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Point de côté, Anne Percin

Publié le par Jean-Yves Alt

Si ce roman était un tableau, il serait le Voyageur contemplant une mer de nuages de Caspar David Friedrich.

Journal d'un adolescent qui parle du corps comme on en parle rarement et pourtant d'une manière si naturelle comme si on en avait toujours parlé ainsi.

Ce corps, c'est celui de Pierre Mouron qui vit – seul – avec sa douleur, depuis la mort de son frère jumeau dans un accident de voiture. C'est pourquoi, il a décidé, qu'à son vingtième anniversaire (dix ans après l'accident), il se donnerait – finalement – la mort. Cette « sortie », il la prépare activement en courant. Il souhaite épuiser son corps pour ne pas lui donner la moindre chance d'en réchapper. Courir et ne plus manger, unique moyen que Pierre a trouvé pour s'alléger de son fardeau, que ses parents, si aimants soient-ils, ne voient pas, tant ils sont englués dans leurs propres tourments.

Alors que Pierre passait jusque-là pour « transparent » aux yeux des autres, (quand il n'était pas rudement malmené par ses copains ; seul, Xavier entretiendra jusqu'au bout avec lui une curieuse relation faite d'attirance [homosexuelle ?] et d'évitement), la transformation de son corps va le conduire vers des rives nouvelles : la découverte qu'il y a toujours quelque chose d'agréable dans la vie à ressentir… permettant à la douleur d'être posée. Ce sera l’apprentissage du violon, la rencontre avec Myriam et surtout Geneviève, deux copines du lycée (il aura son premier rapport sexuel avec la seconde). Et aussi celle avec Raphaël Malher, un pianiste-photographe, ami de son professeur de violon.

Raphaël Malher, Pierre le définit en – termes mathématiques – «comme une variable indépendante». La «variable de la fonction P» [P=Pierre] (p.117). Il va lui permettre de quitter sa position d'emballement qu'il a imposée à son corps. Il va lui permettre de regarder aussi tout ce qu'il y a à côté et pas seulement son objectif destructeur :

« Et puis, dans la nuit, on est rentrés. Il m'a déposé près de chez moi. Pas tout à fait devant... Au moment de nous séparer, il a enroulé autour de mon cou le tissu indien qu'il porte en écharpe devant pour rouler. Ça sentait lui. Je voudrais croire que je l'ai embrassé, mais non. Je pleurais, presque sans m'en rendre compte. C'est tellement plus rare que ça a plus de prix. Je lui ai promis de changer. Je veux vivre, maintenant. Si Raphaël existe sur Terre, ça vaut le coup de vivre. » (p.124)

Raphaël Malher permet aussi à Pierre de se découvrir homosexuel :

« Mais quand j'ai décroché hier, quand Raphaël a prononcé mon prénom, on aurait dit que je ne l'avais jamais entendu avant, que personne sur Terre ne le portait. Quand il dit Pierre, mon cœur coule. » (p.119)

J'aime beaucoup le titre donné à cet ouvrage. « Point de côté ». Il fait bien sûr référence à la douleur abdominale qui oblige à abandonner une course, celle que Pierre s'inflige sans retenue. Mais aussi à cette absence de distance que Pierre prend – depuis la mort de son frère – avec cet événement perturbant. Il faut parfois se mettre de côté pour mieux comprendre ce qui nous arrive, s'arrêter… c'est une voie contraire que Pierre choisit. Pour lui, il est hors de question de s'autoriser une pause/pose : pour lui, il n'existe point de côté. Se tenir toujours en face. Seul.

L'écriture d'Anne Percin interroge le lecteur à travers la chair de Pierre. Une belle perception du corps. Comment ne pas voir sous mes yeux, cet adolescent qui souffre dans son corps ? Quand l'auteure remonte le temps jusqu'à la scène traumatisante de l'accident (p.32), je ressens le même mal au ventre que celui de Pierre.

Je me suis senti si proche de ce garçon que j'ai eu – tout au long de ma lecture – la sensation de le « toucher » : j'ai deviné, peu à peu, que les mots, que Pierre déposait dans son journal, avaient aussi le pouvoir de le soigner.

Anne Percin fait plus que montrer, elle prouve avec sensibilité que les mots peuvent, dans la littérature jeunesse, donner à toucher les corps sans entrer jamais dans la médiocrité.

■ Point de côté, Anne Percin, Editions Thierry Magnier, 2006, ISBN : 2844204864


Lire aussi une analyse de Lionel Labosse


D'Anne Percin : L’âge d’ange - Bonheur fantôme

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