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Mademoiselle Giraud, ma femme, Adolphe Belot (1870)

Publié le par Jean-Yves Alt

Ce roman fut un succès de nos arrière-arrière-grands-parents, véritables perles fanées avec pourtant encore du charme.

Adolphe Belot, feuilletoniste de la IIIe République, se fit une réputation d'auteur leste et polisson, qu'amorça ce roman, bien désuet aujourd'hui en regard de nos mœurs. Il traite en effet de l'homosexualité féminine en 1870 !

L'histoire en est fort simple : un homme se marie avec une jeune fille dont il est follement amoureux mais la jeune femme se refuse à lui après les épousailles. Il croit dans un premier temps qu'elle a un amant. Il la surveille. Il la voit souvent rendre visite chez une amie. Il ne comprend pas pourquoi elle se refuse à lui car il n'imagine pas qu'une femme puisse être lesbienne. Quand il admet la réalité, il est épouvanté…

« Je reviens à la prose pour ne plus la quitter ; ce qu’il me reste vous dire, ou plutôt à vous laisser deviner, ne mérite pas qu’on se mette en frais de style. En face de certaines infamies, il n’est pas permis de se taire ; on doit élever la voix pour les condamner. L’indifférence, le dédain, le silence, les encouragent ; l’ombre, les ténèbres qui les environnent leur font espérer l’impunité ; elles s’étendent, elles grandissent, elles prospèrent, elles portent la honte, le déshonneur autour d’elles. Il faut les combattre à outrance, sans craindre de blesser des oreilles délicates, d’éveiller des idées dangereuses.

C’est en ayant de ridicules pudeurs, en ménageant les vices, en négligeant de les flétrir, qu’ils arrivent parfois, à la longue, à passer pour des vertus. Si vous n’osez pas dire à ce bossu : « Tu as une bosse », à ce nain : « Tu es difforme », ce nain et ce bossu vont se croire de beaux hommes. Que de sociétés se sont perdues parce qu’il ne s’est pas trouvé d’hommes assez forts ou assez autorisés pour leur crier : « Prenez garde ! un nouveau vice vient d’éclore, une nouvelle lèpre nous envahit ! » N’étant pas prévenues, elles n’ont pu se défendre, le vice a grandi, la lèpre s’est étendue et a fait de tels ravages, que chacun étant devenu vicieux ou lépreux ne s’est plus aperçu du vice ou de la lèpre de son voisin. »

Malgré les précédents de Balzac, Gautier ou Baudelaire le sujet était à l'époque assez délicat pour qu'Emile Zola (qui n'était pas encore l'auteur de Nana) le couronne d'une préface vertueuse et scandaleuse qu'il signa Thérèse Raquin. (lire ci-dessous)

L'histoire, ampoulée et larmoyante à souhait, est aujourd'hui d'un kitsch auquel il est bien difficile de résister.

Mademoiselle Giraud, ma femme, Adolphe Belot, préface de Thérèse Raquin [Emile Zola], Paris, Librairie Dentu, 1870

Mademoiselle Giraud, ma femme, Adolphe Belot (1870)

Préface de Thérèse Raquin [Emile Zola]

M. Adolphe Belot vient de publier un livre : Mademoiselle Giraud, ma femme, qui a réussi à forcer l’attention du public, par ces jours d’émotion politique. Ce roman s’est vendu à trente mille exemplaires, paraît-il. Depuis plus d’un an, c’est le seul volume qui ait arraché une foule de lecteurs à ce flot montant de journaux qui menacent de tuer la librairie.

Un pareil phénomène est bon à étudier. Je viens de lire l’œuvre de M. Belot et je connais maintenant les causes de son succès. La foule a cru trouver la pâture à ses curiosités malsaines. Ce qu’elle cherche dans les indiscrétions d’alcôves de certaines feuilles, elle l’a arraché dans le livre grave et vengeur du romancier. Et, pendant qu’elle dévorait ces pages si saines et si fortes qu’elle tentait vainement de salir par ses appétits de scandale, elle allait déclarer tout haut que cette œuvre était une honte, feignant de ne pouvoir même en prononcer le titre devant les femmes, accusant presque l’auteur d’avoir spéculé sur les goûts honteux de l’époque.

J’aime les déclarations nettes. La vérité vraie est que, tout en faisant un succès à l’auteur, beaucoup de personnes ont prononcé le gros mot d’immoralité, si vide de sens en matière littéraire. Maintenant, quand le public daigne lire une de nos œuvres, il semble nous dire : « Nous vous lisons, mais c’est parce que vous êtes profondément obscènes et que nous aimons les récits épicés ». Bientôt le succès deviendra un crime, une prévention d’attentat à la pudeur publique ; on ne pourra même plus vendre un livre à deux mille exemplaires sans qu’on se demande quelles descriptions hasardées l’écrivain a bien pu mettre dans son roman pour que deux mille personnes aient consenti à l’acheter.

Je me suis donné la tâche, après avoir lu Mademoiselle Giraud, de faire absoudre M. Belot de son succès. Il faut bien que quelqu’un dise au public : « Eh ! ne baissez pas la voix, parlons tout haut de cette œuvre dont vous voulez faire une de ces œuvres que vos femmes et vos filles cachent sous l’oreiller. Puisqu’on guillotine encore en plein jour, on peut bien marquer publiquement certains vices d’un fer rouge. Ne voyez-vous pas que vous faites méchamment et sottement un spéculateur éhonté d’un moraliste qui a mis avec un grand courage le doigt sur une des plaies de l’éducation des jeunes filles dans les couvents ? »

Je sais bien qu’il est de bon ton de cacher le vice pour permettre à la vertu de vivre sans rougir. On fait vraiment la vertu d’une constitution trop faible. C’est bien parce qu’elle est la vertu qu’elle peut tout entendre.

D’ailleurs, pas d’hypocrisie, n’est-ce pas ? On est très savant aujourd’hui. On se contente de se confier tout bas ce qu’on défend aux moralistes de flétrir tout haut. M. Belot n’a rien appris à personne, n’a troublé aucune innocence, en racontant la liaison monstrueuse de deux anciennes amies de couvent. Cette histoire-là court notre société gâtée jusqu’aux moelles. Le crime de l’auteur est simplement d’avoir troublé la quiétude des gens qui préféraient se raconter l’histoire en question entre deux portes, à la voir circuler librement avec toutes ses conséquences vengeresses. Et, comme pour le punir d’arracher le voile, on cherche à lui faire expier son audace en lui prêtant toutes les intentions de scandale que l’on met dans son livre.

Eh bien ! non, vous n’avez pas compris. M. Belot n’est pas digne du succès que vous lui avez fait. Cessez de cacher son livre et mettez-le sur toutes vos tables, comme nos pères y mettaient les verges dont ils fouettaient leurs enfants. Et, si vous avez des filles, que votre femme lise ce livre avant de se séparer de ces chères créatures et de les envoyer au couvent.

Le drame est d’une simplicité terrible. J’oserai le raconter.

Un jeune homme, Adrien de C…, s’éprend de Paule Giraud, une grande fille brune, qui lui livre sa main avec un étrange sourire. Paule a pour amie Berthe de B… qu’elle a connue au couvent, et avec laquelle elle entretient des rapports assidus. Cette Berthe, une blonde aux yeux gris, aux lèvres rouges, a fait autrefois un mariage d’inclination, si l’on en croit les bruits du monde ; puis son mari l’a quitté, on n’a jamais su pourquoi, tout le monde a donné tort à ce mari qui a dédaigné de se défendre. Aussi, quand elle apprend qu’Adrien veut épouser son amie, Mme de B… cherche-t-elle à la détourner de ce mariage avec une insistance et certains regards qui devraient donner à réfléchir au jeune homme.

Le mariage se fait, et Adrien ne peut arriver à le consommer. Elle entend rester vierge. Elle décourage les tendresses de son mari, elle n’a à lui donner qu’une amitié de sœur. Alors Adrien croit que Paule la trompe. Il l’épie, il la suit ; et, quand il l’a vue entrer furtivement dans une maison inconnue, quand il pense la surprendre dans les bras d’un amant, il la trouve en compagnie de Mme de B…, qu’il lui avait défendu de voir. Rien ne l’éclaire, l’attitude de ces deux femmes le trouve aveugle. Vaincu dans la lutte qu’il soutient, il part, éperdu, sans pouvoir deviner quelle fatalité pèse sur lui. Pour pénétrer au fond de cette infamie, il faut qu’il rencontre à Nice le mari de Berthe, cet homme qui a fui sa femme et qui a accepté la condamnation du monde. L’orgie antique a passé par-là, la lèpre de Lesbos a gagné nos épouses. Adrien, épouvanté, rêve d’arracher Paule à ces hontes. Il décide M. de B…, à rentrer en France, à emmener sa femme d’un côté, pendant qu’il entraînera la sienne d’un autre. Mais Berthe ne lâche pas sa proie, elle rejoint sa compagne, et quand Adrien, plus tard, est appelé auprès de Paule, il la trouve mourante, d’une terrible maladie ; il ne peut plus que la venger en aidant le ciel à noyer Berthe, la fille aux yeux d’or que Balzac a entrevue dans un cauchemar.

Telle est l’œuvre. C’est une satire de Juvénal. Seulement, M. Belot est d’une chasteté extrême d’expressions. Il n’a point les verdeurs d’un poète. Il a le ton froid et clair du juge qui descend dans les monstruosités humaines et qui applique en honnête homme les éternelles lois du châtiment. Tout le monde peut le lire. C’est le procès-verbal d’un crime, c’est une audience de Cour d’assises, pendant laquelle toute la fange de notre société est étalée avec une telle sévérité de parole que personne ne songe à rougir.

Et la morale du livre est aveuglante. Lorsqu’Adrien tente le salut, la rédemption de Paule, elle lui dit avec des larmes dans la voix : « C’est le couvent qui m’a perdu, c’est cette vie commune avec des compagnes de mon âge. Dites aux mères de garder leurs enfants auprès d’elles et de ne pas le mettre à l’apprentissage du vice ».

Maintenant, que le public fasse à l’œuvre de Belot, le succès qu’il lui plaira. Elle est pour moi, un acte d’honneur et de courage.

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