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Les maîtres du monde, Gilles Leroy

Publié le par Jean-Yves Alt

Les mots n'auraient-ils été inventés que pour exprimer l'amour ? Comme l'amour ne semble devoir exister que pour nourrir les romans. Le sentiment amoureux demeure un aiguillon puissant de la vie comme de l'écriture. D'Ovide à Stendhal, de Flaubert à Proust et aux romanciers contemporains, la littérature n'a cessé d'y rechercher son lot de tragédies, de rêves impossibles et de drames incertains.

David, le narrateur de Gilles Leroy, se pose d'emblée la question : « Pourquoi j'ai délibéré d'assujettir mes pas aux pas d'un autre et de m'y enchaîner ? » Ce faisant, il a tressé un lien absolu, inaltérable qui durera vingt ans, jusqu'à la mort de Lucas, l'aimé, entre totale incompréhension et obscure complicité. Vingt ans au cours desquels David et Lucas auront établi, dans une intimité douteuse, une sorte d'alliance mystérieuse.

Trop de désir, d'attente et de désespoir du côté de David, qui sait pourtant, d'expérience, que Lucas peut rendre belle la vie.

Trop d'exigences, de caprices et d'impatience du côté de Lucas, l'adolescent aux cheveux rouges et aux yeux gris, aux regards équivoques, à la beauté tapageuse pour lequel David a eu un coup de foudre dès la première rencontre, et qui parvient avec malice à faire en sorte que quand ça ne va pas bien, ça aille encore plus mal.

Les maîtres du monde, Gilles Leroy

A travers la description de Lucas, le lecteur comprend facilement ce qui fait flasher David puisqu'il flashe lui-même, dès les premières lignes. En revanche, la fascination de Lucas qui s'exercera jusqu'à la fin, malgré son attitude toujours provocante, cabrée, souvent évasive, insouciante, est plus subtile. Est-ce David lui-même qui la suscite, avec son corps comme une farce – selon ses propres dires –, qui aime sans partage, désire avec délire et laisse l'aimé décider de sa vie jusqu'à suivre des études de philosophie, alors qu'il se destinait à la médecine ? Ou est-ce l'étrange univers familial de bourgeois nantis, dans lequel est né et vit ce même David ? Un monde hanté par une mère, Catherine dite Castro, et, par Léo, un chirurgien mondain qui s'acharne sur le bec-de-lièvre de son fils Joy, demi-frère de David, enfant monstrueux mais adolescent assez pervers pour partager le lit et les fous rires, le bonheur et la mort de Lucas.

Ultime trahison de l'aimé écrite sans complaisance, souvent avec férocité et violence, dans un style pur et direct.

■ Les maîtres du monde, Gilles Leroy, Éditions Mercure de France, 1996, 251 pages, ISBN : 9782715219533


Du même auteur : Champsecret - Maman est morte - Les derniers seront les premiers - Madame X

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