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Révolte chez les sodomites : Les enfants de Sodome à l'Assemblée nationale (1790)

Publié le par Jean-Yves Alt

Sans les pamphlets, on aurait pu croire que les sodomites avaient été absents du débat révolutionnaire, continuant à draguer aux Tuileries pendant que la foule s'agitait.

L'un d'eux, Les enfants de Sodome à l'Assemblée nationale fait partie de la guerre de libelle qui se déroule pendant la tenue des Etats généraux.

Son contenu : Prenant à la lettre la devise du chevalier Florian, les goûts sont dans la nature, le meilleur est celui qu'on a, les bougres décident de convoquer une assemblée générale de l'ordre, sous les marronniers des Tuileries, afin de régler la députation qui devait, à l'Assemblée nationale, demander la parole et faire passer dans la constitution les statuts de l'ordre. Ils sont interrompus par l'arrivée inopinée de la fameuse Tabouret, illustre prétendante à tous les honneurs de la sodomie, bizarrement présentée comme l'égérie des femelles de la Manchette et des tribades ! Pour la faire taire, on la nomme chevalière de l'ordre, et on passe à la nomination d'un bureau élu non par tête, mais par cul.

Suivent les discours des élus M. l'abbé Viennet puis M. De Noailles, qui déclare notamment que l'antiphysique sera une science connue et enseignée dans toutes les classes de la société, alors que jusqu'à présent l'ignorance des siècles l'avait fait envisager comme un jeu illicite de la lubricité. Il s'agit d'anéantir jusqu'au moindre vestige des préjugés, qui, de tout temps, se sont efforcés de nous détruire et ont fait, dans l'ordre, des martyrs dont nous regretterons à jamais la perte.

Suit un hommage à la sodomie sous toutes ses formes, que l'orateur prétend avoir pratiquée en précurseur. Il en vient alors à l'objet de la réunion : ériger les principes débattus par l'assemblée en proposition de loi pour les faire connaître et respecter sur la terre des Francs et probablement en faire adopter la constitution à l'Assemblée nationale parmi laquelle nous comptons tant des nôtres.

L'ordre de la Manchette et tous les chevaliers décrètent donc en sept articles qu'au nom des droits de l'homme, il sera permis à tout chevalier de la Manchette d'user de sa personne. Que ladite chevalerie pourra prononcer des exclusions pour les contrevenants, quoique toute personne puisse quitter son ordre tout comme il sera libre à tout individu d'embrasser le parti des chevaliers de la Manchette. A cette déclaration de libre disposition de son corps style 1789, s'ajoutaient deux paragraphes concernant les maladies vénériennes (notamment la syphilis qu'on ne sait pas guérir), avec notamment l'injonction de soigner la blennorragie qui faisait tant souffrir, ainsi que la demande d'impression d'un traité élémentaire de l'antiphysique et le partage de l'ordre en partie civile, législative et militaire. Vœu est fait d'imprimer aussi ces sept articles et de les placarder aux Tuileries et au Luxembourg, lieux de rencontre des pédérastes.

Bien entendu, l'origine de ce pamphlet est inconnu. Qui l'a écrit. Restif de la Bretonne ? Mirabeau ? On voit mal quelles auraient été leurs motivations. De plus, à qui peut nuire le pamphlet ? S'il avait voulu porter atteinte à l'Assemblée, il aurait été moins précis sur la vie des sodomites et plus graveleux sur celle des constitutionnels, quitte à les diffamer.

Or, rien de cela, d'autant qu'à l'époque, le sexe, on l'a vu, n'avait rien de scandaleux au sens où nous l'entendons encore aujourd'hui.

On pourrait avancer que ce pamphlet profite avant tout d'une situation de liberté, qu'il s'inscrit dans le flot de licence apporté par la vague révolutionnaire. Son objet est plus de dire que de dénoncer. Il a pu être écrit autant par quelqu'un qui désirait dénigrer les sodomites que par un partisan de l'ordre de la Manchette. Il reste que l'auteur est très renseigné sur la vie des infâmes parisiens de l'époque. Il connaît les lieux de rencontre, les grandes figures, et sa liste finale, sans être exhaustive, est bien renseignée.

A-t-on affaire à un policier de l'ancienne patrouille de pédérastie bien au fait du milieu ? Dans ce cas, il aurait beaucoup d'humour ! Finalement, l'origine du pamphlet a peu d'importance. Plus passionnant est ce qu'il révèle à travers cette parodie d'institutionnalisation du vice.

Sous la caricature des revendications transperce en effet l'idée d'un monde où d'autres valeurs pourraient prendre place. La possibilité d'une gestion politique du sexe. Les réformateurs du Code pénal ne pouvaient l'ignorer.


A lire : Les enfans de Sodome à l'assemblée nationale [1790], Anonyme, éditions GayKitschcamp, mars 2005, ISBN : 2908050609


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