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Théologie et homosexualité par Lucien Farre

Publié le par Jean-Yves Alt

L'incertitude de l'existence de Dieu est la même pour les athées comme pour les croyants. Les uns ne peuvent dire je sais qu'il existe, pas plus que les autres ne peuvent prétendre qu'il n'existe pas. Pour un esprit impartial, il ne peut s'agir là que de deux hypothèses contraires, de deux tournures d'esprit différentes d'autant plus fortement manifestées que leurs racines plongent plus fortement dans l'inconscient, et qui se rejoignent toutes deux dans le pire, c'est à-dire dans l'intolérance de l'opinion opposée.

L'intérêt de la question ne réside donc pas dans la Foi avec un grand F qui est la marque de l'intolérance, qu'elle soit Foi pour ou Foi contre, mais dans l'avantage que l'esprit humain peut trouver à accepter plutôt l'une ou l'autre des deux hypothèses, ou plus exactement dans l'efficacité de l'une ou l'autre de ces hypothèses.

J'entends bien efficacité dans le sens que l'on donnerait à ce mot pour une théorie scientifique : son pouvoir d'expliquer le plus clairement possible le plus grand nombre de phénomènes, l'aide qu'elle apporte à une compréhension plus nette de l'univers.

L'hypothèse de l'existence de Dieu, si elle ne peut se mettre en équation comme la théorie de la relativité d'Einstein, peut pourtant être jugée sur les mêmes critères : c'est cela que j'ai appelé son efficacité.

Il y a cependant une différence essentielle entre les deux ordres d'idées ; l'ordre scientifique et l'ordre théologal. A savoir que l'hypothèse de l'existence de Dieu n'apporte aucune lumière supplémentaire à la compréhension du monde. L'homme qui croit en Dieu n'est pas plus avancé que l'athée. Ce n'est donc pas dans le domaine de l'intelligence ou de la compréhension de l'univers qu'il faut juger l'efficacité d'une telle hypothèse.

L'efficacité de l'hypothèse ne se mesurera donc pas à l'aide qu'elle apportera à résoudre les problèmes de l'intelligence, mais à l'aide qu'elle apportera à résoudre les problèmes de la vie, dont l'intelligence n'est qu'une partie.

A résoudre ? Même pas ! A les vivre !

On a trop tendance à considérer Dieu comme une solution au problème de la vie, alors qu'il n'en est peut-être que l'aliment. Il est remarquable de constater que dans toutes les religions sans exception (je crois) Dieu est considéré comme Aliment avant toute autre chose.

Non comme solution, mais comme Substance !

Il est facile de nier l'existence de Dieu comme solution – et qui dit solution pense solution intellectuelle ! – au problème de l'univers. Il est plus difficile de le nier comme substance même de cet univers, ou pour employer une expression de Lavelle, comme émotion d'exister, laquelle émotion est du domaine de l'athée aussi bien que du domaine du croyant.

L'athée qui veut tout réduire à la raison commet un péché contre la raison elle-même. Il est vrai que beaucoup de théologiens en faisant de Dieu la pure intelligence ont donné à l'athée les armes pour les battre sur leur propre terrain. Car nous ne savons pas ce que peut être une pure intelligence, ni même pourquoi elle devrait exister, ni si elle existait pourquoi elle se serait amusée à créer le monde !

Il semblerait que le véritable fossé qui sépare les athées des croyants et cela indépendamment de ce qu'ils se croient eux-mêmes n'est pas leurs professions de foi pour ou contre l'existence de Dieu, mais la suprématie qu'ils accordent, les uns à la vie totale (c'est-à-dire affective), les autres à la seule vie intellectuelle.

Un athée affectif, c'est-à-dire capable d'éprouver d'une manière intense l'émotion d'exister dont la forme la plus aiguë est l'amour, est plus près de l'idée de Dieu qu'un croyant incapable d'aimer.

On pourrait donc dire que le domaine de la foi est en réalité le domaine de l'affectivité, le refus de séparer l'existence en ses divers constituants plus factices les uns que les autres (intelligence, raison, etc...) alors que le domaine de l'athéisme est le domaine de la seule raison, glacial entre tous.

Les religions qui se soumettent à la raison et lui donnent la primauté sur l'ensemble des manifestations de la vie cessent d'être les servantes de Dieu pour devenir les servantes de l'Anti-Dieu, les servantes de la matière, même si elles continuent à se servir du nom de Dieu. Elles oublient ce qui fait leur mystère essentiel et leur donne leur efficacité dans le cœur des humains : savoir que Dieu n'est pas une solution, ni une explication, mais la substance même de l'Univers. Ce n'est que dans cette conception de Dieu comme Substance de l'univers que les plus graves problèmes de la Théologie peuvent trouver une solution apaisante, non à l'esprit, mais au cœur humain.

Sautons du coq à l'âne ! L'analyse réfléchie du comportement homosexuel montre, dans la majorité des cas, que ce comportement est essentiellement un comportement théologal. Je m'explique :

Le prêtre est, par principe, face à la divinité, dans la position de la femelle face au mâle. Les rapports de la divinité à l'homme sont, du simple fait que Dieu est le plus souvent conçu comme un principe mâle, des rapports homosexuels.

En disant que le comportement homosexuel est un comportement théologal, je souligne donc simplement la deuxième apparence du problème que l'on laisse le plus souvent dans l'ombre et même que l'on néglige absolument, le premier aspect étant celui dont je viens de parler, à savoir que tout comportement théologal est un comportement homosexuel. Même les homosexuels qui se disent ou se croient athées ont dans leur comportement sexuel une composante théologale, soit qu'ils jouent le rôle passif, c'est-à-dire le rôle de l'homme face à Dieu, soit qu'ils jouent le rôle actif c'est-à-dire le rôle de Dieu face à l'homme.

Enfin, il y a dans le comportement homosexuel quelque chose de plus grave encore : je veux dire un mépris souvent systématique de la raison, de l'intelligence considérée comme fin en soi (indifférence par exemple au niveau intellectuel du partenaire cherché et même recherche du partenaire à niveau intellectuel bas), au profit d'un élément que l'on pourrait qualifier : recherche de la Présence, exactement comme le mystique recherche la Présence divine, Car, et il me semble que les homosexuels ne me donneront pas tort, ce qui compte avant tout, pour eux, c'est, plus que l'acte génital en soit, la présence du partenaire. L'acte charnel, l'acte sexuel n'étant que la quintessence de ce partenaire, la preuve de son existence – un peu comme l'extase est la preuve, pour le mystique, de l'existence de Dieu.  

Comment en serait-il autrement, à partir du moment où la procréation cesse d'être le but de l'acte charnel ? Chacun de nous sait par expérience que, si indispensable que soit la jouissance, elle n'a de valeur véritable que parce que consciemment ou inconsciemment, elle symbolise quelque chose d'autre qui la dépasse et nous dépasse nous-même. Dans l'acte charnel entre homme et femme, ce quelque chose est l'enfant, c'est-à-dire l'espèce humaine. Dans l'acte charnel entre deux hommes, ce quelque chose n'est, ne peut être que Dieu (quel que soit le nom qu'on lui donne : émotion d'exister, présence, amour, etc...). L'émotion charnelle étant avec la peur la plus puissante qu'il soit donnée à un être humain d'éprouver est liée par son essence même à la substance de la Vie, avec un grand V, c'est-à-dire à Dieu, et cela d'autant plus qu'elle est plus dégagée de toute autre préoccupation, en particulier de l'instinct de reproduction.

L'acte procréateur supprime chacun des partenaires en présence au profit d'une humanité future qui les dépasse, mais qui les nie en quelque sorte en tant que but final l'un pour l'autre.

L'acte sexuel sans procréation porte à son acmé la conscience du moment présent, refuse toute valeur au futur, et fait communier les partenaires dans un dépassement immédiat, qui non seulement ne les annihile pas, mais leur donne leur seule et véritable raison d'exister. C'est ce dépassement qui dans tous les temps et dans tous les pays a toujours porté le nom de Dieu.

Car, qu'est-ce que la théologie sinon le lent cheminement de l'homme pour se reconnaître en tant que personnalité ayant une valeur propre et absolue ?, c'est-à-dire indépendante du temps (donc de la procréation). Mais la valeur absolue d'un être et d'un univers imparfait ne peut se concevoir qu'en fonction d'un absolu parfait, c'est-à-dire de Dieu. (Il est évident qu'il ne faut pas donner ici au mot parfait la signification étroitement morale qu'on a l'habitude de lui donner. De même le mot absolu dans valeur propre et absolue doit se comprendre comme valeur indépendante des critères moraux, intellectuels ou physiques sur lesquels on juge d'habitude un être humain.) En d'autres termes la substance humaine ne peut se concevoir qu'en fonction d'une substance divine. L'acte d'amour tend à créer entre deux êtres un rapport proportionnel à la part que chacun d'entre eux prend à Dieu, et dans lequel l'un des êtres joue par rapport à l'autre le rôle que Dieu joue par rapport à lui. Conscient ou inconscient, le besoin de l'existence de Dieu se retrouve incarné dans l'inconnu d'un soir !

Arcadie n°60, Lucien Farre, décembre 1958

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