Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Les gens normaux : paroles lesbiennes gay bi trans, Hubert et un collectif de dessinateurs

Publié le par Jean-Yves Alt

Un ouvrage collectif constitué de dix récits scénarisés par Hubert qui a rencontré des lesbiennes, gay, bi et trans. « Les Gens normaux » parle de sexualité, de religion, de politique, de mode de vie, du sida, du mariage, d'homoparentalité, du rapport au corps…

Si cet ouvrage voulait traiter le plus largement et le plus complètement de la vie des personnes LGBT (ce que semble affirmer le sous-titre), ce n'est que partiellement réussi. Certes, il était difficile de balayer toutes les situations de vie de ces personnes. Mais les lesbiennes et les gays sont nettement favorisés dans cet inventaire.

Sur le mode de l'interview, les histoires racontées sont celles d'une réalité traduite par le moyen de la bande dessinée : un dessinateur différent (1) pour chaque interview. Le résultat est globalement éblouissant de véracité et émouvant. Pris dans la réalité de tous les jours, les individus qui apparaissent dans le champ racontent leur vie (2), même si elle n'est pas toujours directement et uniquement la leur. Humoristique, pudique et intelligente façon de démontrer que c'est autant le mode de vie que la particularité des partenaires qui font une vie.

Autre originalité, de cette enquête, est l'utilisation, comme repères d'interrogation des réponses faites, de textes réflexifs écrits par des auteurs reconnus : Florence Tamagne, Michelle Perrot, Eric Fassin, Louis-Georges Tin, Maxime Foerster.

Il y a Philippe et son histoire tragique de sida ; Astrid et Nolwen, un couple de filles avec enfant, qui refuse toute place au père biologique ; Farid qui vit une relation de « trouple » avec sa femme et son amant, lequel deviendra séropositif et avec qui il poursuivra des rapports non-protégés ; l'anticonformiste Anne-Marie, une mère qui est rassurée seulement quand sa fille arrive à se poser avec une compagne ; Virginie, bisexuelle, qui mène une vie libre avec les hommes ; Momo, demandeur d'asile venant de Guinée-Bissau, qui est harcelé par sa famille sous couvert des principes musulmans rejetant l'homosexualité ; Marc d'origine franco-tunisienne réceptif aux préceptes chrétiens qui est pacsé avec un homme que sa famille accepte ; il découvre qu'il n'y a pas de modèle de vie avec sa marraine qui entretient une relation avec son mari et une amie à eux.

Il y a encore Nicolas qui pose sans prêchi-prêcha la question du bareback, à la lumière de son vécu et des connaissances qu'il a (via l'association Aides) ; Sabhia, jeune femme d'origine algérienne, mère d'un enfant qu'elle a eu d'un homme déjà père, s'interroge sur le désir de maternité de sa compagne une fois installée avec elle ; Bénédicte, né garçon se vivant fille, raconte ses bouleversements et son opération catastrophique pour devenir ce qu'elle est : elle refuse les étiquettes de « trans » ou de « bi », son rêve est d'adopter un enfant.

Le scénariste Hubert ne s'est pas contenté de compiler les témoignages recueillis, les confidences reçues : il s'est faufilé dans les enquêtes par des commentaires parfois bienvenus, d'autres fois agaçants parce qu'il aurait pu mouiller un peu plus sa chemise sur certains sujets (place du père chez un couple de femmes, intervention narcissique). Il reste que cet ouvrage, qui aurait pu être titré en souvenir à Roland Barthes « Fragments d'un discours sur les sexualités », analyse au plus près la vie des personnes LGBT (2).

Il faut lire « Les gens normaux » du début jusqu'à la fin, et non grappiller des bribes d'interviews ici ou là. Tout est enchâssé avec les contributions plus théoriques dont certaines sont d'un accès assez difficile mais qui essaient d'ouvrir de nouvelles perspectives.

« Les gens normaux » est non pas un traité du savoir-vivre LGBT mais un bel essai sur l'amour qui se profile derrière les paroles des uns et des autres à la surface des mots, dans l'éclatement des vécus, les paroles de joies, celles de la crainte et du désespoir…

Un regret, important, est le quasi anonymat des personnes interviewées (8 sur 10) ce qui est surprenant (et interroge…) au regard du projet de ce livre…

« Les gens normaux » dit cette quête de l'amour : chaque scénario tente de dévoiler que chacun n'est pas mieux que tous les autres humains mais que les personnes LGBT sont comme tout le monde.

« Que vivent nos amours » aurait encore pu être un titre pour ce livre que chaque CDI des lycées devrait se procurer.

■ Les gens normaux : Hubert (scénariste), Collectif de dessinateurs, octobre 2013, éditions Casterman, Collection : Ecritures, 229 pages, ISBN : 978-2203077249

(1) Alexis Dormal, Audrey Spiry, Freddy Martin, Freddy Nadolny Poustochkine, Jeromeuh, Merwan, Natacha Sicaud, Simon Hureau, Virginie Augustin, Zanzim.

(2) on devine parfois que les personnes donnent une version fictionnelle de leur histoire, parce que les difficultés rencontrées les ont habituées à la raconter ainsi.


Lire aussi la chronique de Lionel Labosse sur son site altersexualite.com

Commenter cet article