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Querelle, un film de Rainer Werner Fassbinder (1978)

Publié le par Jean-Yves Alt

Le Vengeur vient d'accoster à Brest. Sur le pont, l'équipage s'affaire aux dernières tâches avant de descendre à terre. Parmi eux, Querelle, beau marin au pouvoir de séduction immense, qui ne laisse pas insensible son supérieur, le lieutenant Seblon.

Pénétrant à l'intérieur du bar-bordel le plus réputé du port, Querelle retrouve son frère Robert. D'étranges rapports de haine et d'amour lient les deux hommes. Fasciné par Lysiane, la maîtresse de Robert, Querelle doit cependant se soumettre au désir et aux fantasmes de Nono, le tenancier du bordel.

Ce film est un mythe cinématographique. "Querelle", l'histoire du matelot assassin si beau qu'il fait évanouir officiers et policiers, si lâche et si traître qu'il livre tous ses amis, intéressé par lui seul, mortel et sublime.

"Querelle", le roman le plus radical de l'histoire de la littérature. Avec sa mythologie si prolifique qu'elle est à elle seule une jungle. Non pas un roman sur l'homosexualité et le crime, mais le crime homosexuel comme roman et poème.

Relisant, pour la cinquième fois, ce texte redoutablement non-visuel, j'ai compris le choix, lisible dans les images, qu'a fait Fassbinder. Celui d'un Brest surréel, entièrement reconstitué en studio par le décorateur Rolf Zehetbauer : bateau de guerre (le «Vengeur» où sert Querelle), bar (la «Feria», le bordel où Querelle erra le soir), nature, remparts, citadelle, rues, tout est faux, jusqu'à ces tours en forme de phallus pointant vers un ciel rouge sombre.

On pardonnera à Fassbinder d'avoir écrit que "Querelle" n'est qu'une «histoire policière de troisième niveau», alors que la mécanique du récit policier y est au contraire d'une admirable précision, parce qu'il a compris le plus important : la nature mythique, sacrée, de ce Brest du crime entre trop beaux garçons.

"Querelle", chez Fassbinder, c'est Brad Davis, le béret au pompon crânement posé, connu aussi par le film "Midnight Express". Point jeune, car Querelle, quand commence le roman, a déjà plusieurs assassinats sur la conscience dont celui de Joachim, le pédé arménien de Beyrouth.

"Querelle", c'est aussi Madame Lysiane, la rêveuse et tendre patronne de «La Feria», du bordel de Brest, la seule femme du roman, coincée entre tous ces hommes secrètement pédés et trop virils. Lysiane, jouée par Jeanne Moreau, n'est pas un personnage réel. Elle est un mythe, le symbole de toute féminitude, la définition utopique de toute femme possible.

"Querelle", c'est encore le lieutenant Seblon, que joue Franco Nero, la folle virile et secrète, amoureuse du matelot Querelle, que ses folies de générosité, sa profonde complicité avec le voyou, perdront un jour.

"Querelle", c'est enfin Hanno Pöschl, qui joue Robert, le frère hétérosexuel de Querelle, le mac qui est le doublet du marin ; mais Fassbinder a choisi une ressemblance purement intérieure (Pöschl n'est en rien le sosie de Brad Davis) ; pour retrouver ce «double» (Robert-Querelle) qui hante le roman, Fassbinder a préféré faire jouer à Pöschl deux rôles à la fois, celui de Robert et celui de Gil, Gilbert Turko, l'assassin que Querelle entraîne dans ses filets jusqu'à le perdre.

Si, comme moi, vous avez pleuré, pendant votre adolescence, en lisant le "Querelle" de Jean Genet, je vous conseille de voir ou revoir le "Querelle" de Fassbinder.


Du même réalisateur : Le droit du plus fortBerlin Alexanderplatz


Lire aussi : Querelle de Brest de Jean Genet

Lire encore : Le film de R. W. Fassbinder vu par Renaud Camus

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