidemment plus rien. Mais ceci c'est le grave problème de la sexualité infantile en général – et non seulement celle des homosexuels – problème qu'il n'est pas actuellement possible de soulever.

Mais si l'on veut comprendre l'homosexuel, avant de le juger et de le condamner, il faut penser chaque fois que, quel que soit son âge, il est un enfant. Quel que soit le rôle qu'il joue, actif ou passif, et le partenaire avec lequel il le joue, ami véritable, connaissance d'une heure, prostitué, quel que soit l'âge ou la condition de ce partenaire, chaque aventure homosexuelle est pour lui un bain de jouvence, un retour en arrière – presque une preuve tangible que le temps ne passe pas.

Le pouvoir d'abstraction chez l'homosexuel est terrible. Gide l'a défini : « Que l'importance soit dans ton regard et non dans la chose regardée », dit-il dans les Nourritures terrestres. Ce pouvoir d'abstraction atteint le pouvoir d'imagination de l'enfant qui joue avec un carton, une planche, une poupée désarticulée et branlante.

Toute aventure est une re-création, une création à nouveau, mieux, une résurrection dans la communion avec un passé émotionnellement toujours présent.

Ce bain de jouvence, notons-le immédiatement, si les hétérosexuels ne l'ignorent pas totalement, n'a jamais chez eux ce pouvoir libérateur qu'il a chez les homosexuels, sauf peut-être chez Don Juan, dont la quête de la femme ressemble étrangement à la quête de l'homme par l'homosexuel, comme si ces deux quêtes avaient, au-delà du sexe, un point commun, telles des parallèles qui se rencontrent à l'infini. Les autres, c'est-à-dire les êtres mariés, par définition, fidèles, sont obligés de vieillir et rien ne peut les sauver de ce vieillissement. Pourquoi ?

Il suffit d'observer deux choses :

Alors que le contact hétérosexuel engage l'homme, envers la femme d'abord, envers la société tout entière ensuite, par ses conséquences possibles de procréation, de famille, donc de fixation, de nécessité de subvenir à des besoins autres que les siens propres, et fait de l'homme marié un citoyen totalement engagé dans la vie de la cité, le contact homosexuel, au contraire, garde la séduction de la disponibilité, de la fuite toujours possible, du voyage impromptu, de la seule nécessité de subvenir à ses propres besoins, sans se charger jamais d'un poids qui peut devenir fastidieux à la longue. Kierkegaard appelle cette vie ou cette partie de la vie « le stade esthétique » et donne à ses héros les noms de Johannes le Séducteur, de Socrate, de Don Juan. L'acte homosexuel laisse l'homme libre et n'engage absolument aucun des deux partenaires (sinon dans la voie du péché), ni l'un envers l'autre, ni envers une quelconque société.

Or, cette disponibilité de l'âme, de l'esprit, de l'intelligence, du cœur, du corps, c'est tout le charme, tout le secret et tout le bonheur de l'enfance.

Écoutons Rilke parler de ce bonheur dans les dernières pages des Cahiers de Malte Laurids Brigge :

« Ce qu'il souhaitait alors, c'était cette indifférence intime de son cœur qui, le matin tôt, dans les champs, le saisissait avec une telle pureté qu'il commençait à courir, pour n'avoir ni temps ni haleine, pour n'être plus qu'un léger instant du matin qui prend conscience de soi. Le secret de sa vie qui n'avait encore jamais été, s'étendait devant lui. Involontairement il quittait le sentier et courait plus loin, à travers champs, les bras étendus, comme si dans cette largeur il avait pu s'emparer de plusieurs directions à la fois. Et puis, il se jetait n'importe où, derrière un buisson, et il n'avait de valeur pour personne. Il écorçait une flûte de saule, il lançait un caillou dans la direction d'un petit fauve, il se penchait en avant et obligeait un scarabée à faire demi-tour, tout cela ne devenait pas du destin et les cieux passaient au-dessus de lui comme sur la nature. »

« Tout cela ne devenait pas du destin. » Rien de ce que fait l'homosexuel ne devient du destin, alors que presque tout ce que fait l'hétérosexuel peut devenir du destin. Il nous semble qu'il y a ici une nouvelle phrase-clef de l'homosexualité et que bien plus que dans des fixations infantiles, c'est dans une volonté très nette d'échapper au destin qu'il faut voir l'origine de l'homosexualité.

Mais peut-être aussi y a-t-il chez l'homosexuel la peur de se charger du destin des autres. Et cette peur, est-ce une dérobade ou simplement de la clairvoyance ?

Ainsi donc, en un certain sens, l'homosexuel vit-il en dehors du temps. Les enfants qui naissent poussent l'hétérosexuel vers la tombe, mais l'homosexuel est à l'abri du fleuve furieux. Il continue à jouer, comme si de rien n'était, à des jeux interdits. Et si le miroir lui renvoie quelquefois un visage ridé, il lui suffit de jeter son regard au-delà pour se retrouver tel qu'il était à ses premières amours, si libres, si disponibles – qui en aucun cas ne pouvaient devenir du destin, contrairement à ces baisers de jeunes filles, dans lesquels il sentait non l'innocence, mais déjà un piège.

Si l'hétérosexuel subit le destin, si l'homosexuel y échappe ou tente d'y échapper, le génie, lui, forge lui-même son propre destin, qu'il soit homo ou hétérosexuel. Mais cette faculté de retour en arrière, à laquelle l'hétérosexuel a plus ou moins délibérément fermé ses portes, l'homosexuel continue à la partager avec le génie.

Après le poète, écoutons le savant (ici Rostand) parler de cela mieux que je ne saurais faire, en remontant il est vrai, assez loin dans la nuit des temps. Car il ne s'agit plus de l'enfance permanente du génie, mais de l'enfance même de l'espèce humaine. Comme le génie humain replonge dans son enfance pour y retrouver sa capacité d'émerveillement et de création, de même le génie de l'espèce va plus loin encore et choisit pour créer des formes nouvelles ce qu'il y a dans la vie simultanément de plus malléable et de plus puissant, c'est-à-dire la forme fœtale.

Rappelons d'abord que l'on croit savoir (depuis Bolk, cité par Rostand dans L'Aventure humaine) que l'homme peut être considéré comme un « têtard » de singe qui a su se développer en préservant ses caractères fœtaux.

« Le Dr Devaux », écrit Rostand, « chez l'homme explique par le retard sexuel, d'une part l'allongement des jambes qui aurait déterminé l'affranchissement de la main, d'autre part la réduction du larynx, condition sine qua non du langage articulé. […]

En se plaçant du reste à un point de vue plus général, il est clair que la prolongation de l'enfance chez l'homme n'a pu que favoriser puissamment l'évolution intellectuelle (c'est nous qui soulignons). L'enfance, qui actuellement s'étend sur un tiers de la vie moyenne, est une période plastique, éducable, acquisitive par excellence. […]

C'est seulement chez quelques individus exceptionnels, écrit Schopenhauer (cité par Rostand), chez les rares élus qu'on nomme génies que la pure intellectualité de jeunesse peut persister toute la vie. Tout enfant est dans une certaine mesure un génie et tout génie un enfant. Ainsi, pour le grand métaphysicien du Monde comme Volonté, le génie serait essentiellement un effet d'arriération intellectuelle, de « néoténie » psychique.

Le procédé d'infantilisation qui paraît avoir joué dans la formation de l'espèce humaine, la biologie tend à lui attribuer une valeur chaque jour plus grande pour l'interprétation de l'évolution organique.

Il semble que l'on puisse sans arbitraire, avec l'anglais De Beer, classer en deux grandes catégories tous les changements responsables de la différenciation vitale : la « pédomorphose qui incorpore dans le type adulte les caractères jusque-là réservés aux jeunes ; la gérontomorphose qui modifie les caractères des adultes. ... C'est la pédomorphose qui périodiquement reconstitue l'énergie vitale.

La distinction entre les formes nées de la pédomorphose et les formes nées de la gérontomorphose répond bien à celle qu'institue le philosophe Leroy entre les formes molles, authentiques embryons dans l'ordre de la phylogénèse, et les formes durcies. Seules les premières sont à ses yeux responsables du progrès majeur. Les formes qui représentent l'avenir sont des formes restées molles, indécises, plastiques, généralisées, à caractères mixtes et sans rigoureuse différenciation, voisines des caractères primitifs. Moins parfaitement, moins strictement adaptés à telle ou telle tâche restreinte et pour ainsi dire technique, elles conservent une plus forte charge de potentiel évolutif. »

Ainsi donc cette question qui est posée sur le plan individuel par le génie — sur le plan de l'évolution des espèces par la pédomorphose — et qui est posée, notons-le bien, d'une manière philosophique et biologique parfaitement valable, en accord avec l'observation et le raisonnement scientifique, cette question donc, si elle reçoit une réponse positive, c'est-à-dire si l'infantilisation de l'adulte, comme facteur essentiel d'évolution, est confirmée, il faudra bien alors accepter de la poser aussi pour l'homosexuel et constater que ce qu'on lui reproche actuellement jusqu'à y voir un état de maladie susceptible de traitement, pourrait au contraire être considéré comme un rare avantage, un signe d'évolution anticipée sur les autres humains.

Il faudrait donc choisir entre la thèse, chère à Maraňon, qui voit le bonheur et l'évolution de l'humanité dans une spécialisation à outrance des sexes, une différenciation de plus en plus irréductible, allant, pourquoi pas ? jusqu'à être comparable, par exemple à celle de la Bonelli avec des hommes toujours plus hommes, et des femmes toujours plus femmes – et la conception soutenue par Rostand, Leroy, Schopenhauer, Rilke, Proust – nous mélangeons exprès les savants, les philosophes, les romanciers et les poètes, parce qu'une telle analogie de pensée dans des pratiques si différentes mérite d'être soulignée – conception qui voit l'évolution de l'humanité dans une dédifférenciation progressive, dans une permanence des dispositions infantiles, voire fœtales, de l'individu, c'est-à-dire, pratiquement, dans un retour à sa bissexualité fondamentale, à l'état où aucun des sexes n'est encore vainqueur de l'autre, quand est encore concevable un équilibre favorable à la connaissance du monde.

Mais peut-être avons-nous accepté un peu à la légère l'affirmation des psychiatres que l'homosexuel est un individu fixé à un stade infantile ? N'avons-nous pas des preuves plus réelles, plus tangibles que les preuves psychanalytiques, que l'homosexuel est un individu refusant énergiquement de passer à l'étage adulte – ou plus exactement d'y descendre, car la tombe est toujours en bas ?

Certes.

Parmi ces preuves, nous en avons déjà une qui est l'homosexualité elle-même, c'est-à-dire :

— la satisfaction prise à des jeux d'enfants ;

— l'attirance vers son semblable et non pas vers contraire ;

— le refus de la responsabilité familiale, c'est-à-dire du passage à l'âge adulte ;

— la permanence de sa disponibilité et son refus d'engagement quelconque — ce qui explique, entre autres choses, la quasi impossibilité de liaisons durables et fidèles ;

— sa sensibilité et son amour de la nature et du grand air — et par voie de conséquence des arts ;

— sa continuelle nostalgie du passé. L'homosexuel vit dans le passé. On peut dire qu'il rentre dans l'avenir en reculant. Ce n'est pas seulement son passé propre qui l'attire, c'est le passé en général. Mieux que l'hétérosexuel, l'homosexuel sent et comprend l'histoire. Il est curieux, collectionneur, antiquaire, voire archéologue.

Mais, à côté de ces qualités, éclatent avec la même évidence chez un grand nombre d'entre eux des défauts d'autant plus insupportables qu'ils sont déjà insupportables chez l'enfant et qu'ils gagnent encore de virulence à être pratiqués par des adultes.

L'homosexuel reste attaché à sa mère d'une manière qui finit par déteindre sur lui. Il n'arrive pas à rompre le cordon ombilical, bien que neuf fois sur dix la mort de sa mère lui procure en même temps qu'un immense chagrin un non moins intense soulagement. C'est quelquefois à la mort de leur mère que certains homosexuels arrivent à se décider au mariage.

Cet attachement à la mère fait de l'homosexuel un être changeant, capricieux, fréquemment égoïste, habitué à ce qu'on lui souffre tout. Il se conduit plus en enfant gâté qu'en cocotte. Sa mièvrerie, sa niaiserie sont une mièvrerie, une niaiserie d'enfant et non de femme comme on l'interprète à tort (ou alors de femme qui, elle aussi, joue à l'enfant, comme cela arrive souvent).

Son goût du travestissement – qui est une tentative d'extérioriser sa disponibilité (être soi-même et un autre est un goût spécifiquement puéril) – est aussi, souvent, une manifestation de son attachement au passé. (Ah, comme je voudrais vivre, dit-il, au temps de Périclès ou de Léonard de Vinci !) Seulement – et c'est là un point sur lequel peu de sexologues ont insisté – la vie sociale ne permet pratiquement pas à l'homosexuel de se travestir autrement qu'en femme – sauf en période de Mardi-Gras ou de Mi-Carême, qui sont les deux grandes fêtes homosexuelles. Beaucoup d'homosexuels en effet se travestissent en femme par pis-aller – parce qu'ils ne peuvent pas se travestir en autre chose. Alors que, s'ils en avaient la possibilité, ce n'est pas habillés en femme qu'on les rencontrerait, mais en patricien romain, en page de la Renaissance, en maréchal d'Empire, en esclave soudanais.

Notons immédiatement qu'un danger guette l'homosexuel. Alors qu'il y a en lui les possibilités de préserver l'essence même de l'enfance, il ne cherche à en préserver que les apparences. Parce que, évidemment, c'est plus facile,

Ils deviennent alors semblables à ces prêtres qui disent encore la messe, mais qui ne croient plus en Dieu. Le contact et l'amour de tels homosexuels sont la chose la plus déprimante qui soit. D'abord parce que le terme même d'amour, ils ne le comprennent plus et que leur vie n'est plus qu'une suite de répétitions, d'habitudes, de mouvements à vide, comme on en observe chez certains animaux.

On ne sait plus alors si ces êtres-là ont dépassé le stade fœtal et en sont arrivés à la condition d'insectes, ou bien s'ils ont manqué un tournant et sont tombés dans un engrenage de spécialisation absurde qui en font les caricatures de ce qu'ils auraient dû être.

Peut-on conclure ?

Nous pensons que oui.

L'homosexualité est, chez de nombreux êtres, le seul moyen qu'ils aient de préserver en eux un domaine inaccessible aux autres : celui de leur enfance.

Cela suppose souvent que cette enfance n'a pas été vécue comme elle aurait dû l'être. La fixation alors peut acquérir une allure maladive.

Mais parfois, cette fixation à l'enfance est due à un refus délibéré de l'âge adulte – refus dont on ne voit pas en quoi il serait critiquable, étant donné ce que l'on connaît de l'âge adulte et que l'enfant a très vite pu juger et comprendre avec son intelligence. La vie adulte est loin d'être recommandable. Qu'un être juge préférable de garder sa vie infantile au lieu de l'échanger contre une vie adulte, devrait être plutôt considéré comme le propre d'un jugement sain.

Enfin, mais plus rarement encore, cette fixation à l'enfance semble être le seul moyen de préserver en soi des forces créatrices bouillonnantes. Là est la source de l'émotion sans laquelle il n'est pas d'art possible. Cette homosexualité-là, peut-être un jour s'en rendra-t-on enfin compte, joue un rôle décisif dans le développement des civilisations humaines.

Arcadie n°87, Lucien Farre, mars 1961

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