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Le balcon d'Angelo, Hugo Marsan

Publié le par Jean-Yves Alt

Quelle est la singularité de la distance qui s'érige entre un écrivain et son objet ? Telle est l’interrogation fondamentale suscitée par Hugo Marsan dans ce roman. Œuvre sur les modalités de l'écriture qui enseignent sur ce que la vie gagne à devenir imaginaire.

De quelle nature est la distance qui sépare un écrivain de ce qu'il désire écrire ? De quelle sorte singulière d'espace s'agit-il ? C'est une dimension éminemment fluide et courbe, traîtresse et indéfinissable ; plus qu'une dimension, à vrai dire, c'est une expérience : chaque fois que l'auteur s'empare du stylo, l'objet s'éloigne, s'amplifie, change de contours, multiplie les frontières.

Le romancier s'en remet à la mémoire de l'ordinateur qui ronfle doucement et engloutit les urgences de la vie et du désir. C'est en ces termes que l'auteur s'interroge sur l'écriture qui déjoue les pièges du souvenir, tente de conjurer le destin imbriqué des défaillances du cœur et de la peur d'en finir avec les mots.

La réussite d'une écriture est de ne pas craindre d'avouer ses artifices, ses lacunes, ses ignorances pour mieux indiquer peut-être ce que la vie gagne à devenir imaginaire. Le souvenir ici fait surface et entraîne écrivain et lecteur à sa suite dans les labyrinthes de la mémoire.

La mémoire n'est pas qu'une commémoration d'un passé fixe : elle est surtout une matière vivante intimement mêlée au présent. Il est impossible de raconter sa vie ; c'est la vie qui exprime cette «>atroce caducité de l'amour qui se grandit de la peur d'être dépossédé du futur».

Dans ce roman, tout n'est que bruit et fureur : bruits de la guerre et cris des soldats, ronflement menaçant de l'ordinateur, vrombissement des chaufferies colossales de l'immeuble. Cette peur engendrée par les bruits du dehors ne symbolise-t-elle pas cet amour inquiet du narrateur pour Jane, ce désir à fleur de peau de la sentinelle isolée pour le frère qui apaisera sa peur, ces gémissements de la mère qui perd la tête, ce désir de paternité de l'auteur qui ne peut être un rempart contre la vieillesse et la mort ? 

L'imaginaire n'est ainsi que «cette part de la vie qui renie la vie» et qui engendre tous les malentendus et les peurs comme une ultime ruse de la mort. Le balcon, «cette étroite passerelle de transit», reste alors l'unique plage de salut pour le narrateur, «en équilibre précaire au-dessus de la mort» suspendu entre ciel et terre.

« Le souvenir de l'angoisse ne peut ressusciter la fulgurance de la passion. »

Hugo Marsan exprime admirablement la fatigue de la quête, la souffrance du refus possible, la peur du contact vrai, la terreur de la présence effective, l'énormité de la chair d'autrui, l'immensité de son corps.

Le balcon d'Angelo, Hugo Marsan, Editions Verdier, 1992, ISBN : 2864321432


Du même auteur : Monsieur désire - Le balcon d'Angelo - La troisième femme - Le labyrinthe au coucher du soleil - Véréna et les hommes - Saint-Pierre-des-Corps - La femme sandwich - Les absents

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