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Michel Foucault et le désir

Publié le par Jean-Yves Alt

Michel Foucault a - dans son œuvre - très peu écrit directement sur l'homosexualité et, quand il en parle c'est, ou bien pour dire le contraire de ce qu'il est habituel de croire, ou bien pour réfléchir sur des formes de relations [l'amour grec des garçons, par exemple] qui, précisément, n'ont rien à voir avec ce que nous appelons aujourd'hui « l'homosexualité ». Il nous égare.

Le désir homosexuel est (ou a été) en effet souvent vécu à l'intérieur d'une histoire de sa répression : une oppression dont il s'agirait de se libérer. Dans ses écrits, Michel Foucault a renversé cette perspective : ce qui n'a pas toujours été bien compris. Il ne nie pas la répression, mais il en déplace complètement le sens.

Si l'on admet - historiquement c'est une hypothèse assez vraisemblable - qu'aux XVIIe et XVIIIe siècles les pratiques sexuelles entre hommes aient été relativement libres, il est alors facile et tentant de dire les choses simplement : après la liberté ou du moins une grande tolérance, s'abattent les rigueurs d'un XIXe siècle bourgeois, moraliste, puritain. La tâche serait maintenant de liquider ce sombre héritage, de briser toutes ces chaînes.

Foucault propose une autre lecture de cette hypothèse. Il n'y aurait pas avant une homosexualité acceptée, après une homosexualité brimée. Réprimer l'homosexualité c'est en même temps l'inventer.

Foucault lance l'idée qu'à « l'âge classique » existait un tissu très dense de relations sociales entre hommes. Ce temps partagé - travail, coopération, services, amusements - pouvait être traversé d'histoires où jouaient le désir et l'amour. Mais les limites demeuraient floues. Rien n'était alors tracé au cordeau. Sur ce domaine profus des amitiés aux mille figures, va s'opérer un travail de définition. La sexualité dans son ensemble va se voir constituée en domaine à part, objet de science ou de para-sciences médicales et psychiatriques, objet de codifications juridiques et de contrôles sociaux. Dans ce grand mouvement de redistribution, les amitiés masculines doivent aussi sortir de l'obscurité et pouvoir être nommées. Un lien trop étroit entre deux hommes devient suspect. L'homosexuel désormais existe. Il doit se reconnaître comme tel, même si, dans le moment où il avoue sa perversion, il est sommé d'y renoncer ou de s'en guérir. Mais voilà : il faut être quelque chose et s'identifier à un désir. Et cette obligation touche tout le monde : hommes et femmes, enfants et adultes, « normaux » et pervers. Chacun doit avouer où il est et se soumettre à la loi qui régit la case dans laquelle il est confiné.

Bref, sur la carte ancienne des plaisirs et des affects, on trace un nouveau continent : la sexualité, avec ses frontières, ses polices, ses passeports, ses lois. On y assujettit chaque individu. Loin donc d'être d'abord un refoulement du sexuel, l'opération consiste à classer, à nommer et à rendre visibles des conduites qui auparavant pouvaient se déployer à la fois silencieusement et obscurément.

L'originalité de Foucault c'est d'avoir saisi l'homosexualité (et la sexualité en général) comme un dispositif où le pouvoir s'empare du désir pour y fixer un sujet. Ayant identifié cette jonction, son mérite a été de nous aider à la défaire et à repérer ce qui y contribue : Non pas être homosexuels, mais être acharner à le devenir.

Ce « devenir-homosexuel » ne consiste-t-il pas à marcher dans le sens d'une disparition des identités sexuelles ?


Lire aussi sur ce blog :

- L’invention de l’homosexualité par Michel Foucault - Michel Foucault et l'archéologie des plaisirs - Michel Foucault et la sexualité - Michel Foucault : une histoire de la problématisation des comportements sexuels - Herculine Barbin, dite Alexina B, présenté par Michel Foucault - L'Occident et la vérité du sexe par Michel Foucault (1976)

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