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Psychiatrie et catholiscisme de J. H. Vanderveldt et R. P. Odenwald par Serge Talbot

Publié le par Jean-Yves Alt

Cet ouvrage de 600 pages, édité par la maison Mame et publié avec l'Imprimatur de Mgr l'Archevêque de Tours, est destiné à faire connaître aux parents, aux éducateurs, aux époux et aux prêtres les découvertes de la psychologie des profondeurs.

On peut s'étonner que l'on ait attendu si longtemps à les informer, alors que dès 1936, un catholique éminent, Roland Dalbiez, thomiste convaincu, dans sa thèse sur « la méthode psychanalytique et la doctrine freudienne » avait traduit le freudisme dans le langage scolastique, et que, depuis onze ans, dans la revue Psyché, Maryse Choisy, convertie à un catholicisme strict (« Me voici sans seins dans le Saint des Saints ») et entourée d'une équipe remarquable de psychiatres, rend accessible à tout homme cultivé les différents courants de la psychanalyse. En fait, la présente publication répond à l'intérêt manifesté depuis quelques années par le Pape aux principes et aux pratiques de la psychiatrie. Disons tout d'abord que nous nous en réjouissons, soit que certains puissent voir là un espoir – à vrai dire bien lointain – d'un changement complet d'attitude de l'Eglise à notre égard, soit, tout simplement, parce que nous savons tous quels drames provoque journellement l'ignorance de ces questions chez ceux qui par leur vocation, sont placés devant certains cas de conscience particulièrement délicats et douloureux.

La compétence et la bonne volonté des auteurs sont dignes de la tâche qui leur est confiée. Cependant il me semble que c'est une erreur d'emprunter à l'étranger un ouvrage de vulgarisation ou alors il ne faut pas se contenter de le traduire, il faut l'adapter à son nouveau public. Ce livre-ci a été fait pour des lecteurs américains dont la culture est différente de la nôtre, et qu'aucun enseignement philosophique n'a familiarisés avec les notions de personne, de conscience, de responsabilité. De là des longueurs. Par contre les Américains connaissent mieux que nous les travaux de Moreno, des behavioristes ou de l'école de Chicago. De là (pour le lecteur français) des obscurités. Enfin, et c'est le plus grave, la bibliographie manque son but essentiel en indiquant presque uniquement des ouvrages écrits en anglais. Tel qu'il est, ce livre marque une date importante : celle de la collaboration entre le psychiatre et le pasteur d'âmes.

Que nos amis, pourtant ne se réjouissent pas trop vite. La thèse de Fabrizio Lupo n'est pas près de triompher : « L'Eglise, disent nettement les auteurs, refuse d'admettre que la loi défendant les actions impures – pour employer un terme bien passé de mode – soit une simple loi humaine ; elle croit que de telles actions sont défendues par la Loi Divine et que Dieu doit être obéi : dura lex, sed lex ».

On condamne la thérapeutique de non-direction, de Rogers, méthode anti-autoritariste et centrée sur le client qui laisse à celui-ci la responsabilité de son propre réajustement.

On condamne la thèse freudienne qui fait de l'homme un animal bisexuel. On ne consacre que quelques lignes au Rapport Kinsey. On expose la psychanalyse existentielle de Viktor Frankl, mais on passe sous silence celle de J. P. Sartre. Ce freudisme des familles risque fort de tourner assez vite à la falsification du freudisme. La psychologie moderne n'a pu se constituer comme science qu'en n'admettant que ce qui est rigoureusement établi ; qu'en recherchant la vérité seule, qu'en bannissant toute croyance sentimentale, tout système moral posés à priori : « Des trois forces qui peuvent contester la position de la science, disait Freud, la religion est en vérité, l'ennemi sérieux ».

Si le savant doit, selon nous, écarter tout système métaphysique, le prêtre, lui, a intérêt à connaître les résultats de la science. Ici, nous sommes d'accord avec les auteurs : jadis, on affirmait aux homosexuels « que la meilleure façon pour eux de se guérir serait de se marier. Aucun médecin, aujourd'hui, ne ferait une telle recommandation, les prêtres feront bien de suivre cet exemple. »

Qu'apprennent donc aux prêtres les auteurs dans les vingt pages consacrées à ce sujet ?

L'homosexualité serait la cause de la décadence de certains pays de l'antiquité (ce qui est faux) : l'uranisme s'épanouit non aux périodes de décadence, mais comme l'a noté André Gide, aux époques glorieuses et saines, aux époques où l'art est le plus riche. Mais poursuivons notre lecture. Kinsey croit qu'aux Etats-Unis, 6,3 % du nombre total des orgasmes proviennent de réactions homosexuelles. Les homosexuels sont en général des introvertis dont les troubles sont dus à la répression des conventions sociales établies. « Il semble qu'ils aient fourni à la littérature et aux arts une part plus grande que les autres. »

On passe ensuite à l'étiologie de l'homosexualité et l'on étudie tour à tour la théorie biologique et la théorie freudienne de la bisexualité. A l'appui de la première on dit que Hirschfeld et quelques autres ont remarqué que l'homosexualité est parfois décelée chez plusieurs membres de la même famille, voire chez le père et le fils. Et de récentes observations faites sur des jumeaux ont montré que, si l'un des deux est homosexuel, l'autre l'est presque toujours.

Un paragraphe est consacré à la théorie hormonale, selon laquelle les tendances homosexuelles sont dues à une prépondérance relative des hormones du sexe opposé. Selon les auteurs, aucune de ces trois théories n'est appuyée sur des preuves concluantes.

La théorie psychologique est-elle plus satisfaisante ? Selon Freud, l'homme est bisexuel, et l'homosexuel est celui qui refoule la tendance hétérosexuelle de sa personnalité. Pourquoi cette répression ? Freud insiste sur le complexe de castration : « Quand on s'aperçoit qu'un petit garçon joue avec son pénis, on le gronde, on le punit, on va jusqu'à le menacer de le lui couper. La peur d'une mutilation peut porter alors l'enfant à attribuer à cet organe une valeur excessive et, par déduction à mépriser les filles qui en sont privées.

Un autre facteur présenté par Freud est l'idée de fixation sur la mère. « Certains enfants peuvent être à ce point attachés à leur mère qu'il ne reste plus guère de place dans leur cœur pour les autres femmes. » Les auteurs concluent en suggérant un compromis entre la théorie constitutionnelle et la théorie de l'entourage dans l'étiologie de l'homosexualité.

Tout en refusant d'admettre avec Hirschfeld que l'homosexualité soit absolument incurable, ils sont obligés de constater que « les résultats par la physiothérapie dans le traitement des homosexuels sont assez faibles ». Quelques psychanalystes comme Stekel (et Freud lui-même qu'oublient ici nos auteurs !) se contentent de ramener l'individu à son stade bisexuel qui est, d'après eux la condition normale de tout homme. « Dans bien des cas, tout ce que peut faire la psychothérapie est de faire retrouver à l'individu son équilibre mental, sans parvenir pour cela à faire de lui un hétérosexuel. »

On s'attendrait alors à ce que nos auteurs conviennent comme Hirschfeld que tout ce qu'ils ont à offrir aux homosexuels est de leur conseiller de continuer, tout en évitant à la fois les rigueurs de la loi et l'ostracisme social. Mais pas du tout ! « Si un homosexuel ne peut être transformé en hétérosexuel, il est de son devoir de se résigner à une vie asexuelle. Ce n'est pas là demander l'impossible, puisqu'un nombre infini d'hétérosexuels vivent ainsi. » C'est la thèse de Marcel Guersant dans Jean-Paul.

Pourtant le prêtre doit écouter les homosexuels avec une sympathie compréhensive : « Rien ne justifie qu'on les considère comme faisait partie d'une catégorie de dépravés et de dégénérés. » (Cela nous change brusquement des injures dont nous abreuvent parfois des gens qui se croient « avancés » comme les surréalistes !)

Mais nos auteurs posent la question de savoir « si la castration est permise dans l'espoir d'une guérison de l'homosexualité ». Voyez où cela conduit d'attribuer à cet organe la valeur excessive dont parle Freud ! Ils doutent que cette opération soit licite parce que le caractère organique de l'homosexualité chez un individu ne peut être prouvé.

Ils reconnaissent qu'en général la société n'est pas très équitable envers les homosexuels. Mais il n'y a pas de raison, selon eux, de combattre les lois établies (en Amérique !) contre l'homosexualité. « Néanmoins, comme de nombreux auteurs sont de plus en plus portés à le croire, ces lois doivent être modifiées, le législateur devant considérer que nombre d'homosexuels délinquants devraient être traités au même titre que des malades mentaux, et pour cette raison, envoyés plutôt à l'hôpital, qu'en prison. »

Il faut reconnaître que dans une perspective catholique, l'ouvrage est sympathique et plein d'intérêt. Peut-il nous satisfaire ? Disons-le nettement : non.

1° Les homosexuels ne sont ni des malades ni des pécheurs. Ils n'ont pas choisi leur condition. L'homosexualité fait partie de ce que les existentialistes appellent la situation, c'est-à-dire, notre condition naturelle dans l'espace et dans le temps. Si j'ai des cheveux roux, si je suis homosexuel, si je suis noir dans un pays raciste, si je suis juif en Allemagne hitlérienne, je dois prendre sur moi cette situation, je dois l'assumer, c'est sur elle que s'engrène ma liberté. Toute expérience doit se vivre dans l'authenticité, non dans la mauvaise foi et dans la honte. C'est la marque d'une grande injustice sociale que l'homosexuel, comme le bâtard, se sente parfois coupable d'exister.

2° Les homosexuels ne demandent pas la pitié, mais la reconnaissance de leur condition quand ils l'assument avec dignité. C'est avec les animaux, qu'il convient d'être bon...

3° Maintenant, si c'est une faute de réclamer le droit au bonheur (droit limité seulement par les droits d'autrui), oui, cette faute les homosexuels, la commettent. Une souffrance, comme l'abstention sexuelle, n'est concevable, que si elle contribue au bonheur d'autres êtres. Or, celle que vous leur demandez est un sacrifice inutile. Toute la sexualité, d'ailleurs, ne peut se sublimer : voyez la VIIIe Etude de Psychologie Sexuelle d'Havelock Ellis. Et notre époque accepte de moins en moins les souffrances stériles. Jadis les époux mal assortis se résignaient à mener une vie de martyre. Aujourd'hui ils divorcent, et refont leur vie. Jadis, les homosexuels acceptaient souvent la triste vie asexuelle que vous leur proposez, certains entraient dans les Ordres – comme les amoureuses déçues se réfugiaient au couvent. Aujourd'hui, les homosexuels cherchent, comme tout le monde, la part de bonheur à laquelle ils ont droit sur cette terre, en espérant, s'ils sont croyants, que s'ils ont fait un peu de bien, s'ils ont été justes, s'ils ont été tolérants, le Dieu, qui les a faits ce qu'ils sont, et qui est un Dieu d'Amour, leur ouvrira quand même la porte de son Paradis.

Psychiatrie et catholiscisme de J. H. Vanderveldt et R. P. Odenwald, Éditions Mame, Collection Siècle et catholicisme, 1954, 602 pages

Arcadie n°27, Serge Talbot (Paul Hillairet), mars 1956, pp. 36 à 39

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