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L'étoile rubis, René de Ceccatty

Publié le par Jean-Yves Alt

Oyoné, le narrateur, n'a de passé que le souvenir d'un théâtre où il évitait déjà la réalité de la vie et une aventure de deux nuits, dix-huit ans auparavant, avec un homme, Stéphane, qu'il rencontre aujourd'hui dans le couloir du train et avec qui il partage, incognito, une troisième et ultime nuit.

Stéphane est un homme mûr ; Oyoné a trente-six ans. Stéphane raconte à son voisin le récent événement de sa propre vie : un fils de vingt ans brusquement retrouvé. L'histoire apparente se déroule en quelques heures. Celle enfouie est sans limites.

Stéphane ignore que l'inconnu sur l'autre couchette, à portée de main et de sexe, est son ancien amant à qui il avait crié dans le plaisir, il y a dix-huit ans, les mots éternels : « Je t'aime ». Oyoné, pensionnaire d'une maison close, en voyage professionnel avec d'autres putains des deux sexes, effleure le corps de Stéphane mais garde le secret. Dans le bordel, il a appris que les outrances de la jouissance ne révèlent pas davantage le mystère de la passion.

Qui est cet Oyoné-putain qui vit replié sur le passé, se prêtant avec beaucoup de professionnalisme aux exigences de ses clients ? Oyoné profite du voyage en Italie pour récupérer un manuscrit : « L'enfant unique », comme Stéphane a récupéré son fils unique. Dix-huit ans après, le livre avorté indiquerait une piste quant à ce passé clos comme la maison où Oyoné vend son corps.

La maison close pourrait être une maison d'édition ; le voyage en Italie un de ces symposiums littéraires où les auteurs se prostituent et s'épient. Écrivains, attachés de presse, directeurs littéraires, s'agiteraient dans ce bordel où le jeu des influences et des copinages tisse un réseau qui n'a rien à voir avec la littérature, mais où le nombre et la fidélité des clients (les lecteurs) restent en définitive le seul pouvoir aléatoire des auteurs-putains concurrents. L'écrivain se prostitue certes, mais il est consentant, délivré du futur et de l'éphémère, dans ce qui fait le prestige de la maison close : la répétition infinie des mêmes infinis fantasmes.

L'étoile rubis c'est le signal rouge du bordel, au-dessus d'une porte étroite qui ouvre sur l'illusion de l'absolu. Le sexe hors du cadre social berce dans ses supercheries. Le bordel c'est le temps clos du livre où chacun croit lire sa survie. En ce sens, « "L'étoile rubis" » est un hommage à l'écriture où le romancier interroge l'univers romanesque, les lieux de passage où se glisse l'imaginaire.

L'étoile rubis c'est aussi le rouge du téton – incandescence de la passion charnelle – qui émerge parmi les poils blonds de l'homme jadis aimé : « L'étoile rubis de son sein est dans un taillis d'or. »

L'homme tant aimé a disparu sans mourir ; il a été redonné furtivement par le sommeil, dans un train de rêve. L'autre que nous aimons existe-t-il ? Ne serait-il pas, comme dans le trompe-l'œil du bordel, une putain consciencieuse, embauchée par la vie, qui vend l'illusion du bonheur ?

■ L'étoile rubis, René de Ceccatty, Éditions Julliard, 1990, ISBN : 2260007600


Du même auteur : Une fin - L'extrémité du monde - L'or et la poussière - Esther - La princesse qui aimait les chenilles - Babel des mers - Violette Leduc, éloge de la bâtarde

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