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Véréna et les hommes, Hugo Marsan

Publié le par Jean-Yves Alt

Romancier et dramaturge, Marcel Merson a eu son heure de gloire. Il a aussi vécu le parfait amour avec Lucien, bien plus jeune que lui… Mais Lucien est parti avec Virginie, devenant le meilleur souvenir de Marcel. Ce dernier est entouré d'une petite cour, des amis qui se réunissent chez lui chaque semaine.

« Ecrivain volubile, cynique, toujours moqueur, acrobate narquois qui se balançait entre deux phrases antagonistes, Marcel, aimé et détesté, avait réponse à tout, analysait vos problèmes avec la jouissance sadique d'un chirurgien. » A ses amis, il joue donc un numéro bien rodé, mais tout cela a ses limites : c'est pourquoi Marcel décide de se retirer à Belle-Île, afin de se mettre à l'épreuve de la solitude. Charles Souane fait partie du groupe. Depuis la mort de sa femme, il vit seul à Paris, arpentant chaque jour les rues de son quartier, jusqu'au Sacré-Cœur. Mais depuis quelques jours, les déambulations de Charles ont un but. Il a été abordé par Véréna. Au premier regard, Charles a été bouleversé par sa beauté. Ils ont pris un café, elle l'a convié au Melancholia, une boîte miteuse de Pigalle où elle chante et fait un numéro de strip-tease… et Charles est tombé fou amoureux d'elle !

Autre membre du clan : Robert Sinloup. Sa femme Judith le délaisse pour des amants de passage. Cela ne trouble guère Robert qui traduit « La Recherche du temps perdu » en norvégien. Il écrit à Marcel et lui raconte la rencontre bouleversante qu'il vient de faire à la piscine, avec Jérémie, un jeune garçon autiste… Quand au terme des quatre mois de solitude que Marcel Merson s'est imposé, toute la petite troupe débarque à Belle-Île, rien ne se passe comme prévu : les couples se font et se défont. Le désir circule. Et la sulfureuse Véréna va tout faire basculer…

C’est un roman sur les relations qu'ont les êtres entre eux et sur le sentiment que l'on a toujours du manque.

Ce roman s'enracine dans le personnel, dans l'intime, dans le fondamental. Il ne se limite pas à l'histoire d'une personne isolée. Au contraire les personnages sont nombreux : Marcel, Judith, Charles, Amilcar, Ludovic, Lucien, Virginie, Jérémie, Véréna, Octave, Clothilde, Julie … : la liste est longue. D’où une narration complexe (sous plusieurs formes, à plusieurs voix et non chronologique) adaptée à la « personnalité » de chaque personnage : par exemples

■ Un monologue-journal, pour Marcel Merson (dramaturge tyrannique vieillissant), puisque c'est la solitude. Réfugié à Belle-Île (lieu découvert quinze ans plus tôt avec Lucien, son unique amour dans le souvenir duquel il ne cesse de vivre), calfeutré derrière un « rempart d’habitudes » qu’il s’est bâti pour repousser la peur de la mort qui s’approche et le hante, Merson nage, s’épuise en promenades, goûte au silence et revisite, à travers le carnet qu’il tient, son passé.

■ Des lettres, pour Robert Saint Loup, (le traducteur de « La Recherche du temps perdu ») qu’il adresse à Marcel Merson, puisque abandonné » par sa femme … il va rechercher dans sa propre écriture (qu’il aimerait bien faire partager) … à comprendre ce qui lui arrive : « feux incestueux » et vieux désir de paternité.

■ Des dialogues complètement insérés dans le récit. -- Des dialogues de forme plus classique, au début du roman pour présenter, par une mise en scène, quelques personnages.

■ Des petits romans dans le roman comme celui écrit par Marcel.

… Elle (Véréna) avait senti que la réunion des amis à Belle-île était sa cérémonie des adieux. Cela lui avait été confirmé lorsque Marcel lui eut confié une enveloppe… J’(Marcel)ai commencé un roman, lui avait-il dit avec gravité. Il aurait relaté ma dernière semaine dans l'île, à partir du jour où vous êtes venus me rejoindre, tous les six… Ça commence comme un journal, avait-il ajouté précipitamment, mais très vite ça devient un vrai roman, écrit à la troisième personne. Moi aussi, je me regarde comme un personnage. J'ai su très vite que je ne terminerai pas le récit. Il s'arrête au moment où je vous le remets. Vous le donnerez à Lucien… page 163

Avec de nombreuses références (tant sur le fond que sur la forme), puisées dans ses précédents romans ainsi que dans différentes œuvres du patrimoine littéraire (Marcel Proust, Pier Paolo Pasolini), Hugo Marsan livre là un vibrant hommage à la littérature. (On peut lire néanmoins «Véréna et les …» sans connaître les autres romans de l’auteur même si cela apporte un plus.)

Il est difficile de dire quel est le personnage central de ce roman : Véréna ? [être double s’il en est («ni homme ni femme»), prostituée le jour, chanteuse et strip-teaseuse la nuit au « Mélancholia»], Jérémie ? Marcel ? Les autres sont des repères, des échos, des correspondances, quelquefois même pour représenter des modes de vie différents. Les arrière-plans des individus sont fascinants. Ils permettent de découvrir leur côté « flou », « trouble », « qui ne se laisse pas enfermé dans un rôle ».Tous ces personnages sont toujours placés dans l’obligation de choisir : il n'est pas possible de tout vivre. L’obligation de choisir, est aussi vrai pour l’identité sexuelle, notamment celle de Véréna (notamment les pages 118 à 121 pour Véréna), mais pas seulement pour elle : c’est un choix, mais un choix qui enlève tout le reste. Alors chacun essaie de s'arranger, de l'enlever plus ou moins.

Les personnages de Véréna et de Jérémie sont à la fois profondément ancrés dans la réalité et représentent aussi des sortes de « fantômes ». Ils sont là pour révéler aux autres des aspects inquiétants de leur vie, c'est un peu le système du film de Pasolini, Théorème : ils sont là pour appuyer sur des questions qui n'ont pas eu de réponse. Véréna révèle ainsi à Charles qu'il aurait pu aimer les hommes, et à Amilcar qu'il pourrait avoir des désirs de femme. Jérémie, lui, représente l'absolu de l'incommunicabilité, et c'est justement lui qui suscite le plus grand amour.

Le lecteur est entraîné toujours plus loin dans les abîmes de l’âme humaine. Chaque personnage semble ainsi hanté par un fort sentiment d'échec et une certaine fatalité de la vie ... chacun s’efforçant de s’abriter des vicissitudes du temps et de l’amour. Ce sentiment d’échec est sans doute accentué par la lecture même, un acte de solitude hors du temps, mettant en valeur certainement les éléments qui me font, moi-même, un peu peur.

Un livre superbe sur la mort, la vieillesse, l’amour, l’écriture, et tapie derrière ces quatre-là, la solitude, régnant en maître, que Marcel Merson, adulé et entouré, ne fuit même plus.

Un roman vrai, peu ou pas relayé par les médias. Dommage. À lire absolument.

■ Véréna et les hommes, Hugo Marsan, Mercure de France, 2004, 220p., ISBN : 2715225105


Du même auteur : Monsieur désire - Le balcon d'Angelo - La troisième femme - Le labyrinthe au coucher du soleil - Véréna et les hommes - Saint-Pierre-des-Corps - La femme sandwich - Les absents

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